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Macron en fait-il trop sur la tech ?

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Après la réception de dirigeants d'entreprises de la tech à l'Elysée, le 23 mai, le spécialiste des questions numériques Julien Nocetti (IFRI) décrypte la stratégie d'Emmanuel Macron.

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Les 24 et 25 mai 2011, en marge du G8 de Deauville, l'Elysée menait un " e-G8 ". Commande politique financée par des industriels et orchestrée par un groupe publicitaire (Publicis), l'e-G8 avait alors suscité bien des polémiques, tant par sa conception étroite du numérique – abordé uniquement à travers l'angle de la création de valeur – que par l'étrange ambition, affichée par Nicolas Sarkozy, de " civiliser " Internet.

Sept ans plus tard jour pour jour, le double événement " Tech for Good " et le Salon " Viva Technology " auraient-ils buté sur les mêmes écueils ?

Stratégie d'influence

Emmanuel Macron a une expérience et une compréhension très différente des enjeux numériques de celles développées par son prédécesseur. Depuis son élection, le président cherche à rehausser l'attractivité de la France – le numérique devant servir de " bras armé " à cette conquête des cœurs, des " talents " et des investissements. En la matière, l'année écoulée s'est matérialisée par un recours assumé et structuré à deux axes traditionnels de la politique d'influence.

Par un foisonnement doctrinal d'abord : en l'espace de quatre mois, cet hiver, trois " stratégies " ont été rendues publiques – la Stratégie internationale de la France pour le numérique, pilotée par le Quai d'Orsay, la Revue stratégique de cyberdéfense, coordonnée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, et le Rapport Villani sur l'intelligence artificielle, commandé par le Premier ministre. Ces trois documents replacent les débats sous un angle européen bienvenu mais reflètent une tension – qui n'est pas nouvelle mais amplifiée – au sein de l'appareil d'Etat entre les tenants d'une inexorable digital globalization et les défenseurs d'une souveraineté numérique, condition essentielle de la souveraineté nationale.

Par une diplomatie de conférence ensuite : le Tech for Good suit les récents événements AI for Humanity et Choose France. La tenue régulière de conférences internationales est une dimension fondamentale du soft power, car elle permet de mettre à l'agenda des débats importants au niveau mondial, voire de façonner les discours sur ces débats. Dans le cas présent, on ne peut qu'être surpris par l'actuel partage des rôles entre l'Union européenne et la France : quand Bruxelles joue les bad cops en s'obstinant à lutter contre la désinformation en ligne et les pratiques d'optimisation fiscale et de concurrence déloyale des grandes plateformes, Paris se positionne en hub mondial pour l'innovation.

Prisme transatlantique

Ces deux dimensions ne sont pourtant pas suffisantes et la démarche d'Emmanuel Macron souffre, comme du temps de l'e-G8, de quelques travers. En 2011, la manifestation avait buté sur la question de la représentativité. En 2018, même problème : le Tech for Good réunit dans son écrasante majorité des géants de la Silicon Valley, la présence française étant principalement assurée par des grands groupes, au détriment des startups. A l'exception de Samsung et de Tencent, aucun acteur asiatique n'était présent. Comme l'e-G8, le Tech for Good s'est détourné du numérique comme facteur de puissance, en considérant que l'essentiel du débat et des enjeux s'inscrivent dans le cadre transatlantique. Or, en 2018, la géopolitique du numérique est largement décentrée du seul axe transatlantique : elle concerne également l'Asie.

Pourtant, dans ce cadre, la France a un rôle moteur à jouer, précisément en désaxant les débats qui se focalisent sur la rivalité sino-américaine, en particulier dans les technologies de rupture (intelligence artificielle, crypto-monnaies). A la France aussi d'éviter un accaparement du discours conquérant par la tech californienne… et les régimes autoritaires.

Aussi, il convient d'aller au-delà des effets d'annonce qui croisent enjeux d'image et priorités nationales (la création d'emplois…). Le storytelling de l'économie numérique produit bien souvent un effet d'aveuglement auprès de nos dirigeants, soucieux de préserver l'emploi et sous-estimant la dimension stratégique des conséquences des mutations de celui-ci. Une lecture critique de l'annonce faite par plusieurs géants de la tech de recrutements massifs en France pourrait être celle d'un pillage des cerveaux… à domicile.

Enfin, les initiatives présidentielles gagneraient à ne pas occulter les nombreux sujets qui fâchent, au profit des grandes plateformes qui, à Paris, ont pu combler partiellement la défiance généralisée qu'ils suscitent en se façonnant une image d'organisations quasi-philanthropiques. Faisant oublier que leur pouvoir repose sur l'exploitation des données personnelles des trois milliards d'internautes dans le monde.


Relire la tribune sur le site de Challenges

 

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Julien NOCETTI

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