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L’ombre bleue de l’AfD plane sur l’Allemagne

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A quoi est dû le succès de l’Alternative für Deutschland ? Jeanette Süß, chercheuse à l'Institut français des relations internationales, explique la remontée fulgurante du parti d'extrême droite par des facteurs tant conjoncturels que structurels.

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Affiche électorale de l'administrateur de district de Sonneberg, Thuringe, Allemagne, juin, 2023
Affiche électorale de l'administrateur de district de Sonneberg, Thuringe, Allemagne, juin, 2023
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« Des paysages florissants » dans lesquels il fait bon vivre et travailler – telle était la promesse formulée par l’ancien chancelier Helmut Kohl en 1990, année de la réunification. Plus de trente ans après, l’arrivée au pouvoir de l’Alternative für Deutschland (AfD), parti d’extrême droite, dans l’arrondissement (Landkreis) de Sonneberg en Thuringe illustre la colère qui succède à l’espoir et ébranle tout le pays. Alors que les marges de manœuvre du nouveau dirigeant de Sonneberg Robert Sesselmann sont très restreintes, la question de la montée en puissance d’un parti xénophobe, antidémocratique et populiste se pose dorénavant.

A quoi est dû ce succès engrangé par l’AfD ? Avant toute chose, il convient de rappeler que la percée du parti depuis la crise de la zone euro, suivie par la crise migratoire, a été freinée par des scores électoraux plus modestes lors des dernières élections législatives allemandes en automne 2021 avec 10,3% contre 12,6% en 2017 au niveau fédéral. Or, alors que le parti avait déjà fait des scores remarquables dans les Länder de l’Est à l’époque (21,9% en 2017 et 19,1% en 2021), sa cote de popularité a grimpé à 19% au niveau fédéral selon les sondages actuels. Cela le place au même niveau que les traditionnels « partis du peuple » (Volksparteien), dénomination habituelle des grands partis politiques historiques en Allemagne (CDU/CSU, SPD). Cette remontée fulgurante s’explique autant par des facteurs structurels que conjoncturels.
 

Une démagogie qui prépare le terrain pour l’extrême droite

Plusieurs événements politiques et sociaux affectent momentanément le modèle économique allemand. Avec la guerre russe en l’Ukraine, l’augmentation drastique des prix de l’énergie et le débat sur une éventuelle pénurie d’énergie en hiver 2022, une partie des Allemands se sentent de plus en plus déstabilisés et inquiets de leur avenir. Le nombre croissant de réfugiés ukrainiens (plus de 1,2 million depuis février 2022) et la confusion au sein du gouvernement autour de la politique relative aux systèmes de chauffage domestiques accentuent la lutte pour les ressources. A cela s’ajoute l’opposition des chrétiens-démocrates, poussés par des médias populaires, voire populistes, qui n’ont pas manqué de critiquer la coalition actuelle, en premier lieu les Verts, avec des propos les comparant à une « Stasi de l’énergie », désireuse de porter atteinte à l’industrie nationale.

Cette démagogie prépare le terrain pour l’extrême droite – qui n’hésite pas à reprendre les mêmes termes. De manière similaire, en France, les Républicains peinant à se démarquer du Rassemblement national radicalisent leur discours et propositions politiques. Néanmoins, à la différence de la France, la CDU/CSU arrive encore à capitaliser sur sa stratégie, avec des sondages la portant à 28-32% contre 24% aux dernières élections en 2021. Il se pourrait malgré tout que l’extrême droite finisse par être la grande gagnante de cette stratégie, à force de dédiabolisation continue.

Des facteurs structurels, notamment à l'Est

Au-delà de ces effets conjoncturels, des facteurs plus structurels expliquent la montée en puissance de l’AFD en Allemagne, particulièrement à l’Est. Malgré les luttes intestines entre la direction et les factions du parti, l’aigreur grandissante de la population allemande constitue à n’en pas douter un réservoir de voix toujours plus important pour l’AfD. Le danger de cette expansion réside surtout dans ses soutiens rejetant fondamentalement le système politique allemand. Ce phénomène est plus prononcé à l’Est, avec deux fois plus de personnes s’affichant ouvertement contre la démocratie comme forme de gouvernement. La moitié des Allemands de l’Est sont satisfaits du fonctionnement de la démocratie – contre deux tiers des Allemands de l’Ouest.

Ces facteurs contribuent à polariser le vote des Länder de l’Est autour des questions sociales, de l’interventionnisme public, et des infrastructures – faisant l’objet en Allemagne d’un sous-investissement chronique. Des thèmes comme la retraite, l’immigration, la sécurité sociale et intérieure jouent en effet un rôle nettement plus important à l’Est. A l’inverse, le changement est relégué au second plan.

Cela s’explique notamment par les fragilités encore réelles de l’ancienne RDA sur le plan économique. Les Länder est-allemands se situent aujourd’hui à peu près au même niveau que l’Allemagne de l’Ouest dans les années 1980. De nombreuses entreprises de la RDA ont fait faillite après la chute du Mur, entraînant de nombreuses pertes d’emplois. Il est tout de même remarquable que l’on soit passé d’une économie planifiée à une économie de marché, mais il semble qu’une partie de la population est-allemande, grande perdante de la mondialisation, n’ait pas internalisé ce changement économique, qui devait s’accompagner d’un changement de valeurs.

La coalition actuelle dite du « feu tricolore » (SPD, FDP et Alliance 90 / Verts) se voit ainsi contrainte de repenser son approche politique et sa stratégie de communication dans les domaines politiques qui impactent le quotidien des citoyens.

 

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Jeanette SÜẞ

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