Guerre commerciale Chine-USA : quelles conséquences si l’escalade se poursuit?
DÉCRYPTAGE - Donald Trump, qui n’a pas apprécié que la Chine réplique à sa nouvelle attaque douanière, menace de taxer la quasi-totalité des biens chinois entrant aux États-Unis. Une surenchère qui risque d’affecter durement les consommateurs américains, mais pas seulement.
Fini les amabilités. Entre la Chine et les États-Unis, l’heure est à nouveau à l’affrontement commercial. Les deux parties n’ont pas été capables de se mettre d’accord lors du dernier cycle de négociations à Washington. Donald Trump, qui accuse la Chine de ne pas tenir ses promesses, a instauré de nouvelles taxes et pris un décret ciblant l’industrie chinoise des télécoms et son géant Huawei. La Chine a riposté en instaurant des droits de douane sur 60 milliards de dollars de biens américains. Depuis, Washington menace de surtaxer la quasi-totalité des produits chinois entrant sur le sol américain. Une escalade dont les conséquences inquiètent les marchés et les économistes. Explications.
Quels sont ces biens chinois que Donald Trump a dans le viseur ?
Les États-Unis surtaxent déjà à hauteur de 25% un grand nombre de biens chinois. La liste est longue et variée : acier, pièces détachées, moteurs électriques, machines-outils, cellules photovoltaïques, machines à traire les vaches... Mais de nombreux biens échappent encore aux taxes, comme les téléphones, téléviseurs, parapluies, jouets ou chaussures. Ce sont ces derniers que Donald Trump menace de taxer à 25% si aucun accord n’est conclu d’ici sa rencontre avec le président chinois Xi Jinping lors du sommet du G20, fin juin au Japon. Cela signifie que presque toutes les importations chinoises seront taxées à l’exception de certains médicaments et minéraux tels que les terres rares.
Pour rappel, le déficit commercial des États-Unis avec la Chine a atteint 419 milliards de dollars en 2018 (uniquement pour les biens). Un chiffre qui a bondi de plus de 11% en un an et qui a constamment progressé ces 20 dernières années.
Que souhaite Donald Trump?
Le président américain souhaite résorber le déficit que son pays entretient avec la Chine. Il demande au passage des changements structurels importants qui risquent de bouleverser le modèle économique chinois comme la fin des transferts forcés des technologies américaines, la protection de la propriété intellectuelle, la fin des subventions des entreprises d’État, un accord sur les devises...
Ce conflit a-t-il des conséquences sur la Chine ?
Dans ce contexte de guerre commerciale, la Chine envoie des signaux de ralentissement. Les dernières statistiques officielles ont confirmé un recul inattendu des exportations, mais aussi une baisse des ventes de détail et de la production industrielle. Selon la banque japonaise Nomura, la politique douanière américaine instaure « une pression à la baisse accrue sur les exportations et les investissements manufacturiers de la Chine ». Pékin a mis en place une politique de relance budgétaire mais les économistes la jugent insuffisante à ce stade pour freiner le ralentissement. La croissance du pays, qui avait enregistré sa plus timide hausse l’an dernier à 6,6%, devrait selon le FMI atteindre 6,3% en 2019. Plus pessimistes, les économistes d’Oxford attendent 6,2% cette année et 5,9% en 2020 dans ce contexte de tensions exacerbées.
Quel impact pour les États-Unis?
À peu près 90% des taxes douanières levées jusqu’ici l’ont été sur des produits intermédiaires qui servent dans la production de biens finaux aux États-Unis. Conséquence :
« un renchérissement des coûts de production pour les entreprises, en particulier pour les petites qui peuvent difficilement diversifier leurs fournisseurs», explique Stéphane Déo de La Banque Postale AM. Une grande partie de ces coûts additionnels n’a toutefois pas été répercutée sur les produits finaux, car absorbés par les marges des entreprises. En revanche, les quelque 4000 nouveaux biens ciblés par Donald Trump sont des produits de grande consommation. Cette fois, « les augmentations de tarifs vont passer beaucoup plus rapidement dans les prix de vente finaux, le consommateur va être impacté beaucoup plus rapidement », estime Stéphane Déo. La mesure va créer une pression inflationniste, juge Goldman Sachs, forçant peut-être la Fed à réagir. « Il nous faudra voir comment l’économie se comporte », confirmait récemment Raphaël Bostic, le président de la Réserve fédérale d’Atlanta.
Les agriculteurs, eux, souffrent déjà des mesures de rétorsion chinoises. La Chine a en effet ciblé des produits agricoles, dont le bœuf, le porc, le soja ou encore les fruits. Un plan d’aide d’urgence de 12 milliards de dollars a été instauré l’an dernier, pour compenser les pertes de revenus. Donald Trump leur promet une nouvelle enveloppe de 15 milliards.
Globalement, cette politique douanière agressive risque de produire des effets négatifs sur la croissance américaine, qui a atteint 3,2% au premier trimestre, estiment les analystes. « La poursuite de l’escalade de la guerre commerciale pourrait se traduire par un impact sur le PIB pouvant atteindre 0,4%. Et si les tensions commerciales déclenchaient une chute importante sur le marché des actions, l’impact sur la croissance pourrait s’aggraver considérablement », alerte Goldman Sachs.
- « À court terme, Donald Trump peut avoir l’illusion de gagner son pari, dans la mesure où le déficit commercial bilatéral avec la Chine se réduit. Mais ce n’est qu’une illusion. Soit le déficit se creusera avec d’autres partenaires (qui remplacent désormais la Chine), soit le déficit se réduit bel et bien mais au détriment des consommateurs qui paient désormais des produits plus chers », résume Françoise Nicolas, directrice du centre Asie de l’Ifri.
Quel impact sur l’économie mondiale ?
En cas d’escalade, l’impact serait conséquent, juge le FMI. « Une plus grande incertitude quant aux politiques commerciales et des craintes d’escalade et de représailles entraîneraient une réduction de l’investissement des entreprises, une perturbation des chaînes d’approvisionnement et un ralentissement de la croissance de la productivité », résume l’institution. Les perspectives de baisse de la rentabilité des entreprises qui en résulteraient pourraient « entamer la confiance des marchés financiers et freiner davantage la croissance », selon le fonds. Celle-ci a déjà été revue à la baisse à 3,3% en 2019. « La croissance mondiale pourrait être supérieure aux attentes si les différends commerciaux étaient résolus rapidement », précise le FMI. «Il n’y a pas de menace plus importante sur la croissance mondiale qu’une guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis», confirmait récemment le ministre de l’Économie français, Bruno Le Maire. Selon ce dernier, l’Hexagone ne sera pas épargné. « Nous pourrons moins faire circuler nos marchandises. La guerre commerciale détruira des emplois en France et en Europe », prévient-il.
• Quelle suite dans ce conflit ?
Donald Trump semble faire le pari que la Chine ne pourra pas suivre le rythme des ripostes s’il instaure de nouvelles taxes. Les marges de manœuvre de Pékin sont en effet limitées puisqu’elle a déjà taxé la quasi-totalité des produits importés des États-Unis. Il lui reste toutefois la possibilité de sanctionner des secteurs américains clés, comme l’aéronautique, l’automobile ou à nouveau le secteur agricole. La Chine peut aussi envisager de vendre une partie de ses bons du Trésor américain (1121 milliards de dollars).
« Vendre des titres d’État américains peut gêner la Maison Blanche au titre des pressions haussières sur les taux longs. Mais, si cela pousse aussi à une appréciation non souhaitée du yuan, le prix à payer peut paraître élevé et freiner les ardeurs en la matière », estime-t-on du côté de La Banque Postale AM.
Pour des raisons politiques, la Chine ne devrait cependant pas céder, estiment les observateurs. Même chose pour Donald Trump, qui se dit prêt à aller jusqu’au bout. «La probabilité que la situation continue de se détériorer s’est de toute évidence accrue, l’évolution récente montrant combien il est difficile de s’entendre sur une série de politiques et de pratiques en matière de technologie, d’accès au marché et de propriété intellectuelle qui soient acceptables pour les deux parties», jugent les économistes d’Oxford.
- « Ce qui me paraît important dans cette guerre commerciale, c’est qu’elle constitue en réalité un prétexte. Tout d’abord la guerre n’est pas tant commerciale que technologique. La raison de s’opposer frontalement à la Chine de la part des États-Unis est la volonté de maintenir sa suprématie technologique. Au-delà, il s’agit en fait d’un conflit pour le leadership », conclut Françoise Nicolas.
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