Pourquoi le message est brouillé entre Paris et Berlin
Les ambitions de réformes pour l'UE d'Emmanuel Macron devaient permettre à la France de rééquilibrer sa relation avec l'Allemagne, devenue incontournable dans le paysage politique international. Absorbé par la gestion d'une instabilité politique intérieure inédite, Berlin fait la sourde oreille, renforçant la crainte de Paris d'être marginalisé. La course d'influence suscitée par la campagne des européennes renforce la fébrilité française.
Le message d'Emmanuel Macron aux Allemands l'automne passé semble étrangement décalé aujourd'hui. « Chaque fois que vous ne comprenez peut-être pas tout à fait les mots venant de la France, lisez toujours et avant tout qu'elle vous aime » ; avait-il conclu le 18 novembre sous les applaudissements des députés du Bundestag. Mais c'est Paris qui s'inquiète à présent du désamour allemand.
L'interview donnée par Angela Merkel dans la « Süddeutsche Zeitung » le 15 mai, après la tribune de sa dauphine, Annegret Kramp-Karrenbauer, en mars dans le quotidien « die Welt », a en effet alimenté le sentiment d'une rupture consommée par Berlin. Plutôt que de « surmonter nos tabous et dépasser nos habitudes » pour réformer l'Europe, comme le souhaitait à l'automne le président de la République, la chancelière et sa dauphine appuient sur leurs divergences de vues avec la France.
Une campagne européenne peu favorable au dialogue
En reconnaissant que sa relation avec Emmanuel Macron ne coule pas de source, que « nous luttons » pour parvenir à des compromis, Angela Merkel n'a en réalité que confirmé le concept de « confrontation féconde » évoqué par le président français en avril. Il avait alors fait état des dossiers qui fâchent, citant la politique énergétique et climatique, le Brexit et les relations commerciales avec les Etats-Unis. Il aurait pu y ajouter la défense européenne et la zone euro.
Une guerre d'influence
La constitution d'un nouveau Parlement n'est pas le seul enjeu. Les deux pays sont aussi en concurrence sur le processus de nomination du successeur de Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission : Angela Merkel ne peut que soutenir l'Allemand Manfred Weber, tête de liste du PPE et membre de la CSU, parti frère bavarois de la CDU. Le président français a à l'inverse marqué son désaccord à l'élection automatique du leader du parti qui aura recueilli le plus de voix le 26 mai.
Il en va de même pour le successeur de Mario Draghi à la tête de la BCE cet automne : les Français Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE, et François Villeroy de Galhau, président de la Banque de France, figurent en lice aux côtés du patron de la Bundesbank, Jens Weidmann. Si Manfred Weber n'obtenait pas la présidence de la Commission européenne, les tensions se déplaceraient donc sur le terrain francfortois.
Emmanuel Macron assume la volonté de peser en Europe en parlant sur un pied d'égalité avec l'Allemagne
Cette course d'influence a plus que jamais valeur de symbole pour le président français, car « il assume la volonté de peser en Europe en parlant sur un pied d'égalité avec l'Allemagne », souligne Hans Stark, secrétaire général du comité d'études des relations franco-allemandes à l'Institut français des relations internationales (Ifri).
La crainte de la France d'être marginalisée existe de fait depuis la chute du Mur. Jusqu'en 1989, Paris bénéficiait du statut de moteur politique de l'Europe tandis que l'Allemagne représentait la locomotive économique.
Le spectre de la marginalisation
Mais, depuis la réunification, Berlin s'est invité dans la sphère politique, Angela Merkel est même désormais érigée en garante de la stabilité mondiale. « La réticence de la chancelière à répondre aux appels répétés d'Emmanuel Macron à réformer avec lui l'Europe ne fait que renforcer la crainte française d'être marginalisé », analyse Martin Koopmann, directeur de l'institut Genshagen.
Macron et le rêve brisé d'une France influente
L'Allemagne n'a pas ce souci et elle s'émeut d'autant moins des critiques hexagonales que sa priorité est la stabilité de l'Europe. « L'idée d'Emmanuel Macron d'aller plus vite dans les réformes avec quelques pays, au risque de brusquer les autres, va à l'encontre de cette stabilité qui est déjà menacée par le Brexit »,souligne Claire Demesmay, politologue à l'Institut allemand de politique étrangère (DGAP).
L'instabilité du paysage politique allemand corse le dialogue
Depuis la réélection d'Angela Merkel, l'Allemagne est en outre elle-même entrée dans une période inédite d'instabilité politique qui concentre l'essentiel de son attention. Le poids des conservateurs de l'union CDU-CSU et, surtout, celui des sociaux-démocrates du SPD se sont tant érodés que les compromis entre les deux camps qui présidaient aux destinées de l'Allemagne sont devenus quasi impossibles. La priorité est de sauver sa peau à chaque scrutin régional face aux Verts et à l'AfD.
Une nouvelle élection fédérale permettrait-elle de fermer cette deuxième séquence électorale énergivore pour l'Allemagne ? L'échec des négociations entre l'union CDU-CSU, les Libéraux et les Verts fin 2017 a montré qu'il n'existait pas d'alternative claire à la coalition actuelle. « Il semble difficile d'imaginer un paysage politique aussi stable que par le passé », souligne Martin Koopmann. Si frustrant soit-il pour ses ambitions européennes, la France va devoir faire avec ce nouveau paradigme.
Cette article est disponible sur le site Les Echos.
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