En visite à Paris, Rishi Sunak « semble déterminé à améliorer la relation du Royaume-Uni avec la France et l’UE »
Trois ans après le Brexit, et dans un contexte de crise économique et sociale inédite outre-Manche, le Premier ministre britannique Rishi Sunak rencontre Emmanuel Macron ce vendredi. Décryptage avec la diplomate Claude-France Arnould, conseillère du président de l’Institut français des Relations internationales (Ifri).
Le Royaume-Uni, où sévit une profonde crise du coût de la vie, a connu des mouvements sociaux massifs ces derniers mois. En décembre 2022, des milliers d’infirmières britanniques ont cessé le travail deux jours afin de réclamer de meilleures rémunérations, une première depuis un siècle. Le 1er février, c’est près d’un demi-million de personnes qui ont envahi les rues du pays avec des revendications salariales similaires.
Dans un contexte de crise économique et sociale, avec une menace de récession et une inflation record, tout contraint le Premier ministre britannique Rishi Sunak, en visite à Paris ce vendredi 10 mars, à renouer avec la France et l’Union européenne. La diplomate Claude-France Arnould, ancienne ambassadrice, ex-directrice exécutive de l’Agence européenne de Défense et conseillère du président de l’Institut français des Relations internationales (Ifri) pour les affaires européennes, souligne la nécessité d’un rapprochement franco-britannique.
Quel est l’objet de cette rencontre entre Rishi Sunak et Emmanuel Macron ?
Claude-France Arnould Cette rencontre est nécessairement une première étape dans la reprise de notre relation. Ce sont des sujets déjà mûrs qui seront discutés. Parmi les dossiers importants, l’avenir de l’Ukraine et de la sécurité en Europe, la poursuite de la mise en œuvre de l’accord de Lancaster House [traité bilatéral de sécurité et de défense signé en 2010], les coopérations spécifiques dans le domaine de la défense de l’espace et de la cybersécurité et les questions de migration [le gouvernement britannique a présenté mardi un projet de loi controversé qui rendrait inaccessible l’asile à tout personne entrée illégalement au Royaume-Uni, visant particulièrement les arrivées par la Manche]. Le soutien apporté par les Britanniques à la Communauté politique européenne [cercle européen élargi dont le premier sommet a réuni 44 pays à Prague le 6 octobre 2022] doit permettre de définir ensemble ce qui peut-être réalisé dans ce cadre avec les Européens non-membres de l’Union ou non encore membres, et ce sans appliquer les mécanismes communautaires.
La crise que traverse le Royaume-Uni justifie-t-elle un rapprochement avec la France ?
Il y a de toute évidence des circonstances aggravantes qui sont liées au Brexit et qui étaient prévisibles, comme l’explique un récent article de James Randerson dans Politico. Par ailleurs, il y a des contingences valables dans la plupart des pays occidentaux : le Covid-19 et ses conséquences, la guerre en Ukraine, l’inflation et une vraie crise du multilatéralisme, y compris sur le plan des échanges. Il faut considérer que tout cela est intervenu pour le Royaume-Uni au moment où il était privé des protections prévues par l’Union européenne. Le pays a dû affronter les chocs internationaux de ces trois dernières années sans filet de sécurité, notamment le plan de relance européen déployé dans la plupart des Etats membres.
L’intérêt du Royaume-uni a toujours été d’avoir une relation forte avec la France, qui est son principal partenaire commercial au sein de l’Union européenne. Cet intérêt est aussi lié à des questions de migration et de sécurité. Simplement, cela était rendu impossible par une politique de déni teintée d’agressivité du côté britannique. Aujourd’hui, cette coopération permettrait d’entamer des négociations, notamment sur les services financiers, et d’ouvrir la porte à l’association des Britanniques au programme de recherche de l’Union européenne. Ce programme permettrait de reprendre les échanges entre universitaires et chercheurs – les Britanniques s’étaient exclus de ces programmes communautaires.
S’ajoute à cela la guerre en Ukraine qui accroît le sentiment d’une convergence stratégique très forte et repose la question de l’accord Lancaster House. Tout ceci est la preuve d’une proximité franco-britannique à laquelle nous, Français, tenons beaucoup – un attachement qui est, je crois, réciproque.
Peut-on encore parler d’un couple franco-britannique ?
Je ne crois pas beaucoup aux couples en politique étrangère, l’expression est toujours très connotée affectivement, que ce soit avec l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Je crois au travail et à la coopération entre nos deux pays. Jusqu’à récemment, cette coopération était endommagée par le Brexit et le manque de confiance entre les responsables, lié notamment à Boris Johnson [Premier ministre britannique de 2019 à 2022, qui avait placé l’affrontement avec l’UE, et en particulier avec Paris, au cœur de sa stratégie]. La France et le Royaume-Uni ont une relation historique, ce sont deux partenaires très proches avec une convergence en matière de stratégie et de défense. Ce sont d’ailleurs les deux seules nations en Europe à occuper la place de membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations unies et toutes deux basent leur stratégie de défense sur la dissuasion nucléaire — indépendamment de l’Union européenne.
Particulièrement avec le Royaume-Uni, la France n’est pas dans une relation mais dans une convergence d’intérêts basée sur la confiance. Dans ce cadre, on s’attend à des accords comme ce qui a été fait du côté du protocole irlandais [accord, conclu le 27 février, réglementant la circulation des biens entre le reste du Royaume-Uni et l’Irlande du Nord, qui dispose de la seule frontière terrestre avec l’UE]. Je ne sais pas si ça s’appelle un couple, mais il y a un parallélisme entre l’amélioration des relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne et l’amélioration des relations avec la France.
Le Brexit a-t-il brisé les chances de renouveau de cette coopération ?
Ce n’est pas la décision des électeurs du Royaume-Uni de sortir de l’Union européenne qui a détruit momentanément leur relation, mais la manière dont le Brexit a été géré par les responsables politiques britanniques. Dans les sondages, on voit monter le regret dans l’opinion publique. A l’inverse, dans la classe politique, il est clair qu’un retour en arrière, c’est-à-dire une réadhésion à l’Union européenne, n’est pas à l’ordre du jour. Toutefois, Rishi Sunak semble manifestement déterminé à négocier tous les éléments qui amélioreront cette relation avec l’Union européenne et plus précisément avec la France.
Propos recueillis par Déborah Adejumo
> Lire l'interview sur le site internet de L'OBS
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