De l'évolution du débat stratégique russe
Dimitri Minic, chercheur au Centre Russie/Eurasie à l'Ifri et spécialiste de la pensée stratégique russe, a été interviewé pour parler de l'évolution du débat stratégique russe dans la revue DSI N°174.
Titre Edito
Le nucléaire reste central pour la puissance russe, comme pour la manière dont nous la considérons. Comment s’oriente le débat en la matière, notamment sur l’usage tactique ?
Le nucléaire reste central pour la puissance russe, comme pour la manière dont nous la considérons. Comment s’oriente le débat en la matière, notamment sur l’usage tactique ?
La SVO a remis en cause la pertinence de la dissuasion stratégique russe, à la fois comme concept et comme système. L’affaiblissement des forces conventionnelles de la Russie et de ses moyens non militaires en Occident, ainsi que le changement de perception des menaces (la crainte d’une guerre conventionnelle régionale ou générale avec l’OTAN) – deux paramètres essentiels à partir desquels Moscou a d’abord abaissé son seuil d’emploi (années 1990-2000) avant de le remonter (2010-2024) – et la démonétisation de ses mesures dissuasives nucléaires ont conduit dès 2022 des officiers importants de la dissuasion nucléaire russe à reposer la question de la prééminence du nucléaire.
La redéfinition récente des termes de la doctrine nucléaire annoncée par le président russe était donc prévisible, bien qu’encore incertaine puisqu’aucun document n’a été publié. Il est frappant qu’elle semble reprendre des idées et des formulations très proches de celles avancées par la théorie et les doctrines à l’époque de l’abaissement du seuil (années 1990-2000), lorsque la Russie se sentait vulnérable : similitudes entre les notions de « situations critiques » et de « menaces critiques » ; emploi de la notion de « souveraineté », une des notions que sous-entendait à l’époque celle de « sécurité nationale », et qui remplacerait l’expression de menace à « l’existence même de l’État » adoptée en 2010 ; emploi possible face à l’agression d’un État non nucléaire avec la participation ou le soutien d’un État nucléaire, un critère présent dans les doctrines militaires 1993 et 2000, même si celles-ci évoquaient, à la place du « soutien », l’idée d’« engagements d’alliés » entre l’État agresseur non nucléaire et un État nucléaire.
Il ne faut bien sûr pas omettre le contexte et les objectifs de ces annonces, qui deviennent en soi une mesure de dissuasion visant à contraindre les Occidentaux à ne pas augmenter leur implication en Ukraine, voire à la baisser, et à isoler Kyiv. Dans le même temps, s’ils sont confirmés, ces changements peuvent être analysés comme un abaissement du seuil d’emploi, fruit d’une évolution beaucoup plus profonde, liée à l’évolution jugée défavorable à la Russie des deux paramètres cités plus haut, et qui a des implications de plus long terme, au-delà de l’Ukraine.
Interview complet dans la revue DSI N°174.
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