Le traité d'Aix-la-Chapelle veut renforcer l'Union européenne
Paris et Berlin ont signé mardi un nouveau traité afin de relancer le couple franco-allemand et le moteur européen. Un nouveau traité de coopération entre la France et l'Allemagne a été signé ce mardi à Aix-la-Chapelle (Rhénanie-du-Nord-Westphalie) entre Emmanuel Macron et Angela Merkel, cinquante-six ans, jour pour jour, après le traité de l'Elysée signé par Charles de Gaulle et Konrad Adenauer. Secrétaire général du Comité d'études des relations franco-allemandes de l'Institut français des relations internationales (Ifri), Hans Stark en décrypte les enjeux.
Pourquoi la France et l'Allemagne signent-elles un nouveau traité ?
Le traité de l'Elysée, signé en 1963, a posé les bases de la coopération franco-allemande sur les plans gouvernemental et sociétal. Il n'a pas perdu sa raison d'être. Les deux pays auraient pu continuer à fonctionner ainsi pendant des décennies. Toutefois, le nouveau traité, qui sera signé mardi à Aix-la-Chapelle, est important car il traite tous les points d'accrochages apparus dans la relation franco-allemande depuis la fin de la Guerre froide. Malgré notre bonne entente, nos cultures sont différentes, notamment en matière de défense et de sécurité. Les Allemands sont, par exemple, très réticents à s'engager en opérations extérieures. En économie, nous sommes très keynésiens en France, tandis que l'Allemagne est plutôt libérale. Ce qui pose problème dans la mise en oeuvre d'une union économique et monétaire.
Paris et Berlin ne se coordonnent-elles pas déjà sur les principaux sujets ?
Certes. Cependant, ce traité propose d'aller bien plus loin, lorsqu'il parle de créer une zone économique franco-allemande. Ce qui signifie une harmonisation des règles budgétaires et fiscales, des politiques sociales et des systèmes de retraite. Sur les questions internationales, de défense et de sécurité, les deux pays sont aussi censés se coordonner. Il est toutefois probable sur ce point que Paris et Berlin conservent leurs intérêts propres. Bien sûr, on peut regretter que le traité ne fixe pas de calendrier. Le texte ne dit pas comment parvenir à cette zone économique, ni dans quel délai. Mais avec un échéancier contraignant, le risque d'échec aurait été élevé.
Pourquoi tant de "fake news" circulent-elles sur ce traité ?
Le traité d'Aix-la-Chapelle veut renforcer l'Union européenne, les souverainistes veulent la quitter. Pour ces derniers, qu'ils soient du Rassemblement national [ex-FN], de la France insoumise ou des nombreuses petites formations, telles celle de Nicolas Dupont-Aignan, cela va évidemment trop loin sur le plan du rapprochement des politiques militaires, étrangères, économiques et transfrontalières. D'où les fake news, qui sont des attaques pour délégitimer le traité et ses auteurs. Le tout dans une ambiance surchauffée et complotiste.
Le traité ne prévoit aucun partage de souveraineté. En particulier, la dissuasion nucléaire française. La France ne cédera pas plus le Grand Est que l'Allemagne la Sarre ou le Bade-Wurtemberg. Paris ne perdra pas son siège permanent au conseil de sécurité de l'ONU et l'Allemagne ne sera pas forcée (ni même sollicitée) d'accepter des transferts financiers ou l'envoi de ses troupes en Afrique.
Le texte met l'accent sur les relations transfrontalières. Que faut-il améliorer ?
Le passage d'un pays à l'autre est encore semé d'embûches. Il est difficile, par exemple, pour une entreprise allemande de s'implanter en France, en raison des obstacles bureaucratiques. Les gens qui traversent la frontière pour travailler ont du mal à se constituer une retraite dans le pays où ils cotisent. De même, l'accès aux soins n'est pas simple. Le traité va faciliter les conditions de vie de ces personnes.
L'article 4 du traité fixe une clause de défense mutuelle en cas d'attaque, notamment terroriste. N'est-ce pas un doublon de l'article 5 du traité de l'Atlantique nord ?
C'est une déclaration de garantie mutuelle. Certes, les deux pays ne vont pas réinventer l'Otan. La question n'est pas là. Il doit y avoir une réflexion commune sur les nouvelles menaces. Ces dernières années, l'Allemagne s'est tourné davantage vers sa défense territoriale, face à la Russie. Elle va sans doute demander à la France de renforcer son engagement pour la défense de l'Europe de l'est. En contrepartie, Berlin devra continuer ses efforts pour la sécurité du sud, et s'engager davantage dans les opérations extérieures. Cela passe aussi par des règles communes en matière d'exportations d'armement et par la mise sur pied d'une industrie de défense européenne autour d'un noyau franco-allemand.
Où en est le couple franco-allemand ?
En arrivant à l'Elysée, Emmanuel Macron a voulu donner de l'espoir à la France après des années de sinistrose. Il a aussi souhaité donner un nouveau souffle à la construction européenne, dans son discours à la Sorbonne à l'automne 2017. Cela passe forcément par un rapprochement avec l'Allemagne. Ses prédécesseurs avaient essayé de s'en éloigner, avant d'y revenir, contraint et forcé. Macron, lui, s'est tourné immédiatement vers Berlin. Il s'est doté de collaborateurs qui parlent la langue allemande et qui connaissent parfaitement le pays.
Les choses n'ont pas avancé aussi vite qu'il le souhaitait car les Allemands ont été accaparés par leurs affaires intérieures, en raison du calendrier électoral et des difficultés à former un gouvernement qui a pris plus de six mois. En 2018, l'Allemagne a connu des crises politiques, jusqu'à ce qu'Angela Merkel décide de quitter la présidence de la CDU en décembre dernier. Aujourd'hui, c'est la France qui connaît des problèmes intérieurs. Ce qui compte, malgré tout, c'est que Macron a ouvert les bras à l'Allemagne. Il a dit voilà ce que je veux faire et sur quoi on doit travailler si l'on veut avancer. Les Allemands, pragmatiques et lents comme ils sont parfois, ont répondu "oui, mais". Ce "oui, mais" a tout de même permis d'accoucher ce traité.
La date de cette signature solennelle n'a-t-elle pas à une dimension électoraliste, à quelques mois des européennes ?
Oui et non. Non, parce que Macron aurait voulu le signer l'an dernier. Idéalement, ce traité aurait dû être signé en 2018 et non en 2019, pour les 55 ans du traité de l'Elysée. Il marque une volonté proeuropéenne, bien sûr. Mais je ne pense pas qu'en mai la majorité des électeurs allemands et français vont se souvenir de ce traité avant de mettre en bulletin dans l'urne.
Lire cet article sur le site de L'Express.
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