La défense européenne ne pourra se passer de l’OTAN
« Depuis vingt ans, il y a eu un retour progressif des questions de défense à l’agenda européen. Ces dix dernières années, la focalisation de la politique américaine sur la zone Asie-Pacifique puis la politique hostile aux alliances conduite par Donald Trump ont accéléré le processus », analyse Paul Maurice, chercheur au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Ifri.
La guerre en Ukraine a fait faire à la défense européenne un saut inenvisageable quelques semaines auparavant. En témoignent les annonces de l’Allemagne de porter son budget de défense à 2 % du produit intérieur brut (PIB), contre 1,4 en 2020, et de débloquer 100 milliards d’euros pour remettre à niveau ses forces armées.
Fin mars, les capitales européennes se sont en outre fixé un cap commun pour 2030 en adoptant leur « boussole stratégique ». Ce document long de 47 pages, dont l’élaboration avait commencé dès 2020, évalue les menaces pesant sur les Vingt-Sept et les objectifs à atteindre pour y faire face.
- « Au niveau opérationnel, la mesure phare est le renforcement des groupements tactiques de l’Union européenne. Les effectifs de cette force de réaction rapide de 1 500 hommes, et qui n’a encore jamais été mobilisée, seront portés à 5 000 », explique Paul Maurice.
L’Europe pourra-t-elle désormais se défendre seule face à des menaces extérieures ? Loin de là, et ce n’est d’ailleurs pas l’objectif. « Une Union plus forte et plus capable dans le domaine de la sécurité et de la défense (…) est complémentaire à l’Otan, qui reste le fondement de la défense collective pour ses membres », insiste le document.
Dit autrement, l’Europe est en train de se doter de politiques de défense commune, mais la défense collective de l’Union reste assurée par l’Otan. Ainsi, à l’exception de la France, qui dispose de son propre arsenal nucléaire, les membres de l’Union européenne qui sont également membres de l’Otan, comme l’Allemagne, se placent sous la protection du parapluie nucléaire américain. Les Européens dépendent aussi en large partie de l’industrie de défense des Etats-Unis.
L’Eurodrone, par exemple, disposera d’un moteur développé par la filiale aviation de l’entreprise américaine General Electric plutôt que par Safran. Autre limite à l’autonomisation de la défense européenne : l’approbation à l’unanimité des Etats membres requise pour les sujets de politique étrangère, qui ralentit la prise de décision.
- « La boussole stratégique, sans supprimer le droit de veto, autorise une plus grande flexibilité dans les décisions, notamment grâce au recours à l’abstention constructive », estime Paul Maurice. En clair, un Etat pourra s’abstenir de participer à une prise de position qu’il ne partage pas, sans forcément bloquer cette dernière. Ceci étant, l’unanimité reste requise pour le lancement des missions.
> Article paru dans Alternatives économiques, N° 423 mai 2022 (réservé aux abonés)
Média
Journaliste(s):
Format
Partager