Les destins croisés de l'Iran et de la Russie
En septembre 2022, l’Iran et la Russie ont bifurqué. L’assassinat de Mahsa Amini a déclenché des protestations sans équivalent depuis la création de la République islamique en 1979, avec « Femme, vie, liberté » pour slogan. En décidant de tomber le voile, les femmes iraniennes font vaciller le régime des mollahs, qui répond par une répression d’une rare violence. mœurs.
Relayé par les réseaux sociaux, le « sautage de turban » de religieux est devenu le symbole d’une jeunesse décidée à abattre cette théocratie, qui tente de contrôler les corps par sa police des mœurs. En Russie, Vladimir Poutine a décidé la mobilisation de 300 000 hommes pour éviter un effondrement de ses forces militaires, mises en échec en Ukraine. Cette mobilisation a provoqué la fuite de plusieurs dizaines de milliers de personnes du pays pour éviter l’enrôlement. La mobilisation et la fuite vident la Russie de ses forces vives. Le contraste entre ces deux sociétés hyperconnectées est frappant : d’un côté, une population jeune et courageuse, qui rejette le pouvoir théologico-politique ; de l’autre, une population vieillissante et résignée, embarquée dans une aventure militaire d’un autre âge.
Si les sociétés sont si différentes, ce n’est pas le cas des deux régimes qui se définissent par la construction d’un système antidémocratique sophistiqué, qui va de pair avec un anti-occidentalisme revendiqué. Téhéran et Moscou établissent un lien organique entre nation et confession afin de dresser une frontière étanche avec un Occident qui n’est plus assimilé au christianisme, mais à l’athéisme, au matérialisme, à la dépravation et à l’homosexualité. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les discours d’Ali Khamenei et de Vladimir Poutine, lequel n’hésite plus à invoquer un satanisme occidental. En outre, les deux capitales lisent l’histoire de l’humanité comme une guerre permanente entre civilisations. La République islamique s’est forgée dans sa guerre contre l’Irak (1980-1988) qui lui a permis de s’approprier l’identité nationale. En Russie, la guerre est consubstantielle au pouvoir de Poutine, de la Tchétchénie à l’Ukraine en passant par la Géorgie et la Syrie. Dans les deux cas, ce sont les équilibres entre les pouvoirs politique, religieux, militaire et des services de sécurité qui orientent le cours du régime. Dans les deux cas, il est impossible de prévoir la tournure des événements lorsque Khamenei et Poutine quitteront, de gré ou de force, leurs fonctions.
En dépit de leur antagonisme historique, la Russie et l’Iran se rapprochent sur le plan militaire. Les deux pays se sont coordonnés pour soutenir à bout de bras le régime de Bachar al-Assad en Syrie. L’Iran apporte un soutien militaire aux forces russes en leur livrant des drones indispensables à la poursuite des bombardements en Ukraine. Les deux régimes s’organisent autour de structures de force puissantes, travaillées par de sourdes rivalités mais qui, pour l’heure, demeurent loyales au pouvoir central. Elles assurent à la fois répression politique et la prédation économique, indispensables à son maintien.
L’Iran et la Russie sont aujourd’hui les deux pays les plus sanctionnés au monde, qui dépendent de leurs capacités d’exportation de pétrole et de gaz. La situation économique et sociale du premier est beaucoup plus dégradée que celle de la seconde. Ils se tournent de plus en plus vers la Chine, à tel point qu’il faut s’interroger sur leur degré d’intégration au système énergétique de cette dernière. Sur le plan diplomatique, l’Iran a rejoint l’Organisation de coopération de Shanghai en septembre 2021. La Russie et l’Iran se retrouvent dans des oppositions indirectes en raison notamment de la proximité entre Moscou, Tel-Aviv et Riyad. Israël et l’Arabie saoudite, qui se rapprochent, n’accepteront pas que l’Iran franchisse le seuil nucléaire. Signataire de l’accord sur le programme nucléaire iranien dénoncé par Donald Trump, Moscou s’est toujours opposée à l’acquisition de l’arme nucléaire par Téhéran, tout en soutenant son programme civil. Un Iran nucléaire changerait l’équation stratégique internationale et aurait des effets immédiats sur les rapports régionaux. Les deux régimes entretiennent, chacun à sa manière, des ambitions impériales, qui alimentent deux nationalismes mondialisés. Cependant, leurs populations réagissent différemment. Si la société russe semble anesthésiée, ce n’est plus le cas de la société iranienne.
> VOir l'article sur le site de la revue Études
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