Mort du président tanzanien Magufuli : «Il va laisser un mauvais souvenir»
Drapeaux en berne et deuil de deux semaines en Tanzanie après la mort du chef de l’État, John Magufuli. C'est la vice-présidente qui a annoncé son décès ce mercredi 17 mars. John Magufuli avait 61 ans et dirigeait la Tanzanie depuis cinq ans.
Il avait été réélu pour un deuxième mandat en octobre dernier. Quelles conséquences peuvent avoir sa disparition ? Éléments de réponse avec Thierry Vircoulon, coordinateur Afrique centrale et australe à l'Institut français des relations internationales.
RFI : John Magufuli a officiellement succombé à des problèmes cardiaques. Mais selon l’opposition et les réseaux sociaux, il était atteint du Covid-19. Est-ce que l’on sait de quoi est mort John Magufuli ?
Thierry Vircoulon : Les gens le savent probablement, mais nous n’avons pas de certitude là-dessus. En tout cas, il avait disparu depuis quelques semaines, il ne faisait plus d’apparitions publiques. Et en effet, la rumeur publique en Tanzanie disait qu’il était atteint du Covid.
Cette maladie, justement, le président la niait et son gouvernement aussi. Pourquoi ont-ils à ce point minimisé la maladie et son existence ?
Le président John Magufuli faisait partie de cette tendance étrange des covido-sceptiques ou corona-sceptiques – je ne sais pas quelle est l’expression exacte. Cela s’inscrivait dans une sorte de pensée générale de culture politique tanzanienne très anti-occidentale. Par conséquent, tout se mélangeait un peu. Cela allait de la lutte contre la contraception, des positions anti-contraception, au fait que les prières pouvaient prévenir, sauver le pays des épidémies et notamment du coronavirus, ce qu’il avait dit à plusieurs reprises. Il avait déclaré, en effet, qu’il n’y avait pas d’épidémie dans son pays, que c’était les efforts de prière qui avaient réussi cela. Donc, il faisait partie de toute cette tendance de personnes qui mettent en doute le virus et promeuvent des traitements à base d’herbes médicinales ou d’inhalations pour lutter contre cette pandémie. D’ailleurs, le président Nkurunziza est mort aussi, apparemment, du Covid. Ce corona-scepticisme est très présent dans certaines parties d’Afrique.
Est-ce qu’il y a d’autres pays qui adoptent cette même stratégie de négation ? Comment expliquer, un an après l’apparition de la maladie, que ces théories existent encore ?
Il y a d’autres pays. Je parlais du Burundi… À Madagascar, c’est aussi le cas. On voit en effet des gouvernements qui sont dans cette position de déni, qui interdisent que l’on écrive sur le sujet et même que l’on publie sur le sujet. En Tanzanie, l’Église catholique avait dû sortir de sa réserve pour contredire le président et dire qu’on voit bien qu’il y a de plus en plus de messes pour des décès, et donc que le coronavirus est encore présent dans le pays. Comment on l’explique ? Honnêtement, c’est surprenant de voir des dirigeants qui se mettent un peu en marge de la lutte mondiale contre la pandémie, en adoptant ce négationnisme.
Et comment les Tanzaniens régissent-ils – la population en général – à ces messages officiels ? Est-ce qu’ils y croient ?
Certains y ont cru au début. Mais petit à petit, à cause du fait que les gens tombent malades, ils voient qu’il y a en effet un problème et que le virus est là. Néanmoins, en Afrique de l’Est, on n’est pas évidemment sur un impact de la pandémie aussi fort qu’en Europe. Donc, il n’y a pas autant de gens qui meurent, il n’y a pas un taux de létalité très fort du virus. Par conséquent, cela maintient un certain scepticisme et, malheureusement, de ce fait, les gens prennent moins de précautions.
John Magufuli est mort alors qu’il venait d’entamer son second mandat. Quel souvenir va-t-il laisser aux Tanzaniens ?
Il va laisser un mauvais souvenir. Parce qu’en fait, il est arrivé au pouvoir, comme président en 2015, après une longue carrière politique, puisqu’il est devenu député dès les années 1990. Après, il a été à différents postes ministériels. Mais c’est en 2015 qu’il est élu président et, à partir de ce moment-là, il va y avoir une vraie dérive autoritaire de son régime, alors que la Tanzanie était considérée plutôt comme un pays plus ou moins démocratique, même si le parti au pouvoir est au pouvoir depuis l’indépendance. Mais aux élections de 2015, il a été très sérieusement défié par l’opposition à 40% des voix, laquelle est montée en puissance. John Magufuli a inversé tout cela avec une dérive autoritaire. Il a muselé l’opposition, il a muselé la presse et il a muselé son parti. Il s’est imposé contre ses rivaux à l’intérieur de son propre parti. Il a été réélu en 2020, au terme d’une élection qui était complètement frauduleuse, où lui-même est passé de 58% à 84% des voix, de 2015 à 2020, et où son parti est passé de 73% des sièges du Parlement à 99%.
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