En Algérie, la fuite en avant du gaz de schiste
« Il est temps que Sonatrach exploite toutes ses énergies au service de l’entreprise et du pays », a-t-il déclaré devant les caméras de la télévision algérienne, ajoutant : « Il ne s’agit pas là d’une démarche aventurière, mais d’une option visant à garantir l’avenir en matière énergétique. »
Si les dirigeants relancent l’idée – déjà évoquée lors d’un conseil des ministres en juin –, c’est que les choses vont mal pour un pays confronté depuis 2014 à la chute des prix du pétrole. En 2017, le pouvoir table sur 31 milliards de dollars (26 milliards d’euros) de recettes provenant de ses ventes d’hydrocarbures, contre plus de 65 milliards avant la chute des cours de l’or noir. En trois ans, le pays a vidé son bas de laine et voit ses réserves de devises diminuer rapidement (103 milliards de dollars à la fin août 2017 contre 195 milliards début 2014).
Entré en fonctions mi-août, M. Ouyahia n’a pas mâché ses mots : l’Etat peine à payer fonctionnaires et factures. Le gouvernement a décidé d’amender la loi sur la monnaie et le crédit pour permettre de faire tourner « la planche à billets ». Il a aussi annoncé une réforme de sa loi sur les hydrocarbures – qui fixe les relations avec les partenaires étrangers – et une relance de l’exploration du gaz non conventionnel.
Les ressources algériennes en gaz de schiste seraient en effet très importantes : autour de 700 TCF (trillions de pieds cubes), soit les troisièmes au monde. « L’Algérie serait, avec l’Afrique du Sud, l’un des pays africains potentiellement les plus riches, mais ce ne sont pour le moment que des présomptions : les études ne font que commencer », souligne Benjamin Augé, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Et d’ajouter : « Cela n’a aucun sens de dire que le gaz de schiste va régler les difficultés économiques de l’Algérie. Le véritable problème du pays est celui de la consommation nationale par habitant, très élevée à cause des subventions, et qui réduit la part de la production disponible pour être exportée », note l’expert.
La crise financière n’a fait, en réalité, qu’accentuer des difficultés structurelles. « On a bricolé la législation sur les hydrocarbures, ce qui a provoqué un désamour des investisseurs étrangers. Pour l’Algérie, la conséquence, c’est une baisse de l’exploration et de la production, explique Mourad Preure, expert pétrolier. Plusieurs réformes de la loi sur les hydrocarbures adoptées à partir de 2005 ont, en effet, complexifié la législation et alourdi la fiscalité, décourageant les investisseurs étrangers.
Cela s’est traduit par un échec des derniers appels d’offres pour l’attribution de permis d’exploitation. Et tandis que le volume total d’hydrocarbures produit a stagné depuis une décennie, la consommation énergétique interne croît, elle, de 5 % par an. « Avec cette pression de la demande intérieure, l’Algérie risque de disparaître comme exportateur, alors que le pays a du potentiel en hydrocarbures conventionnels et non conventionnels », poursuit M. Preure.
Risque politique important
L’annonce de M. Ouyahia ne veut toutefois pas dire que l’exploitation du gaz de schiste est pour demain. Une période de cinq à dix ans serait nécessaire. « Cela signifie qu’ils vont reprendre les études arrêtées il y a quelques années, au moment où ils signaient des accords de principe avec certaines majors, notamment Shell, pour faire de l’exploration », souligne M. Augé.
Le pouvoir prend en revanche un risque politique important. L’opposition au gaz non conventionnel a provoqué l’un des plus importants mouvements sociaux de ces dernières années. En 2015, à In Salah, à 1 500 km au sud d’Alger, dans le Sahara, où Sonatrach avait effectué son premier forage exploratoire fin décembre 2014, mais aussi dans d’autres villes du Grand Sud, le mouvement anti-gaz de schiste avait mobilisé des milliers de personnes pendant près d’un an.
L’inquiétude des habitants portait sur la méthode d’extraction du gaz, à savoir la fracturation hydraulique, qui consiste à créer des fissures et à y infiltrer de grandes quantités d’eau mélangée à des produits chimiques, pour permettre l’extraction de gaz.
Située en plein désert, la zone ne peut compter que sur une nappe phréatique non renouvelable. Face à la résistance populaire, les autorités avaient annoncé un moratoire sur les opérations d’exploration en 2015.
Manque de rentabilité
Outre l’argument environnemental, les opposants au gaz non conventionnel mettent en avant l’impasse qu’a constituée le modèle économique algérien fondé sur les hydrocarbures. Alors que l’extrême dépendance d’Alger à cette manne a bloqué toute diversification des autres secteurs de l’économie, se lancer dans le gaz de schiste ne revient-il pas à prolonger un modèle mortifère ?
Les réactions à l’annonce de M. Ouyahia ont été vives. « Le schiste n’est un eldorado que pour les Etats-Unis et aux Etats-Unis », a écrit l’expert financier Ferhat Ait Ali sur son blog, mettant en avant le coût d’une telle aventure et son manque de rentabilité dans la conjoncture mondiale actuelle.
De nombreux observateurs soulignent également qu’au même moment les énergies renouvelables, notamment le solaire, restent quasiment inexploitées par l’Algérie. M. Preure regrette, lui, le manque de sérénité autour de ce débat : « L’Algérie ne peut pas se tenir en marge de cette évolution. Il faut relancer les études sur le gaz de schiste, évaluer le potentiel, pour que le jour où des techniques d’extraction sans risque environnemental seront au point, l’Algérie soit prête. »
« Quoi qu’il en soit, il n’est pas possible de dire qu’une production est rentable ou non tant qu’on n’a pas fait un nombre suffisant de forages, souligne Olivier Appert, conseiller du centre énergie de l’IFRI. Il y a cependant une certitude sur le fait qu’il existe des ressources en Algérie, pas qu’elles sont exploitables. »
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