Face au coronavirus, l’Iran demande la levée des sanctions
Durement touché par l’épidémie de Covid-19, Téhéran dénonce l’inaction de la communauté internationale face aux sanctions américaines « illégales et unilatérales ». Des masques à oxygènes, des insufflateurs, des thermomètres, des tests de diagnostic, des gants…
Le ministère iranien de la santé a établi la longue liste du matériel médical dont auraient besoin ses hôpitaux pour lutter contre le coronavirus, alors que le pays - l’un des plus touchés au monde par l’épidémie de Covid-19 - déplorait 853 morts lundi 16 mars, et plus de 14 000 personnes contaminées.
Javad Zarif, le ministre iranien des affaires étrangères, l’a postée sur Twitter, en dénonçant les « vastes pénuries causées par les restrictions à l’accès de nos populations aux médicaments et équipements médicaux ». Il a accompagné la publication du document d’un message cinglant : « Les virus ne font pas de discrimination. L’humanité ne devrait pas non plus ».Ces derniers jours, il a effectué d’autres démarches plus officielles, auprès du Fonds monétaire international (FMI) notamment. Selon l’agence de presse officielle IRNA, il a aussi écrit au secrétaire général de l’ONU, Antonio Gutteres, une lettre dans laquelle il qualifie « les sanctions illégales et unilatérales » décidées par les États-Unis d’« obstacle principal à la lutte contre l’épidémie ». Et dénonce vigoureusement l’inaction de la communauté internationale.
Quel est le contexte ?
Depuis que les États-Unis ont annoncé, en mai 2018, leur retrait de l’accord nucléaire international conclu avec l’Iran trois ans plus tôt, ils ont réintroduit des sanctions économiques interdisant aux entreprises américaines, mais aussi non-américaines, de commercer avec ce pays, sous peine de poursuites judiciaires.
Dans un rapport publié en octobre 2019, Human Rights Watch constatait leur « impact négatif sur les besoins humanitaires et sur le respect du droit à la santé de millions d’Iraniens » (1). L’ONG estimait déjà que les plus touchés étaient « les patients atteints de maladies rares et/ou de maladies exigeant un traitement spécifique ».
Aux yeux des spécialistes de l’Iran, il ne fait aucun doute que les sanctions américaines - même si les États-Unis s’en défendent - pèsent sur le système sanitaire iranien. « Si vous enlevez à un pays 40 % de ses recettes budgétaires en l’empêchant d’exporter son pétrole et son gaz, il est évident que l’efficacité de son système de santé en sera affectée », résume l’économiste Thierry Coville.
- En principe, des exceptions sont prévues pour l’exportation « de médicaments et de matériel médical, de denrées alimentaires et de produits agricoles ». « Mais comment interpréter cela ? », s’interroge Éric-André Martin, spécialiste de la politique extérieure de l’Union européenne et chargé de mission auprès du directeur de l’Institut français de relations internationales (Ifri). « Quelles sont les velléités de l’administration américaines de faire jouer ce dispositif ? Car certains dispositifs médicaux sophistiqués peuvent avoir plusieurs usages ».
De fait, et de l’avis général, le système fonctionne mal. « Les formalités sont tellement lourdes et incertaines que le jeu n’en vaut pas la chandelle pour les entreprises pharmaceutiques », constate un diplomate.
Quel avenir ?
Tout à sa logique de « pression maximale », Donald Trump est peu susceptible d’alléger ses sanctions. Le débat pourrait néanmoins monter ces prochains jours, pour des raisons tant sanitaires que politiques.
- « Contester les sanctions est, pour Téhéran, un moyen d’atténuer sa propre responsabilité et de mettre l’Europe devant la sienne », estime Éric-André Martin, qui remarque au passage que l’Iran - accusé par certains de sous-estimer la crise - ne fait pas appel à « l’aide internationale ». « L’argument face aux Européens est le même :’Vous ne nous avez pas donné le bénéfice économique que nous attendions de l’accord sur le nucléaire’».
Preuve que celui-ci n’est pas dénué de fondement, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont annoncé, le 2 mars, une aide à l’Iran sous la forme de livraison du matériel médical et d’un versement à l’OMS.
Mais pour les chercheurs, la crise actuelle devrait être l’occasion d’aller au-delà et de « faire enfin fonctionner Instex », un mécanisme créé en 2019 pour contourner les sanctions américaines. « Cela montrerait aux Iraniens que nous tenons parole », estime Thierry Coville. « Et cela nous placerait aussi dans un meilleur rapport de force vis-à-vis d’eux ».
(1) « Pression maximale » : Les sanctions économiques américaines portent atteinte au droit des Iraniens à la santé ».
Lire l'article sur le site de La Croix
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