Pétrole : l’Arabie saoudite et la Russie font front commun face à l’Iran
Les pays de l’OPEP se réunissent vendredi à Vienne. Riyad souhaite accroître la production pour stabiliser les prix, ce qui provoque la colère de Téhéran.
Les défaites cinglantes au football n’empêchent pas les affaires pétrolières. Alors que les joueurs russes fêtent leur écrasante victoire (5-0) contre l’Arabie saoudite, en match d’ouverture de la Coupe du monde, jeudi 14 juin, le président russe, Vladimir Poutine, et le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman, se félicitent en coulisses. Leurs deux pays viennent une nouvelle fois de s’entendre sur la prochaine étape de leur stratégie pétrolière.
Le marché a anticipé cette probable augmentation de production : le cours du baril s’est tassé vers les 75 dollars
Après s’être beaucoup investis, ces derniers mois, pour faire remonter les cours de l’or noir, Moscou et Riyad se sont cette fois accordés sur leur volonté de voir repartir la production à la hausse, afin de stabiliser les prix. En quelques jours, le marché a anticipé cette probable augmentation. Ainsi, le cours du baril s’est tassé, autour de 75 dollars. La prochaine étape, vendredi 22 juin, consiste à faire accepter aux pays membres de l’OPEP cette hausse de production. C’est là que le bât blesse.
Dans les couloirs feutrés du cartel pétrolier, à Vienne, les difficiles tractations entre délégations ont déjà commencé. Les tensions entre l’Arabie saoudite et l’Iran peuvent-elles faire imploser l’OPEP ? La réunion en Autriche promet d’offrir un nouveau théâtre d’affrontement entre les deux puissances régionales, avec la Russie en position d’arbitre.
« Les Russes et les Saoudiens ont des intérêts communs. En recommençant à produire comme avant les réductions de production, ils peuvent conserver leurs parts de marché et augmenter leurs revenus issus du pétrole », explique Jean-François Seznec, consultant au Global Energy Center du think tank américain Atlantic Council.
Trump « ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre »
Les Saoudiens ont également en tête une autre préoccupation. Le président des Etats-Unis, Donald Trump, a fait comprendre au royaume wahhabite qu’il n’accepterait pas que les cours continuent d’augmenter. Et pour cause : cette hausse se ressent déjà sur les prix de l’essence pour les conducteurs américains, au moment où ils s’apprêtent à faire de longs trajets en voiture cet été. Ces automobilistes sont aussi des électeurs, et les élections de mi-mandat du 6 novembre approchent. A Washington, les démocrates se sont déjà saisis du sujet pour dénoncer la baisse de pouvoir d’achat provoquée par la décision de M. Trump de sanctionner Téhéran.
De son côté, l’Iran, troisième pays producteur de l’OPEP, subit de plein fouet les conséquences économiques du retrait américain de l’accord sur le nucléaire, début mai. Téhéran a fait savoir qu’il ne soutiendrait pas une reprise de la production. « La hausse des prix est due au président américain lui-même. Il ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre », a asséné le ministre iranien du pétrole, Bijan Namdar Zangeneh, mercredi à Vienne.
Les sanctions américaines sont en train de faire partir les compagnies pétrolières internationales, dont Total, qui espéraient investir dans le pays. Et même si les Etats européens ne sont pas officiellement sortis de l’accord, les compagnies pétrolières n’ont aucun intérêt à continuer à acheter du pétrole iranien et, partant, à s’aliéner l’administration Trump. Des parts de marché que les Saoudiens se verraient bien récupérer. « Personne ne va mourir pour l’Iran », résume un dirigeant pétrolier.
Pourtant, ces derniers temps, tout semblait aller pour le mieux dans l’univers pétrolier. En novembre 2016, le cartel des pays exportateurs de pétrole de l’OPEP, emmenés par l’Arabie saoudite, signait un accord historique avec la Russie et plusieurs autres Etats pétroliers. Ils s’engageaient à diminuer leur production, afin de réduire les stocks mondiaux et, surtout, de faire remonter les prix du brut.
Profits massifs après des années de disette
« Mission accomplie », s’enthousiasmait en avril l’Agence internationale de l’énergie. De fait, le prix du baril est passé de 28 dollars en janvier 2016 à 75 dollars en juin 2018, pour la plus grande joie des pays producteurs et des compagnies pétrolières, qui ont renoué avec des profits massifs après des années de disette.
- « Là où l’accord entre l’OPEP et la Russie a parfaitement réussi, c’est qu’ils ont fait baisser le niveau mondial des stocks et que cela a permis d’équilibrer le marché », décrypte Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du centre énergie de l’Institut français des relations internationales, à Paris. « Mais il est en train de se déséquilibrer de nouveau. La croissance de la production pourrait être de nouveau supérieure à celle de la demande, notamment avec le boom de la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis. »
Or, c’est précisément cette montée en puissance de la production américaine qui avait provoqué une chute brutale des prix du pétrole, en 2014. Les Etats-Unis produisent désormais plus de 10 millions de barils par jour, un niveau comparable à celui de la Russie ou de l’Arabie saoudite.
C’est ce qui avait poussé Moscou et Riyad à se rapprocher, au grand étonnement de nombreux observateurs. Les deux pays, pourtant en opposition directe sur de nombreux dossiers liés au Proche-Orient – la Syrie et l’Iran, notamment –, ont maintenu depuis une alliance continue dans le domaine énergétique. Et leurs ministres de l’énergie respectifs, qui ont multiplié les rencontres ces derniers mois, ont évoqué à plusieurs reprises la nécessité de forger une alliance de long terme entre ces deux gros producteurs. « C’est peut-être le début d’un nouvel OPEP en dehors de l’OPEP », conclut Jean-François Seznec.
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