Evacuer des migrants de Libye: une étape, mais des questions en suspens
Les “opérations d’évacuation d’urgence”, annoncées par Emmanuel Macron pour sortir de Libye des victimes de trafiquants paraissent “très compliquées” sur le plan logistique, selon Matthieu Tardis, chercheur au Centre migrations et citoyennetés de l'Ifri.
Cette annonce marque-t-elle un tournant ?
Il faut faire quelque chose pour ces personnes vu leur situation, c’est évident, mais d’un point de vue opérationnel et logistique, ces évacuations paraissent très compliquées. Le président de la commission de l’Union africaine a parlé d’évacuer en urgence 3.800 migrants. Or l’évacuation de 25 personnes par le Haut commissariat aux réfugiés, début novembre, avait déjà été très lourde, alors que c’était des gens qui se trouvaient dans des centres officiels en Libye.
Faire cela à plus grande échelle pose la question de la coopération des autorités libyennes et de leur autorité sur l’ensemble du territoire. De plus, on voit mal comment aller dans des camps ou des lieux non officiels, particulièrement ceux qui sont tenus par des trafiquants, pour évacuer des migrants.
Cette annonce est sans doute une étape, mais il faut se demander vers quoi: sans doute pour les Européens la mise en place de nouvelles politiques d’immigration et d’asile, qui se caractérisent par une place de plus en plus importante de la relation avec les pays tiers. Il y a une externalisation de la gestion des questions migratoires. Mais la question de fond reste l’ouverture de voies légales pour des migrants.
Et après l’évacuation ?
C’est une première étape, et on peut penser que le Niger sera mis à contribution pour accueillir les personnes évacuées. Les réfugiés, on va tenter de les réinstaller en Europe. Mais les victimes de traite ne sont pas forcément des réfugiés au sens de la convention de Genève, c’est à dire ayant subi des persécutions dans leur pays d’origine.
Avoir subi des persécutions sur la route migratoire n’est pas stricto sensu dans les critères. Mais ces gens ont éventuellement besoin de protection. Dans quel dispositif les fait-on rentrer? Sur quelle échelle? La France s’est engagée à réinstaller 3.000 personnes depuis le Niger et le Tchad sur deux ans, est-ce que les autres pays vont suivre?
Pour ceux qui ne sont pas réfugiés, on parle de retour dans le pays d’origine, par le biais des dispositifs de l’OIM (Organisation internationale pour les migrations, NDLR) au Niger, qui a cinq centres de transit dans le pays. Mais là aussi va se poser la question de la capacité. Sans compter que lorsqu’ils sont amenés dans ces centres, au bout de quelques jours la plupart des gens en repartent.
Le Niger va jouer un rôle central…
Le Niger va se retrouver en première ligne, cela peut être un peu compliqué. Il faut les infrastructures d’accueil, et aussi l’accord des autorités nigériennes, qui sont déjà conciliantes. La question va se poser de l’acceptabilité de ces évacuations, et ensuite du retour vers les pays d’origine.
Le Niger est inscrit dans un ensemble de libre-circulation au sein de la Cedeao (Communauté économique des États d’Afrique de l’ouest), il y a aussi des accords bilatéraux entre le Niger, le Cameroun et le Nigeria, et il est possible que ces pays considèrent que le Niger devient un peu trop l’exécutant de l’Union européenne ; ils pourraient alors activer une sorte de clause de réciprocité, alors qu’il y a beaucoup de Nigériens dans ces pays, au Ghana, au Nigeria…
Il ne faudrait pas qu’avec nos projets on déstabilise encore plus cette région fragile, qu’on isole le Niger qui est le pays un peu stable au Sahel. Le Niger ne connaît pas encore les mêmes difficultés que le Mali, mais si on déstabilise toute la région, les effets seront pires pour le pays, et pour nous aussi.
Propos recueillis par Claire Gallen (AFP)
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