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Trois doigts levés vers le ciel : comment le film Hunger Games inspire la contestation en Birmanie

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citée par

  Elisabeth Pierson
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Le signe de rébellion tiré de la trilogie cinématographique américaine est repris par les militants birmans pro-démocratie, témoignant d'une jeunesse engagée et portée par l'espoir.

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Un simple geste mais un symbole fort. Le bras dressé vers le ciel, trois doigts levés, des centaines de milliers de Birmans battent le pavé depuis plusieurs jours dans les rues de la Rangoun, reprenant le signe caractéristique de la saga américaine Hunger Games . D'abord timidement utilisé, le geste s'est répandu parmi les manifestants, gagnant aussi les réseaux sociaux, où de nombreux internautes ont affiché leur soutien par ce signe de la main. Huit jours après la prise du pouvoir par les militaires, le geste est devenu un symbole de la révolte birmane contre la junte.

«Que cette société, encore très récemment fermée à toute influence étrangère, en soit venue à puiser le symbole de sa lutte dans la culture politique mondialisée est plutôt bon signe», commente Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse associée au Centre Asie de l'IFRI, interrogée par Le Figaro.

Dès sa sortie en 2012, la saga américaine Hunger Games avait connu un immense succès dans les pays asiatiques. Dans cette adaptation de la trilogie dystopique imaginée par l'auteure américaine Suzanne Collins, une poignée de riches oligarques détient le pouvoir, appuyée par les «Pacificateurs», des soldats chargés de faire respecter la loi. Dans le District 12, des villageois forment alors une rébellion, conduite par l'héroïne Katniss Everdeen, et dont les trois doigts levés vers le ciel sont le signe de ralliement.

«C'est un vieux signe, rarement utilisé, qui vient de notre district, explique l'héroïne Katniss Everdeen dans le premier opus de la trilogie. Il sert à remercier, à exprimer l'admiration, à dire au revoir à quelqu'un qu'on aime». Un symbole qui devient, au long du récit, la hantise du régime autoritaire.

Le succès du film prend aujourd'hui une tournure fortement politique en Birmanie. «C'est l'objectif de toute dystopie : utiliser la fiction pour mieux critiquer les dérives réelles, analyse Sandra Hamiche, chercheuse à l'Université Sorbonne-Nouvelle. Si l'analogie n'est pas toujours exacte, les Birmans ont su s'approprier le combat de Katniss et le décliner de manière locale». Un même ennemi : la dictature. Un même combat : la détention du pouvoir par une minorité, au détriment d'une population contrainte à la misère.

Mouvement pacifique

Privés d'internet, alors que les télécommunications et l'accès aux réseaux sociaux sont fortement restreints depuis vendredi 5 février, les manifestants trouvent de nouvelles manières de témoigner leur opposition. Outre la main levée, l'affichage du ruban rouge du parti démocratique, ou encore le tatouage politique, sont autant de moyens d'exprimer leur révolte. «À l'image du mouvement Black Lives Matter ou Me Too, le signe de la main incarne un combat essentiellement pacifique, explique au Figaro David Camroux, spécialiste de l'Asie du Sud-Est et chercheur honoraire au Centre de recherches internationales (CERI). Ce mouvement ennuie d'autant plus les militaires qu'il leur échappe».

«S'approprier ce signal, qui marque une révolte contre le pouvoir et un refus de l'arbitraire, me semble être porteur d'une vraie promesse au Myanmar, déclare de son côté Sophie Boisseau du Rocher. Il incarne l'espoir de créer un monde meilleur».

Symbole d'une jeunesse poussée par l'espoir

Ce n’est pas la première fois que le symbole de la saga américaine est repris par un combat politique. En 2014, les militants pro-démocratie de Thaïlande, excédés après un énième coup d’État et l’instauration d’un régime autoritaire par l'armée, avaient fait du signe de Katniss Everdeen le symbole de leur contestation. L’un des leaders de l'opposition, Sombat Boonngamanong, avait ainsi appelé les opposants à «lever trois doigts, trois fois par jour», un signe que la junte, irritée, avait fini par l’interdire publiquement : «S'ils se rassemblent, avec plus de cinq personnes et montrent le symbole des trois doigts, c'est illégal», avait déclaré le porte-parole de l'armée.

On assiste à l'éveil d'une jeune génération qui se lève, prend des risques, et engage pour la première fois une réflexion sur les fondements politiques de son pays.
Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse associée à l'Ifri

«Pour les Birmans, la jeunesse thaïlandaise cosmopolite, moderne et connectée est une inspiration», commente David Camroux. Une influence accentuée par la présence de quelque 5 millions de Birmans en Thaïlande, soit près de 10% de la population.

À Taïwan également, ou encore à Hongkong lors des manifestations qui ont soulevé l'île en 2019 et 2020, le signe des trois doigts levés vers le ciel a été occasionnellement utilisé par les contestataires.

«On assiste à l'éveil d'une jeune génération qui se lève et prend des risques, qui engage, pour la première fois, une réflexion sur les fondements politiques de son pays», note Sophie Busseau du Rocher. La chercheuse rappelle par ailleurs que 45% de la population birmane ne dépasse pas 25 ans : «À long terme, les jeux sont en faveur de cette jeunesse. Mais une question demeure : s'agira-t-il de mois ou d'années ?».

> Lire l'article sur le site du Figaro

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Sophie BOISSEAU du ROCHER

Intitulé du poste

Ancienne Chercheuse associée, Centre Asie de l'Ifri

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