POINT DE VUE. Birmanie : la communauté internationale impuissante ?
Alors que le mouvement de désobéissance civile perdure en dépit de la répression, pourquoi la communauté internationale a-t-elle tant de difficultés à se faire entendre sur le dossier Birman ? L’analyse de Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse à l’Institut français de relations internationales.
« Alors que le mouvement de désobéissance civile perdure en dépit des violences et des morts provoqués par la répression de la Tatmadaw (l’armée birmane), alors que la contestation invente des formes de défiance créatives et toujours pacifiques, on s’interroge : pourquoi la communauté internationale a-t-elle tant de difficultés à se faire entendre et à contribuer à une solution de compromis ? Pourquoi, alors que ces millions de personnes risquent leur vie pour défendre des valeurs que nous prétendons être dans l’ADN européen, n’arrivons-nous pas à mieux les soutenir ? Les jeux sont-ils faits au profit des plus forts, des mieux armés et des plus brutaux ?
Une diplomatie de l’émotion pour l’opinion publique
L’armée birmane, principalement composée de Bamars (67 % de la population totale quand les 33 % restants appartiennent aux 135 autres ethnies officielles), a longtemps prétendu défendre l’identité birmane ; « gardienne de la nation », elle réagit dès qu’elle estime celle-ci menacée. D’où son caractère ultranationaliste. Après les multiples incursions extérieures qui ont marqué l’histoire du pays, elle est, en outre, atteinte d’un complexe obsidional et supporte difficilement les injonctions d’un Occident qui lui rappellent les humiliations imposées par les colons britanniques. Il y a donc ensuite toute cette série de gestes de défiance lancés par un Occident souvent guidé par une diplomatie de l’émotion à usage de son opinion publique.
Les menaces de sanctions ne les affectent pas beaucoup
Depuis les années 1990, l’Armée a pu observer cette succession d’effets d’annonce qui tombent dans l’oubli dès que la une des médias passe à autre chose ou dès que les divisions apparaissent au sein de cette même communauté internationale. Les enjeux derrière ces crises – les Rohingyas comme les coups d’État – dépassent de loin nos cris d’orfraie et nos condamnations. Enfin, depuis le début de la transition – schématiquement au début des années 2000 avec la feuille de route pour la démocratie (2003) et l’intégration dans l’ASEAN, l’Association régionale (1997) -, la Birmanie s’est mieux intégrée dans les circuits asiatiques et les entreprises gérées par l’armée ont profité de multiples opportunités de développement avec leurs partenaires régionaux. Nos menaces de sanctions ne les affectent pas beaucoup.
Faut-il en conclure qu’il faut baisser les bras ?
Faut-il en conclure qu’il faut baisser les bras ? Évidemment non mais l’Occident doit comprendre qu’avec la multiplication des coups de force (à Hong Kong, en Thaïlande…), ce type de captation de pouvoir par un groupe qui prétend agir dans l’intérêt collectif va se multiplier, au grand contentement d’une Chine qui fonctionne sur ce modèle précis (le PCC, 90 millions de membres, commande 1, 4 milliards de citoyens chinois « au nom de la stabilité et du développement »). À ce défi systémique, qui vise le cœur de nos démocraties participatives, notre réponse doit être cohérente et crédible.
Contribuer à refuser un fait accompli
Sur le terrain enfin, nous avons aussi des outils à notre disposition : assister le gouvernement « de droit » virtuel et ne pas reconnaître le gouvernement autoproclamé, maintenir un contact nourri avec les nombreuses ONG et mouvements civils (par le biais de leurs représentants en France) affiliés ou pas avec la LND (Ligue Nationale pour la Démocratie), aider financièrement les grévistes pour que les familles ne soient pas pénalisées par leur engagement politique (www.mutualaidmyanmar) et continuer à dénoncer les exactions de l’armée et de la police comme l’a fait le président Macron dans un tweet le 4 mars. En un mot, contribuer à refuser un fait accompli qui dévalorise le combat quotidien des citoyens birmans tout autant que notre histoire politique. »
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