Guerre en Ukraine : pourquoi Marioupol est une cible prioritaire de la Russie
Depuis le début de l’invasion russe, la ville portuaire de Marioupol, située sur la mer d’Azov, revêt un fort intérêt stratégique pour Moscou. Vladimir Poutine en a fait un objectif symbolique.
Depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février, Marioupol, dans l’est du pays, est mise à feu et à sang ; tous ses bâtiments, notamment son théâtre et sa maternité, bombardés ; ses habitants, privés d’eau, de nourriture, d’électricité et de chauffage. Alors que Moscou a annoncé une trêve, jeudi 31 mars, pour permettre l’évacuation des civils, environ 160 000 personnes (sur 450 000 habitants avant la guerre) seraient toujours coincées dans ce huis clos, théâtre d’un « crime de guerre majeur », selon l’Union européenne (UE).
La cité portuaire de la mer d’Azov, assiégée depuis plus d’un mois – mais pas tombée aux mains des Russes –, a rapidement été une cible prioritaire des forces armées de la Fédération de Russie. Jeudi, au 36e jour de l’offensive militaire russe, Marioupol était détruite à plus de 90 %, et la pression était encore loin de faiblir alors que Moscou a dit, le 26 mars, concentrer ses efforts sur « la libération du Donbass » et de l’est de l’Ukraine.
Une ville entre Crimée et territoires prorusses
De par sa position géographique d’abord, Marioupol revêt un enjeu stratégique pour les forces russes. Sa chute constituerait sans doute un tournant dans la guerre que mène la Russie en Ukraine.
- Contrôle de la côte ukrainienne et de la mer d’Azov
Située à une centaine de kilomètres au sud de Donetsk, la ville principale du territoire séparatiste prorusse du même nom, à 350 kilomètres au nord de la Crimée, annexée en 2014 par la Russie, et à une cinquantaine de kilomètres de la frontière russe, Marioupol présente des caractéristiques géographiques qui intéressent les Russes.
Selon Tatiana Kastouéva-Jean, chercheuse et directrice du centre Russie-NEI de l’Institut français des relations internationales (IFRI), il y avait ainsi « une facilité logistique » à attaquer la cité portuaire, de par sa localisation « près de la ligne de contact entre la Russie et l’Ukraine ».
De plus, prendre Marioupol permettrait aux Russes de contrôler environ 80 % de la côte ukrainienne sur la mer d’Azov, isolant encore un peu plus le pays du reste du monde.
Dans les faits toutefois, « la Russie contrôle déjà cette mer, vu qu’elle en contrôle la seule entrée : le détroit de Kertch », souligne Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe, à l’Agence France-Presse (AFP). Après l’annexion de la Crimée par la Russie, cette dernière avait construit un pont, dès mai 2018, enjambant le détroit, reliant la péninsule de Crimée au territoire russe et ceinturant ainsi la mer d’Azov.
Si la Russie prenait définitivement le contrôle de la mer d’Azov, « elle n’aura[it] de comptes à rendre à personne [et] elle pourra y placer n’importe quoi », conclut Alexeï Malachenko, directeur de recherche à l’Institut du dialogue des civilisations, également cité par l’AFP.
- Jonction entre la Crimée annexée et les territoires séparatistes prorusses
Marioupol se situe, par ailleurs, sur le chemin des forces armées qui montent depuis la Crimée, et sur celui des soldats qui viennent des territoires séparatistes – dont le président russe a reconnu l’indépendance avant le début de l’invasion de l’Ukraine.
Prendre Marioupol permettrait alors aux Russes de faire la jonction terrestre entre les deux régions ukrainiennes contrôlées par Moscou. La cité portuaire est, de plus, située dans l’oblast de Donetsk, territoire que les pro-Russes revendiquent, mais qu’ils n’ont pas réussi à prendre entièrement.
Depuis ces régions séparatistes de l’est de l’Ukraine jusqu’à la péninsule de Crimée – voire même jusqu’à Odessa –, ce territoire repris le long de la mer d’Azov et de la mer Noire permettrait aussi à Vladimir Poutine de recréer la Nouvelle-Russie, une subdivision territoriale de l’Empire russe à la fin du XVIIIe siècle.
Les Russes « auraient ainsi aimé pousser cette jonction jusqu’à la Transnistrie [région à cheval entre le sud-ouest de l’Ukraine et la Moldavie], développe Tatiana Kastouéva-Jean. Mais, avec les revers essuyés par l’armée russe, cela ne me paraît plus faisable. »
Marioupol, poumon industriel et commercial
Par sa localisation en bord de mer d’Azov, Marioupol était aussi avant la guerre un important pôle industriel et commercial. Si la Russie en prenait le contrôle, cela étoufferait une large partie de l’économie ukrainienne et contribuerait à asphyxier encore plus la population. Les Russes ont d’ailleurs « quasiment rayé la ville de la carte », relève Tatiana Kastouéva-Jean.
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Une victoire russe hautement symbolique
Alors que les troupes russes sont en difficulté sur le terrain, la prise de Marioupol constituerait un symbole puissant, de nature à motiver des soldats épuisés qui pourront ensuite être redéployés sur d’autres fronts. « Probablement veulent-ils faire de Marioupol un exemple, un éventail de ce dont ils sont capables », ajoute Tatiana Kastouéva-Jean.
- Revanche sur une ville russophile qui avait déjà repoussé Moscou
Ce n’est pas la première fois que les Marioupolitains défendent leur ville face aux forces séparatistes prorusses. Ils la leur avaient déjà repris en 2014, après que la cité portuaire était brièvement tombée entre leurs mains. La prise de Marioupol constituerait ainsi pour les Ukrainiens un revers douloureux, à l’accent revanchard pour les Russes.
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Au-delà de la côte, Moscou prendrait aussi le contrôle de cette mer, ouverte sur la mer Noire, faisant d’elle « une mer intérieure russe », explique la chercheuse.
- Outil de propagande puissant autour de l’objectif de « dénazification »
En prenant Marioupol, le Kremlin pourra ainsi se targuer d’avoir éliminé le bataillon Azov et, par extension, d’avoir « dénazifié » l’Ukraine, donnant à la population russe, ukrainienne, à son armée et, finalement, au monde, une justification à cette guerre qui aura fait des milliers de morts.
A cette aune, la prise de Marioupol est « devenue symboliquement très importante, plus que de préserver les installations industrielles et même les populations russophones », estime Tatiana Kastouéva-Jean.
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