Quand les marines occidentales s'interrogent sur le rôle de leurs porte-avions
À l'heure où les crises internationales débordent en mer et les menaces évoluent, les alliés réfléchissent à un réarmement et à un autre type d'emploi des capacités de leurs porte-avions.
Le porte-avions Charles de Gaulle a commencé ses essais en mer avant de bientôt repartir en mission. Le principal bâtiment de la marine nationale était retenu à quai depuis plusieurs mois pour un arrêt technique. «La crise au Proche-Orient a reposé la question d'un deuxième porte-avions», soupire un député, fin connaisseur des questions militaires.
Pour afficher une présence en Méditerranée orientale, la France n'a pu envoyer que des porte-hélicoptères amphibies en vue d'éventuelles opérations d'évacuation ou de missions humanitaires. «La dissuasion a été assurée par les États-Unis», poursuit l'élu. Le porte-avions français n'aurait pas fait cesser la crise, dit-on au sein de la marine… Mais pour dissuader l'Iran ou d'autres de chercher à exploiter la situation, la marine américaine a envoyé deux porte-avions.
«Tout le monde a compris qu'il ne fallait pas chercher l'escalade», a commenté le chef d'état-major des armées, le général Burkhard, à l'ouverture jeudi de la deuxième conférence navale organisée par l'Institut français des relations internationales (Ifri).
«Un outil de puissance»
À l'heure où les crises internationales débordent en mer, le rôle des groupes aéronavals (GAN) -c'est-à-dire le porte-avions et son escorte - revient au premier plan des préoccupations capacitaires ou doctrinales des armées.
L'Ifri a ouvert le débat. «Le GAN est un outil de puissance par excellence», a poursuivi le général Burkhard en soulignant la puissance de feu, l'allonge et même le poids diplomatique d'un porte-avions. Outre le «signalement stratégique», un groupe aéronaval est capable «d'agréger» une coalition en permettant à des marines qui ne disposent pas de porte-avions de fournir d'autres capacités.
«Un porte-avions exprime le rang d'une nation», a souligné l'amiral Enrico Credentino, qui commande la marine italienne et dont le navire principal, le Cavour, est un porte-aéronefs. Il intervenait aux côtés de l'amiral Vaujour, à la tête de la marine française, de l'amiral Luisa Franchetti, pour les États-Unis, de l'amiral Sir Ben Key, pour le Royaume-Uni, et du vice-amiral Rajesh Pendharkar, pour représenter l'Inde.
Les porte-avions sont «une capacité structurante», a insisté l'amiral Vaujour en invitant cependant à repenser le combat naval «des fonds marins à l'espace».
La menace chinoise
Faute d'investissements massifs après la fin de la Guerre froide et parce que le coût d'un porte-avions est démesuré, les marines européennes ont restreint leur nombre au minimum. Deux pour le Royaume-Uni, un pour la France… Elles pèsent donc peu par rapport aux onze porte-avions américains. Un porte-avions «offre des options» aux responsables politiques, a estimé l'amiral Luisa Franchetti, qui commande l'US navy en insistant sur les atouts «d'adaptabilité» et de «flexibilité» des porte-avions : «100.000 tonnes de diplomatie américaine» chacun. Mais la masse américaine ne suffit plus : en nombre de bateaux, la marine chinoise l'a rattrapée. «Par sa taille et ses opérations, la marine chinoise va déterminer ce que les Occidentaux feront de leurs groupes aéronavals», prévient le spécialiste des questions militaires à la Heritage Fondation Brent Sadler. La puissance chinoise constitue la principale menace à la liberté de navigation en Indopacifique. La Russie ou l'Iran disposent aussi de moyens maritimes.
Les marines doivent se réarmer
Depuis la deuxième guerre mondiale les porte-avions ne se sont plus trouvés en première ligne des conflits. Depuis plusieurs décennies, l'espace maritime n'était plus contesté aux puissances occidentales. Ces temps ont changé. Missiles hypervéloces, drones, cyber, déni d'accès… De nouvelles menaces rendent les groupes aéronavals plus vulnérables dans un contexte de transparence plus grande du champ de bataille.
En Chine, l'armée populaire de libération s'entraîne dans le désert contre une maquette grandeur réelle d'un porte-avions américain. Pékin a développé un arsenal de missiles de longue portée pour détruire les bâtiments adverses. Les marines doivent se préparer.
Les chefs d'état-major des marines française, américaine, britannique, italienne ou indienne, invités par l'Ifri, sont tous persuadés de l'avenir des porte-avions. Les moyens aéroportés offrent toujours un accès à des théâtres fermés tout en garantissant permanence et mobilité. «Cibler un porte-avions» qui se déplace en mer «est difficile», assure l'amiral Franchetti.
Mais l'éventualité d'un engagement n'est plus à exclure. Pire, le combat naval est une guerre d'attrition où la destruction des bâtiments adverses constitue un objectif. Instrument de prestige et symbole politique, les armées européennes seront-elles prêtes à perdre un porte-avions dans un combat naval ? Pour dégager des marges financières pour d'autres capacités, certains remettent en cause la pertinence des porte-avions.
«C'est un débat franco-français», a balayé en clôture du colloque l'ancien ministre de la défense Jean-Yves Le Drian. «L'évolution des théâtres et leur diversification pose la question de l'efficacité des déploiements et celle du format de nos marines», a-t-il ajouté.
Les marines doivent se réarmer. Elles devront aussi réfléchir à un autre type d'emploi de leurs capacités. «La fin du confort opérationnel signifie qu'il ne sera plus possible d'acquérir une supériorité (maritime) totale», a insisté le général Burkhard.
Cet objectif «est devenu hors de portée». Mais face à leurs adversaires, les groupes aéronavals devront être capables d'acquérir «une bulle de supériorité temporaire», demande le chef d'état-major. Les armements devront aussi évoluer.
«Dans une guerre imposée, il y a un défi de soutenabilité», a relevé le général Burkhard. «Nous devons être capables de concevoir des armes d'usure, moins chères, et ne pas chercher systématiquement à résoudre un problème tactique par la haute technologie», a-t-il souligné.
En clair, pour défendre un bâtiment visé par des drones valant quelques dizaines de milliers d'euros, il faudra trouver autre chose qu'un missile à plus d'un million d'euros. Même si le navire coûte des milliards.
> Voir l'article sur le site du Figaro
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