Quand Washington appelle à la «réévaluation fondamentale» de sa relation avec la Chine
Dans un rapport publié en mai qui a valeur de feuille de route, la Maison Blanche liste les actions menaçantes de Pékin et mentionne ses points de divergence avec le régime chinois qu'elle accuse de «transformer l’ordre international pour l’aligner sur les intérêts et l’idéologie du PCC». Et se dit prête à une «compétition de long terme».
Le document a été rendu public en pleine crise du Covid, au moment où les relations entre la Chine et les Etats-Unis se dégradaient un peu plus. Dans un rapport de 16 pages, la Maison Blanche appelle à une «réévaluation fondamentale de la façon dont les Etats-Unis comprennent et répondent» aux dirigeants chinois.
Intitulé L’approche stratégique des Etats-Unis envers la République populaire de Chine, ce texte argumenté et direct fera date et devrait servir de feuille de route aux administrations américaines dans ce climat de «nouvelle guerre froide» entre les deux premières puissances de la planète.
Oubliée «l’étape historique» célébrant la première phase de l’accord commercial signée le 15 janvier entre Pékin et Washington. Quatre mois plus tard, et pas seulement à cause de la gestion mensongère de la pandémie par le régime chinois, l’administration Trump cible sans détour le Parti communiste chinois (PCC) : «L’expansion de la puissance économique, politique et militaire du PCC pour forcer à l’acquiescement des Etats-nations nuit aux intérêts vitaux des Etats-Unis et mine la souveraineté et la dignité des pays et des individus dans le monde.»
La Maison Blanche s’engage à «protéger les intérêts américains» face aux volontés du régime chinois de «transformer l’ordre international pour l’aligner sur les intérêts et l’idéologie du PCC».
Ce rapport qui exhorte au «retour à un réalisme de principe» tire une sorte de bilan des relations sino-américaines, quarante ans après l’établissement des liens diplomatiques entre la République populaire de Chine (RPC) et les Etats-Unis. Le rapport fait même aveu d’échec, sinon de naïveté.
«Créer des divisions»
Il préconise que les Etats-Unis «repensent les politiques des deux dernières décennies – politiques fondées sur l’hypothèse que l’engagement avec les rivaux et leur inclusion dans les institutions internationales et le commerce mondial en feraient des acteurs bienveillants et des partenaires de confiance. Pour la plupart, ce présupposé s’est avéré faux. Les acteurs rivaux utilisent la propagande et d’autres moyens pour tenter de discréditer la démocratie. Ils font avancer la propagande anti-occidentale et diffusent de fausses informations pour créer des divisions entre nous, nos alliés et nos partenaires», note le texte avec lucidité.
En listant les «nombreux défis posés par la RPC», le rapport rappelle que «Pékin a démontré à plusieurs reprises qu’il ne propose pas de compromis en réponse aux manifestations de bonne volonté des Américains et que ses actions ne sont pas contraintes par ses engagements préalables à respecter nos intérêts».
«Les actions de Pékin contredisent les déclarations des dirigeants chinois selon lesquelles ils s’opposent à la menace ou à l’utilisation de la force, n’interviennent pas dans les affaires intérieures d’autres pays ou s’engagent à résoudre les différends par un dialogue pacifique», souligne le texte. On se souviendra que la Chine avait assuré à Barack Obama qu’elle ne militariserait pas les récifs et les îles de la mer de Chine méridionale. Elle a fait exactement le contraire depuis cinq ans.
« Dans les nombreux documents émanant des cercles législatifs ou exécutifs américains, les thèmes de sécurité sont au cœur des réflexions, note Marc Julienne, chercheur au centre Asie de l’Ifri. Dans ce texte au ton très franc et plutôt inédit de la Maison Blanche, ce sont les questions économiques et les valeurs qui occupent le plus d’espace.»
«Pratiques économiques prédatrices»
Le rapport rappelle les «pratiques économiques prédatrices» de la Chine, analyse son rôle en tant que deuxième puissance économique de la planète. Revient sur la visée expansionniste des Nouvelles routes de la soie et de ses projets caractérisés par la «corruption, les destructions environnementales, le manque de contrôle public, des prêts opaques» qui se traduisent par des complications et des pressions dans les pays partenaires. Washington préfère promouvoir sa souveraineté sur la 5G, l’intelligence artificielle, à la fois pour mieux défendre l’industrie américaine et pour garantir sa sécurité.
La Maison Blanche pointe la «compétition idéologique» que la Chine a lancée avec les pays occidentaux, notamment via le réseau offensif de ses «loups combattants», ces diplomates lancés dans une propagande effrénée. Et liste les pratiques du PCC en matière de détention arbitraire, de torture, d’éradication de l’opposition et de toute forme de média indépendant, de divulgations de fausses informations, de l’oppression des minorités religieuses et ethniques. L’internement de 1,5 million de Ouïghours dans des camps de concentration au Xinjiang revient à deux reprises dans ce document qui rappelle la mobilisation de l’administration.
«Ce document illustre la nouvelle approche vis-à-vis de la Chine, avec une vision plus globale : la Chine n’est plus uniquement vue comme un immense marché pour les exportations. L’économie n’est pas détachée de la politique, reprend Marc Julienne. Il y a comme une perte de naïveté. La compétition est bien installée, et notamment sur les valeurs. L’administration américaine accuse ainsi le régime chinois de vouloir diffuser un modèle autoritaire. Ce n’est pas un hasard si le rapport de l’Union européenne qui évoquait la Chine comme un "rival systémique" en 2019 est cité dans ce texte.»
«Activités militaires provocatrices»
Les enjeux sécuritaires sont également évoqués dans ce texte. La Maison Blanche mentionne les avancées et les perfectionnements accrus de l’Armée populaire pour mieux en souligner la menace. Et pointe le grand écart entre les discours officiels et les pratiques politiques. «Pékin contredit sa rhétorique et fait fi de ses engagements envers ses voisins en se livrant à des activités militaires et paramilitaires provocatrices et coercitives dans la mer Jaune, les mers de Chine orientale et méridionale, le détroit de Formose et les zones frontalières sino-indiennes.»
La Maison Blanche évoque la poursuite de ses «fortes relations non officielles» avec Taiwan, citant un mémorandum de Reagan de 1982 sur les armements de l’île de Formose et la menace de la Chine. Washington reste le premier fournisseur d’armes de Taïpei.
La politique à l’égard de Hongkong est également l’occasion de souligner l’importance des valeurs et de rappeler les «libertés démocratiques, l’état de droit, le haut degré d’autonomie» pour le territoire. Une défense de la «gouvernance démocratique» qui est en fait un combat sans concessions.
Lire l'article sur le site de Libération.
Média
Partager