L'analyse géopolitique n'en a apparemment pas trop souffert. Certains regrettent bien que les rédacteurs aient un peu trop rapidement glissé sur la Chine et la Russie. Mais les principaux changements internationaux ont été intégrés, selon les informations obtenues par Le Figaro,et à bon escient. Notamment le désengagement américain d'Europe et du Moyen-Orient. «C'est un fait majeur, lourd de conséquences, aussi important selon moi que les printemps arabes, car il signifie que l'on ne pourra plus désormais compter sur les États-Unis comme on le fit jusque-là», commente Étienne de Durand, le directeur du Centre des études de sécurité de l'Ifri, qui a suivi de près les travaux du livre blanc. Les deux dernières guerres livrées par la France, en Libye et au Mali, organisées autour de coalitions verticales, représentent selon lui «l'avenir». «Le fait que les États-Unis ne veuillent plus être en première ligne est un changement fondamental qu'il nous faut intégrer», poursuit cet expert.
Un paquebot qui bouge lentement
Second changement, le livre blanc restreint le domaine d'action de la France aux pourtours de l'Europe. «Les rêves formulés en 2008 de jouer un rôle en Asie sont oubliés. Nous n'avons plus les moyens de cette lointaine ambition», explique un membre de la commission.
L'intervention française au Mali a confirmé en revanche la nécessité de conserver les bases militaires en Afrique. «L'objectif de 2008 - rationaliser la présence militaire française en Afrique - est effacé. Le basculement annoncé de l'Afrique vers le Golfe n'a pas eu lieu. On sait en revanche que nous n'aurions jamais pu faire l'opération “Serval” si on avait fermé nos empreintes africaines, comme le stipulait le livre blanc de 2008»,poursuit la même source. En outre, la place du terrorisme dans cette analyse géopolitique est aussi importante qu'en 2008.
Après l'état de la menace, les solutions. Le monde est porteur des mêmes incertitudes stratégiques, mais le contexte budgétaire contraint les nouvelles ambitions françaises. Certes, l'hypothèse «Z», défendue par le ministère du Budget, celle qui aurait provoqué un déclassement stratégique de la France, a été écartée par François Hollande. Mais l'hypothèse «Y» ne fait que limiter les dégâts. En tombant à 1,35 % du PIB, le budget de la défense devient insuffisant pour maintenir le niveau et les ambitions des armées françaises à moyen terme. «C'est comme si on tirait sur un élastique. Si, d'ici à la fin de la décennie, on ne repasse par la barre des 1,7 ou 1,8 %, si on ne réinjecte pas de l'argent dans l'outil de défense, l'élastique se cassera au moment d'intervenir», prévient Étienne de Durand.
La Loi de programmation militaire (LPM) en fixera les détails l'été prochain. Mais le livre blanc a d'ores et déjà officialisé un certain nombre d'économies problématiques. Le «contrat opérationnel» a ainsi été divisé par deux, passant de 30.000 à 15.000 hommes. Pour de nombreux spécialistes, il ne correspond plus à la réalité. «Qui peut nous certifier qu'il n'y aura pas d'opération majeure consacrée à la défense territoriale dans les années futures? Qui défendra les Polonais ou nos alliés de l'Est en cas de problème avec leurs voisins?» s'interroge l'un d'eux. Les trois armées vont voir leurs effectifs et leurs équipements une nouvelle fois réduits.
En raison de l'effet d'inertie engendré par les longs programmes d'armements, la défense est un paquebot qui bouge lentement. Les effets de seuil pourraient avoir des conséquences catastrophiques sur les armées. «“Y” est un modèle fragile. Le combat ne fait que commencer. Bercy reviendra à l'attaque. Ce n'est pas le moment de baisser la garde, alors que nous avons enfin, après l'avoir préparée pendant plusieurs décennies, la position géopolitique dont nous rêvions», prévient une source qui a suivi de près les travaux de la commission.