Pétrole : l'axe Moscou-Riyad à l'épreuve du coronavirus
L'Opep et son allié russe se réunissent à Vienne alors que la crise sanitaire fait chuter les prix du brut. L'Arabie saoudite veut encore réduire la production pour soutenir les cours. La Russie, moins dépendante de l'or noir, traîne des pieds. Mais Moscou ne devrait pas remettre en question une alliance cruciale qui va au-delà du pétrole.
La crise mondiale provoquée par l'épidémie de coronavirus est un nouveau test pour l'alliance entre l'Arabie saoudite et la Russie. Depuis plus de trois ans, l'Opep et dix autres pays producteurs de pétrole menés par Moscou se sont associés pour soutenir les cours du brut. Ils ont jusqu'à présent toujours réussi à s'entendre pour réduire leur production afin de faire face aux Etats-Unis qui inondent la planète de leur pétrole de schiste, pesant de façon permanente sur les prix de l'or noir.
Les treize pays du cartel et leur allié russe se retrouvent jeudi et vendredi à Vienne, au siège de l'Opep, alors que les cours se sont effondrés du fait de la baisse de la demande en Chine et des perspectives de ralentissement de l'économie mondiale . Le baril de brent s'est ressaisi depuis le début de la semaine - il cotait plus de 52 dollars mercredi après-midi -, mais il reste au plus bas depuis fin 2018.
Le dilemme du Kremlin
L'Arabie saoudite, leader de facto du cartel, pousse pour des quotas de production supplémentaires qui permettraient au moins de stopper la chute. Riyad voudrait retirer 1 million de barils par jour du marché, en plus de la réduction de 2,1 millions déjà en vigueur depuis le début de l'année.
Mais Moscou traîne des pieds, une posture systématique depuis la mise en place de l'alliance avec Riyad fin 2016.
- « Les intérêts des deux pays ne sont pas parfaitement alignés et le contexte actuel renforce le dilemme du Kremlin », analyse Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre énergie de l'Ifri.
A court terme, la Russie est mieux armée que les grands pays de l'Opep pour supporter des prix aussi bas et n'a donc pas forcément intérêt à intervenir, surtout si l'on estime que l'impact de l'épidémie sera passager.
Dévaluation du rouble
Moscou peut équilibrer son budget dès que le baril de brent dépasse les 42 dollars, selon le FMI, alors que l'Arabie saoudite est en déficit dès qu'il descend sous la barre des 84 dollars. Autre avantage de la Russie, le rouble est une monnaie flottante qui varie avec les cours du brut. La dévaluation du rouble (-6 % depuis le début de l'année face au dollar) atténue le recul des revenus pétroliers du pays. Le riyal saoudien, de son côté, est accroché au billet vert. Vladimir Poutine doit aussi tenir compte des intérêts des compagnies comme Rosneft et Gazprom. Contraintes de brider leur production depuis trois ans, elles militent pour un assouplissement des quotas.
Mais la gravité de la situation incite Vladimir Poutine à réagir. La chute des cours du brut pénalise l'économie russe. Elle lui coûterait 0,4 point de PIB cette année, estime Oxford Economics, ce qui annulerait intégralement l'effet des mesures de relance de l'économie annoncées par le Kremlin en janvier.
Défendre un cours plancher à 50 dollars
Pour la Russie comme pour l'Arabie, le risque est que la chute des cours reprenne de plus belle en l'absence d'annonces fortes. « Si l'Opep et ses alliés dévoilent des mesures jugées insuffisantes cette semaine, le marché les sanctionnera en poussant le brent sous les 50 dollars et peut-être significativement en-dessous, estime Francis Perrin, directeur de recherche à l'Iris. C'est pourquoi l'Arabie saoudite veut frapper un grand coup. »
« L'Opep doit retirer au moins un million de barils par jour supplémentaires en 2020 si elle veut défendre un cours plancher autour de 50 dollars », explique David Fyfe, économiste du cabinet de conseil Argus.
Influence russe au Moyen-Orient
La Russie prendra-t-elle le risque de bloquer un accord en ce sens ? « C'est improbable car le Kremlin n'a pas intérêt à affaiblir l'alliance avec Riyad qui comporte un volet géopolitique, poursuit Francis Perrin. Pour Poutine, elle s'inscrit dans le renforcement de l'influence russe au Moyen-Orient. » Le scénario le plus crédible est donc que la Russie et l'Opep s'entendent sur des quotas renforcés, quitte à ce que l'Arabie saoudite en prenne l'essentiel à sa charge et que la Russie se contente d'un engagement formel.
Vincent Collen
> Lire l'article intégral sur le site du journal Les Echos
Média
Partager