Emmanuel Macron, chef des armées
Il est bien trop tôt pour faire le bilan du double mandat d’Emmanuel Macron, réélu en mai 2022. Cependant, il est un domaine dans lequel il s’est déjà singularisé par rapport à ses trois prédécesseurs, celui de la défense.
En effet, le président de la République est celui qui aura décidé de relancer la dépense militaire après deux décennies passées à dilapider les « dividendes de la paix » produits par la chute du mur de Berlin, suivie de celle de l’URSS. En 1996, Jacques Chirac suspendait le service national pour créer une armée de métier à vocation expéditionnaire. En 2007, Nicolas Sarkozy lançait la Révision générale des politiques publiques (RGPP) qui allait transformer le budget des armées en variable d’ajustement pour d’autres postes de l’État, impossibles à réformer. Leur statut interdit aux militaires de se syndiquer et de manifester.
Tout juste élu, Macron commandait, à l’été 2017, une Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, qui servit de cadre à la Loi de programmation militaire (LPM, 2019-2025), laquelle prévoyait un effort financier très significatif de 295 milliards d’euros. Ce document a été actualisé en 2021. Il s’agissait d’une décision politique d’augmentation pour « réparer » des forces armées affaiblies par deux décennies d’attrition budgétaire. L’Élysée souligne que la LPM en cours est parfaitement exécutée, à la différence des lois précédentes, illustrant ainsi la détermination présidentielle. Réélu, Macron demandait aux armées, au cours de l’été 2022, de produire une réflexion à marche forcée sur le nouvel environnement stratégique, marqué par la guerre de haute intensité en Ukraine. Guerre dont les conséquences aussi nombreuses que profondes redessinent la carte géopolitique et géo-économique. Cette réflexion en vase clos aboutit à la Revue nationale stratégique, présentée en novembre 2022 à Toulon. Ce document, qui prend acte de la « fracturation de l’ordre mondial » provoquée par un « phénomène de guerre hybride mondialisée », vise à préparer la prochaine LPM (2024-2030), qui doit être présentée au Parlement avant l’été. C’est un double enjeu politique : les questions de défense ont toujours bénéficié, jusqu’à présent, d’un consensus au sein de la représentation nationale ; la guerre d’Ukraine met en lumière l’importance des « forces morales », notion largement oubliée depuis la fin de la conscription.
Sur la base de Mont-de-Marsan (Landes), le président de la République en a tracé le cadre et les principes lors de ses vœux aux forces armées, en janvier 2023. Entre 400 et 413 milliards d’euros sont prévus sur sept ans. Dans un double contexte d’endettement public massif et de retour de l’inflation, ces efforts budgétaires « seront à proportion des dangers, c’est-à-dire considérables ». Pour le chef de l’État, il s’agit de prendre acte de la dégradation rapide de l’environnement stratégique et de se préparer à « avoir une guerre d’avance ». Au-delà de cette louable intention, l’enjeu est de lire en creux les rapports de puissance susceptibles de modifier, favorablement ou défavorablement, les intérêts nationaux, ainsi que le futur profil d’armée. Point important, cette LPM se prépare au moment où le sentiment anti-français s’accentue au Sahel.
De manière contre-intuitive, cette LPM part du principe que les Français n’auront pas à conduire une guerre sur leur territoire comme les Ukrainiens sur le leur. Pour une raison essentielle : ils sont protégés par la dissuasion nucléaire appelée à être modernisée (construction de quatre sous-marins lanceurs d’engins). Les stratèges français misent, sans le dire ouvertement, sur une fin du conflit en Ukraine à plus ou moins brève échéance. À l’horizon de 2030, ils semblent surtout concernés par la situation en Méditerranée, en particulier orientale, et dans le Golfe persique. Les enjeux de souveraineté dans l’Indo-Pacifique apparaissent aussi comme une priorité. En ce qui concerne le profil, deux mots sont avancés : la réactivité et la cohérence, privilégiées sur le volume et l’endurance. Cela implique de renforcer le cœur de notre souveraineté, d’acter le retour de la haute intensité (et de se doter d’un certain nombre de capacités aujourd’hui manquantes), d’approfondir les partenariats (pas seulement dans le cadre de l’Otan) et d’être en mesure d’agir dans les « espaces communs ». Il faut utiliser le débat sur la LPM pour expliquer la mutation stratégique à l’œuvre. Et s’y préparer au mieux.
> Chronique à retrouver sur le site de la revue Études
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