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L'Ukraine déséquilibre les relations sino-européennes

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En rompant les liens entre la Russie et l’Union européenne (UE), la guerre d’Ukraine conduit à une reconfiguration, aussi rapide que profonde, des relations entre pays européens et pays asiatiques. Il est désormais impossible de dissocier le dossier ukrainien de celui de la mer de Chine, dans la mesure où ils impliquent directement Washington et Pékin.

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Thomas Gomart
Thomas Gomart
Mike Chevreuil
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Engagées dans un cycle de confrontation, les deux superpuissances, qui représentent plus de 40 % du produit intérieur brut (PIB) mondial et plus de mille milliards de dollars de dépenses militaires annuelles, se jaugent en permanence. Une défaite de la Russie en Ukraine serait un revers pour la Chine car elle serait interprétée comme une victoire des démocraties occidentales sur les régimes autoritaires désireux de modifier l’ordre international. Une rupture brutale du statu quo à Taïwan obligerait les États-Unis à intervenir, à moins qu’ils ne renoncent à exercer leur influence historique en Asie de l’Est.

Les Européens ont pris conscience de leur double interdépendance économique, financière et technologique avec la Chine et les États-Unis. Le capitalisme global s’organise en grande partie sur des relations triangulaires déséquilibrées. Pour mémoire, l’année dernière, la Chine représentait plus de 20 % des importations de l’UE, et les États-Unis presque 12 %. À l’horizon de 2030, les prévisions du PIB s’élèvent à 20 500 milliards de dollars pour l’UE, à 30 500 milliards pour les États-Unis et à 33 700 milliards pour la Chine. Sur le plan stratégique, il faut relever trois évolutions notables, qui reflètent le déplacement du centre de gravité du système monde vers l’Asie orientale.

En premier lieu, la visite de Xi Jinping à Moscou, en mars dernier, a permis de mesurer l’écart de puissance qui existe désormais entre Pékin et Moscou. Un an après avoir annoncé « leur amitié sans limites », les deux dirigeants se retrouvent pour fustiger les États-Unis, tenus pour responsables de tous les maux internationaux. En second lieu, lors de sa visite à Kiev, Fumio Kishida, le Premier ministre du Japon, a apporté un soutien sans faille à Volodymyr Zelensky. Il opère ainsi une rupture pour la diplomatie japonaise, dans la mesure où son prédécesseur – Shinzō Abe (1954-2022) – avait rencontré Vladimir Poutine à de multiples reprises sans jamais parvenir à un traité de paix pour « les territoires du Nord ». Aujourd’hui, les officiels japonais s’inquiètent d’être entourés par trois puissances nucléaires autoritaires : la Chine, la Russie et la Corée du Nord. Ils considèrent également que les sanctions prises à l’encontre de la Russie après son annexion de la Crimée ont été interprétées comme un signe de faiblesse de la part de Pékin, qui y a vu un blanc-seing pour la mise au pas de Hong Kong. En dernier lieu, il faut noter le rôle de la Corée du Nord dans le soutien militaire apporté à la Russie et celui de la Corée du Sud. Cette dernière est en train de devenir un acteur indirect de la sécurité européenne puisqu’elle devrait fournir des armes à la Pologne, dans les années à venir. Pour la Corée du Sud et le Japon, dont les relations demeurent compliquées, les garanties de sécurité américaines restent cruciales.

Avec la guerre d’Ukraine, les Européens constatent, d’une part, l’influence grandissante des pays asiatiques sur la sécurité européenne et, de l’autre, que les interdépendances économiques ne garantissent nullement, en Europe comme en Asie, la stabilité stratégique. C’est pourquoi ils se voient obligés de repenser leur politique à l’égard de la Chine, politique fortement contrainte par les attentes des États-Unis à leur égard. En mars 2023, la Chine a présenté un projet de « règlement politique de la crise ukrainienne », qui vise à « promouvoir la construction d’une architecture de sécurité européenne équilibrée, effective et durable ». Ce projet rappelle les principes de la Charte des Nations unies, pourtant violée par Moscou, ainsi que son opposition à l’expansion des blocs militaires.

Pour les dirigeants européens, alliés des États-Unis, il s’agit désormais d’intégrer le facteur chinois à leurs calculs car la sécurité européenne se conçoit comme une composante des équilibres du « continent eurasiatique ». Comme le déclarait la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, à la veille de sa visite en Chine avec Emmanuel Macron : « Je pense qu’il n’est ni viable, ni dans l’intérêt de l’Europe, de se distancier de la Chine » après avoir rappelé que « tout plan de paix qui consacrerait les annexions russes n’est tout simplement pas viable ». En réalité, l’UE est en déséquilibre pour agir.

 

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