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Macron excluant une riposte nucléaire en Ukraine : «C'est une chose de le penser, c'en est une autre de le dire à la télévision»

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interviewée par Julien Lecot pour

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Pour Héloïse Fayet, chercheuse à l'Ifri, la sortie d'Emmanuel Macron sur la riposte française en cas d'attaque nucléaire russe en Ukraine est «hasardeuse» mais ne marque pas pour autant un changement de doctrine.

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C'est la réponse qui a fait le plus parler, en France comme à l'étranger, dans l'interview qu'a donnée Emmanuel Macron à France 2 mercredi soir. Interrogé sur la menace d'une attaque nucléaire que Vladimir Poutine ne cesse d'agiter , le chef de l'Etat a déclaré ?: «La France a une doctrine nucléaire. Elle repose sur les intérêts fondamentaux de la nation... Ce n'est pas du tout ça qui serait en cause s'il y avait par exemple une attaque balistique nucléaire en Ukraine ou dans la région. Nous avons un cadre pour ce qui nous concerne.» Depuis quarante-huit heures, les critiques fusent. Pour certains, Emmanuel Macron en a trop dit et s'est montré trop clair sur la stratégie française. Pour d'autres, cette déclaration est comme un aveu de faiblesse face au Kremlin alors que Joe Biden alertait début octobre sur un risque «d'apocalypse» si Vladimir Poutine continuait d'utiliser la menace nucléaire en Ukraine. Héloïse Fayet, chercheuse et coordinatrice du programme Dissuasion et prolifération à l'Ifri, analyse pour Libération cette sortie qu'elle juge certes «hasardeuse» mais qui ne marque pas pour autant un changement de doctrine de la France.

Comment analyser la sortie d'Emmanuel Macron sur la doctrine de dissuasion nucléaire de la France ?

On peut l'analyser de deux façons. D'abord, cette réponse rappelle qu'en France, c'est le président qui a la main sur la dissuasion nucléaire. C'est pour ça qu'il est élu au suffrage universel direct, comme le voulait de Gaulle?: le peuple élit celui qui a la main sur le bouton. Emmanuel Macron rappelle que le président peut, s'il le souhaite, commenter ou modifier la doctrine, et que les intérêts vitaux [et non fondamentaux comme énoncé par Emmanuel Macron mercredi soir, ndlr] sont définis à la discrétion du président.

Ensuite, sa déclaration apparaît comme une tentative d'expliciter ce dont tout le monde se doute, à savoir qu'il est extrêmement peu probable qu'une attaque nucléaire sur le sol ukrainien affecte les intérêts vitaux français au point de déclencher une riposte nucléaire française. Cependant, c'est une chose de le penser dans des cercles restreints, c'en est une autre de le dire à la télévision. Enfin, ce qui est le plus problématique, c'est d'affirmer qu'une frappe nucléaire «dans la région» ne susciterait pas non plus de riposte. Que veut-il dire par «région»?? Si c'est la Pologne ou la Roumanie, deux membres de l'UE, de l'Otan et partenaires de la France, cela risque d'affecter l'image que le gouvernement souhaite donner de la dissuasion nucléaire française. On peut espérer que cette sortie soit suivie d'actes de réassurance et de précision auprès de ces partenaires.

Est-ce que ça contredit la doctrine qu'il prône depuis son premier mandat ? 

Questionnée à ce sujet, la réponse de l'Elysée est ambiguë mais renvoie à la doctrine de février 2020 : de ce fait, les propos du président mercredi semblent être considérés en interne plus comme une formulation hasardeuse que comme une réelle évolution de la doctrine.

Qu'est-ce que ce discours de février 2020 avait de particulier ?

Emmanuel Macron a insisté sur la dimension européenne des intérêts vitaux de la France. Ce n'est pas nouveau en soi : de Gaulle l'avait évoquée dès la naissance de l'arme atomique française, et quasiment chaque président l'a reprise depuis dans leurs discours pour parler de l'évolution de la doctrine. Mais ce discours de février 2020 avait été assez abondamment commenté car il s'accompagnait d'une invitation pour les partenaires européens à engager un dialogue stratégique sur les intérêts de sécurité européens. De plus, il avait été prononcé dans un contexte particulier, pendant la présidence Trump autour de laquelle il y avait une grosse question sur la crédibilité de la dissuasion américaine élargie.

On parle beaucoup du «flou» à entretenir autour de la doctrine nucléaire. Qu'en est-il ? 

L'ambiguïté est au coeur du processus de dissuasion, et ce n'est pas propre à la France. Vous n'allez pas dire très précisément à vos adversaires ?: «Si vous tapez tel site ou tel site, on répliquera», car cela signifierait qu'il peut viser le reste sans qu'il n'y ait de riposte nucléaire. Il y a donc une ambiguïté volontaire, un équilibre assez subtil à garder entre le fait de ne pas trop en dire, tout en en disant suffisamment pour que l'adversaire ne puisse pas involontairement dépasser votre ligne rouge.

Emmanuel Macron en a-t-il trop dit ?

Ce n'est pas à moi d'en juger. Si le président, dont la dissuasion est une compétence exclusive, a estimé que c'était juste et nécessaire, on suppose qu'il a ses raisons. En revanche, il en a certainement dit plus que d'habitude, et sans coordination apparente avec les autres dirigeants s'étant exprimés sur le sujet, notamment Josep Borrell, Joe Biden et Jens Stoltenberg. Est-ce que cela entretient volontairement l'ambiguïté pour mieux dissuader la Russie, ou au contraire cela risque-t-il de brouiller le message auprès des partenaires de la France ? Leurs réactions sont à surveiller.

> Lire l'interview dans Libération

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Héloïse FAYET

Héloïse FAYET

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Chercheuse, responsable du programme dissuasion et prolifération, Centre des études de sécurité de l'Ifri

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