Sommet de Sotchi : « Moscou soutient les courants anti-CFA »
La Russie est de retour en Afrique. C'est le message de Vladimir Poutine, qui reçoit mercredi 23 octobre à Sotchi, sur les bords de la mer Noire, une trentaine de chefs d'État africains et plusieurs milliers d'hommes d'affaires. Ce sommet Russie-Afrique est une première dans l'histoire. Quelle est la stratégie de M. Poutine, notamment contre la France ? Arnaud Kalika est un spécialiste de la Russie. Il publie à l'Institut français des relations internationales (Ifri).
RFI : Quarante ans après Léonid Brejnev, peut-on parler du grand retour de la Russie en Afrique ?
Arnaud Kalika : L’Afrique est redevenue l’une des toutes premières priorités de la politique extérieure de la Russie. Ceci dit, parler d’un grand retour de la Russie, comme le fut le grand frère soviétique à l’époque, est certainement excessif. Ce que l’on peut dire, c’est que la Russie a constaté qu’elle avait laissé passer quelques trains économiques, politiques, militaires également, sur le continent africain. Et dans le sillage de la politique des sanctions après l’affaire ukrainienne [en 2014], la Russie a renoué avec son ancienne tradition de la politique étrangère soviétique en direction de l’Afrique, sans être soumise aux sanctions.
Voulez-vous dire que, depuis qu’elle a annexé la Crimée, la Russie est en conflit avec l’Occident et cherche des appuis en Afrique ?
Je veux dire que, depuis la crise ukrainienne et la politique des sanctions à la fois européennes et américaines, beaucoup de marchés européens et occidentaux se sont fermés à la Russie et que l’Afrique s’est imposée comme une aire géographique intéressante pour trouver de nouveaux débouchés.
Pourquoi ce premier sommet cette semaine à Sotchi ? Est-ce d’abord pour des raisons politiques ou économiques ?
Je pense que c’est d’abord pour une raison politique. C’est pour montrer que la Russie est une puissance de premier rang. C’est toute la politique que Vladimir Poutine met en place depuis les années 2000. Et pour une raison économique, également, parce qu’en termes de ressources, de débouchés, les conglomérats comme Gazprom, Rosnieft et toutes les sociétés qui travaillent dans le diamant, les métaux rares, cherchent des partenariats et ne peuvent plus se permettre de laisser les Chinois saisir des marchés qu’ils pourraient prendre eux-mêmes.
D’après un document confidentiel russe révélé par notre confrère britannique Le Guardian, les trois pays africains les plus infiltrés par les services russes étaient, au début de cette année, le Soudan, Madagascar et la Centrafrique. Mais avec la chute d’Omar el-Béchir il y a six mois, est-ce que les Russes n’ont pas subi un grave échec ?
Les relations entre la Russie et le général el-Béchir ont toujours connu des hauts et des bas, sachant qu’il y a eu quand même beaucoup d’accords signés, notamment des accords qui permettaient aux sociétés militaires privées russes de bénéficier de terrains d’entrainement au Soudan. Par rapport au nouveau système qui est en train d’éclore au Soudan, la Russie se fait assez discrète sur le Soudan.
Donc on peut parler d’un revers politique pour Vladimir Poutine ?
On peut parler d’un élément de complexité supplémentaire, en effet.
À Madagascar, en revanche, il semble que les Russes aient réussi une implantation très importante, notamment avec le nouveau président Andry Rajoelina…
À Madagascar, je ne mettrais pas cela sur l’angle de la nouveauté et en lien avec le nouveau président. À l’époque de l’Union soviétique, Madagascar était considéré comme un pays frère. Et aujourd’hui, en effet, la Russie a renoué avec cette île, au travers d’accords de sécurité et de défense, voire même des accords de renseignement, puisque le FSB et les services de renseignements russes ont ouvert une antenne sur cette île.
La Centrafrique, c’est le pays où le renforcement de la présence russe est le plus spectaculaire. Peut-on dire que Moscou a chassé Paris du territoire centrafricain ?
Je ne dirais pas cela. Je dirais que Moscou a profité d’une brèche ouverte en 2017 par l’allègement de l’embargo qui était décidé par l’ONU, pour mettre un pied là où elle avait déjà une forme de présence. Maintenant, si les Russes peuvent être présents dans un pays qui est sous l’influence de la France ou d’un autre pays, et si par la même occasion, ils peuvent nous glisser une petite peau de banane pour nous rappeler que c’est quand même nous qui avons voté les sanctions dans le cadre de la crise ukrainienne, je pense qu’ils le feront volontiers.
Et au-delà de la Centrafrique, peut-on parler d’une campagne anti-française de la part de la Russie en Afrique, notamment contre le franc CFA ?
Oui, on peut parler en tout cas d’une campagne contre le franc CFA. C’est-à-dire que la Russie a tendance à appuyer les courants un petit peu souverainistes qui sont contre le franc CFA. On sait aussi que la Russie aimerait être partie prenante dans les nouvelles opérations bancaires de création de la nouvelle monnaie de la Cédéao. Donc la partie financière me paraît essentielle, en effet.
Et est-ce que Moscou soutient certains activistes anti-CFA en Afrique de l’Ouest ou en Afrique centrale ?
Que les Russes soutiennent directement, je n’ai pas ces informations, mais en tout cas ils invitent régulièrement certains porte-parole de ces courants. Je pense à monsieur Seba, par exemple, qui est un blogueur bien connu.
Kemi Seba ?
Kemi Seba, qui a été reçu à plusieurs reprises dans des instituts et universités en Russie et qui notamment a plaidé contre le franc CFA.
Peut-on dire que la société de sécurité privée Wagner est l’un des bras articulés de Moscou sur le continent africain ?
Ce que l’on peut dire, c’est que la société militaire privée Wagner, dans son organigramme et dans son actionnariat, est rattachée à différentes personnes qui font partie des tout premiers cercles du Kremlin.
Vous pensez à l’homme d’affaires Evgueni Prigojine ?
Exactement. Il est à la tête de différentes holdings qui sont un peu monopolistiques sur toute la partie logistique des forces armées russes, donc c’est quand même colossal. Et en effet, dans ces ramifications, on tombe sur Wagner. Vous savez bien que le grand sujet de Vladimir Poutine, c’est de laver l’affront des années Eltsine, durant lesquelles la Russie s’est sentie humiliée, parce qu’elle avait été rayée des priorités de l’Occident, parce qu’on a voulu la faire disparaître de la carte.
Au Maghreb, la Russie est le premier partenaire militaire de l’Algérie, mais en même temps, Vladimir Poutine est allé saluer le roi Mohammed VI, c’était il y a douze ans à Rabat. Où va la préférence de Moscou ? Vers Alger ou vers Rabat ?
Je dirais Alger. C’est-à-dire que si la Russie, dans les échanges économiques entre la Russie et l’Afrique, pèse une vingtaine de milliards [de dollars] aujourd’hui, si vous enlevez l’Algérie et l’Égypte, vous n’avez plus grand-chose. Donc oui, l’Algérie d’abord, l’Égypte également. Le Maroc, pour moi, c’est plutôt un partenaire politique sur un fond de rivalité entre le monde russe et le monde occidental de l’époque.
Lire l'interview sur le site de RFI
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