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Inde-Chine : des pays dotés de la bombe nucléaire se sont déjà fait la guerre

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cité par Pierre Sautreuil dans

  Le Figaro
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Le récent affrontement entre la Chine et l'Inde n'est pas sans précédents.

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Poste armée indienne Ladakh
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Un corps à corps sur le toit du monde accouchera-t-il d'une guerre nucléaire ? Les chancelleries sont sur le qui-vive depuis qu'un incident frontalier lundi 15 juin dans la région contestée du Ladakh, dans l'Himalaya, s'est soldé par la mort brutale de dizaines de soldats indiens et chinois. Si des gestes d'apaisements semblent pour l'heure écarter l'éventualité d'une escalade, les tensions demeurent vives entre les deux géants, dotés chacun d'un arsenal nucléaire conséquent. Cette situation à hauts risques n'a cependant rien d'inédit dans l'Histoire : par deux fois, au XXe siècle, des pays dotés de la bombe atomique se sont fait la guerre.

Le conflit frontalier de 1969 entre la Chine et l'URSS a vu éclater au grand jour les rivalités entre les deux pays pour le leadership au sein du bloc communiste. Ses racines sont plurielles : d'abord une opposition de Mao à la politique de détente entreprise par le secrétaire général soviétique Leonid Brejnev, couplée à sa remise en cause du dogme marxiste-léniniste cher aux Soviétiques, et à partir de 1964 à la revendication par le président chinois de pans entiers de l'Extrême-Orient soviétique.

De son côté l'URSS s'alarme du déséquilibre démographique vertigineux de part et d'autre de la frontière sino-soviétique en Extrême-Orient. Craignant un débordement numérique chinois, les dirigeants soviétiques y massent des centaines de milliers de soldats, ce que les Chinois ne tardent pas à voir à leur tour comme une menace. Depuis 1965 déjà, les escarmouches sont monnaie courante entre les gardes-frontières, qui en viennent souvent aux mains.

«Les deux parties envoyèrent des soldats spécialistes du corps-à-corps et les armes ne furent pas utilisées», note Iliyas Sarsembaev dans sa thèse consacrée au sujet en 2005. «Lutilisation des armes était rendue d’autant plus délicate que l’armée chinoise utilisait un bouclier de civils dans ses avancées au-delà de la frontière.» Le ton change après l'écrasement du printemps de Prague en 1968 par les Soviétiques. Les Chinois s'inquiètent de la propension des «Russes» à intervenir dans les «pays frères» pour mater les divergences idéologiques. Pour dissuader Moscou, Mao choisit la démonstration de force.

Le 2 mars 1969, 32 soldats soviétiques sont tués lors d'une incursion chinoise sur l'île Damanski, sur le fleuve Ossouri. Le 15 mars, l'artillerie chinoise pilonne les forces soviétiques stationnées sur l'île. Informé tardivement, Brejnev ordonne de riposter sans plus attendre. Les troupes chinoises sont écrasées sous les tirs des lance-roquettes multiples Grad, qui font leur baptême du feu. Les pertes chinoises se comptent par centaines.

Des affrontements vont se poursuivre au printemps et à l'été 1969 sur d'autres sections de la frontière, à l'initiative de la Chine ou de l'URSS, causant la mort de centaines, voire de milliers de soldats. Il s'en faut de peu pour que le conflit ne vire à l'affrontement nucléaire. «Les mémoires des officiers du KGB ayant servi en Extrême-Orient à la fin des années 60 notent que les bombardiers nucléaires stationnés dans la région avaient reçu l’ordre de se tenir prêts à décoller à tout moment», affirme Iliyas Sarsembaev.

Coupés du monde par le chaos de la Révolution culturelle, les leaders chinois sont presque injoignables. «Lorsque le premier ministre soviétique Alexeï Kossyguine essaye de joindre Mao par téléphone fin mars 1969, le garde rouge qui lui répond l'insulte, le traite d'élément révisionniste, et lui raccroche au nez !» raconte l'historien Sergueï Radchenko, de l'Université de Cardiff. «Ce n'est qu'à l'occasion des funérailles de Hô Chi Minh, auxquelles Kossyguine et le premier ministre chinois Zhou Enlai assistent en septembre, que Pékin répond enfin aux ouvertures de Moscou, et qu'un cessez-le-feu peut-être négocié quelques jours plus tard.»

Tournant capital de la Guerre Froide, ce conflit frontalier va précipiter le rapprochement entre la Chine et les États-Unis, qui culminera avec la visite de Nixon à Pékin en 1972. Il faudra attendre 30 ans pour voir à nouveau deux puissances nucléaires se défier à coups de canons.

1999 : Kargil, la guerre des glaciers

Au cœur du Cachemire, le district de Kargil a donné son nom à une confrontation hors normes entre l'Inde et le Pakistan, déclenchée par l'infiltration de troupes pakistanaises dans cette région montagneuse administrée par New Delhi. «Contrairement à l'affrontement sino-soviétique, la guerre de Kargil intervient dans un contexte d'apaisement entre le Pakistan et l'Inde, après une visite officielle du premier ministre indien au Pakistan en février 1999», explique Pierre Grosser, historien et professeur de relations internationales à Sciences Po Paris, qui a étudié les deux conflits. «C'est donc avec surprise que les Indiens constatent en mai 1999 que des centaines de combattants paramilitaires pakistanais ont traversé la ligne de cessez-le-feu du Cachemire.»

La riposte indienne mobilise des dizaines de milliers de soldats. La guerre qui s'ensuit dure jusqu'à juillet et voit les troupes pakistanaises et indiennes s'affronter entre 3000 et 5000 mètres d'altitude, dans des températures souvent extrêmes. La menace atomique est dans tous les esprits, le Pakistan ayant conduit un an plus tôt ses premiers essais nucléaires. Le 31 mai 1999, le ministre des Affaires étrangères pakistanais Shamshad Ahmad, affirme que le Pakistan est prêt à utiliser «toutes les armes présentes dans son arsenal».

Consciente du danger, la Chine, alliée historique du Pakistan face à l'Inde, refuse de lui apporter le moindre soutien. Les forces pakistanaises se retrouvent rapidement en difficulté devant la contre-attaque indienne, ce qui pousse le premier ministre Nawaz Sharif à solliciter une entrevue avec Bill Clinton. Le président américain accepte de le recevoir le 4 juillet, mais exige le retrait des paramilitaires pakistanais de Kargil, sous peine de représailles. La pression internationale pousse le premier ministre à céder dans les semaines qui suivent.

Le Pakistan était-il prêt à faire usage de la bombe ? Le renseignement américain aurait eu vent de la mise en branle de l'arsenal nucléaire pakistanais. Nawaz Sharif affirmera plus tard que le général Pervez Musharraf aurait ordonné la préparation des ogives pakistanaises sans l'en informer. L'intéressé rétorque dans ses mémoires que la bombe pakistanaise n'était pas opérationnelle au moment du conflit du Kargil. «On a encore du mal à savoir si on est passé près d’une crise nucléaire ou pas», affirme Pierre Grosser. «Il y avait infiniment plus de canaux de communication durant cette crise que pendant le conflit sino-soviétique, ce qui a permis une désescalade rapide avec les pressions de la communauté internationale sur le Pakistan.»

Un espace sous le seuil nucléaire

  • «La stabilité qu'offre la dissuasion nucléaire est paradoxale», analyse Corentin Brustlein, spécialiste des questions de défense à l'Ifri. «On peut voir réapparaître des formes de conflit entre deux puissances disposant chacune d'une capacité de riposte nucléaire , précisément parce que l'escalade jusqu'au seuil nucléaire est a priori exclue par les belligérants», explique-t-il.

Là se trouve l'espace de manœuvre pour des guerres limitées entre puissances nucléaires : dans le respect de normes tacites, pour éviter une escalade.

  • «Gardons néanmoins en tête que la guerre est le royaume du hasard, du chaos et de la friction», rappelle Corentin Brustlein, selon qui la rapidité des moyens de communication actuels peut désamorcer les crises, mais aussi contribuer à les aggraver. «L'opinion peut pousser à l'escalade, des nationalistes appeler à la vengeance. Chaque État a sa dynamique interne propre, par laquelle il peut se retrouver débordé.»

 

Lire l'article sur le site du Figaro.

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Corentin BRUSTLEIN

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Ancien Directeur du Centre des études de sécurité de l'Ifri