En Algérie, une rente pétrolière en voie d’essoufflement
Face à la chute du cours du baril, Alger peine à se lancer dans une diversification industrielle qui bousculerait trop d’intérêts acquis.
A première vue, l’agitation dans les rues d’Alger et ailleurs dans le pays est strictement politique, motivée par l’hostilité à un cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika, et nullement d’ordre socio-économique. Nul slogan contre la vie chère ou le chômage. Mais le blocage du système sur le plan politique, qu’illustre la crise actuelle, a aussi une dimension économique lourde de périls : l’attentisme officiel face à la nécessité de refondre un modèle de rente pétrolière en voie d’érosion. Les deux immobilismes sont inextricablement liés, car l’équilibre politique entre clans – arbitré par la figure tutélaire de M. Bouteflika – est aussi, et peut-être surtout, un consensus entre groupes d’intérêts autour de la répartition des ressources tirées des hydrocarbures, qui représentent 95 % des exportations et 60 % des recettes fiscales.
Or les mises en garde ne manquent pas sur la fragilité de cette rente pétrolière qui avait jusque-là financé – et très généreusement – la paix sociale depuis le début des années 2000. Dans un rapport publié en novembre 2018, International Crisis Group (ICG) avait souligné le « caractère d’urgence » d’une réforme d’un modèle « à bout de souffle ». C’est que la chute du cours du pétrole (le baril est passé de la fourchette 80-110 dollars sur 2011-2013 à 40-60 dollars sur 2015-2017) a durablement affecté les équilibres financiers algériens.
Les déficits « jumeaux » – budgétaire et de la balance courante – devraient se situer au-delà du seuil des 10 % en 2019. Les réserves de change fondent inexorablement, handicapant la marge de manœuvre stratégique d’Alger. Elles sont passées de 193 milliards de dollars en 2013 (environ 170 milliards d’euros) à 85 milliards de dollars fin 2018 (environ 75 milliards d’euros), soit une chute de plus de la moitié. Dans ce contexte, le dinar n’en finit pas de glisser (il a perdu 40 % de sa valeur face au dollar depuis 2014), au risque de nourrir des tensions inflationnistes.
Plus d’un quart des jeunes au chômage
En toute logique, l’impasse annoncée de cette rente pétrolière devrait imposer une remise à plat des priorités du gouvernement. C’est une vieille affaire, un serpent de mer du débat sur la politique économique en Algérie. Voilà plus d’une décennie que l’impératif d’une « diversification industrielle » est brandi par les experts. Les officiels semblaient y avoir prêté une oreille attentive, comme l’avait illustré la tenue en 2006 des Assises nationales de l’industrie. La volatilité des cours du pétrole n’est pas le seul argument qui plaide en ce sens.
S’y ajoute un vieillissement des infrastructures pétrolières, qui complique l’ajustement de l’offre à la demande, notamment la consommation intérieure nourrie par l’accès massif au logement sur fond d’explosion démographique. « Les autorités algériennes voient leur marge de manœuvre se réduire », avertit Olivier Appert, conseiller au Centre énergie de l’Institut français des relations internationales (IFRI), qui rappelle qu’entre 2007 et 2017, la production de pétrole en Algérie a chuté de 2 millions à 1,5 million de barils par jour, alors qu’au même moment la demande nationale progressait de 286 000 à 420 000 barils par jour.
La modernisation des équipements à travers une ouverture aux investisseurs étrangers n’a pas été concluante. « Les investisseurs ne se bousculent pas en raison de l’instabilité de l’environnement législatif et réglementaire », précise M. Appert. Dans ce contexte, de sérieuses hypothèques pèsent autant sur le volume que sur la valeur des exportations d’hydrocarbures. Alors que le taux de croissance est passé sous la barre des 3 %, un nouvel élan industriel est indispensable pour éviter que la question de l’emploi ne s’aigrisse. Le taux de chômage est de l’ordre de 11 %, les jeunes (16-24 ans) étant particulièrement touchés (26,4 %).
Attentisme et planche à billets
Pour autant, le sentiment d’« urgence » partagé chez les analystes et les officiels ne s’est pas, à ce jour, traduit par une inflexion politique. « La diversification industrielle est acceptée sur le papier, mais elle a du mal à prendre forme », souligne Rachid Mira, chercheur associé au Centre d’économie de Paris-Nord (université Sorbonne-Paris-Cité). C’est qu’une redistribution des cartes est politiquement très sensible, car elle bouleverserait les arrangements entre clans.
En outre, le rebond des cours du pétrole durant une partie de l’année 2018 « réactualise les vieux réflexes de captation de la rente », ajoute M. Mira. L’attentisme prévaut donc, les autorités espérant que la chute des cours ne soit qu’une parenthèse en train de se refermer. Et s’il y a des trous financiers à combler, on recourt à une « hausse de la fiscalité non pétrolière », à des « mesures conjoncturelles plus que structurelles », selon M. Mira.
Parmi les expédients utilisés par le gouvernement figure, outre les restrictions à l’importation, la très controversée planche à billets, moyen permettant d’éviter un endettement extérieur qui avait laissé de très mauvais souvenirs dans les années 1980. Entre novembre 2017 et novembre 2018, 34 milliards de dollars (environ 30 milliards d’euros) ont ainsi été créés, soit environ 20 % du PIB. Les tenants de la diversification industrielle attendront.
Depuis le 22 février, le mouvement de protestation le plus important des deux dernières décennies a poussé des dizaines de milliers d’Algériens dans les rues pour exprimer leur opposition à un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika avant l’élection présidentielle prévue le 18 avril 2019.
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