United States: The Empire of the Force or the Force of the Empire?
This book's review is published in French only. Original book's title: Les Etats-Unis: l'empire de la force ou la force de l'empire?)
Les Cahiers de Chaillot sont des monographies régulièrement publiées par l’Institut d’études de sécurité (IES), une agence de l’Union européenne basée à Paris. Pierre Hassner, l’un de nos esprits les plus brillants, analyse dans ce volume les conséquences du 11 septembre 2001 sur la posture stratégique des Etats-Unis et cherche les racines de l’attitude actuelle des Etats-Unis dans leur histoire.
Analysant successivement les guerres de Sécession, de Corée et du Vietnam, il propose de remplacer les classiques binômes idéalisme-réalisme et isolationnisme-internationalisme par une combinaison d’exceptionnalisme et d’unilatéralisme qui rend mieux compte de la politique extérieure des Etats-Unis. Il présente ensuite les trois termes de la trinité de Clausewitz, auteurs et acteurs de la posture américaine. Il décrit une opinion publique moins isolationniste qu’on ne le croit, mais oscillant constamment 'entre l’idéalisme visant à sauver le monde et l’isolationnisme visant à s’en échapper' (p. 27). L’opinion publique est moins réticente à la perte de vies humaines que les militaires. Ceux-ci, victimes du 'syndrome vietnamien', se croient mal aimés alors même qu’ils jouissent d’un prestige peu commun dans les démocraties et que la guerre contre le terrorisme les remet en première ligne.
Au sommet, le pouvoir hésite. Chaque président élu promet de redonner la primauté à la politique intérieure, à l’économie. Chaque président est pourtant inéluctablement happé par les affaires du monde. Bill Clinton a mis en œuvre un 'néo-wilsonisme pragmatique' (l’expression est d’Anthony Lake) visant à l’élargissement de la démocratie et de la paix. Georges W. Bush n’a pas mené la politique simpliste qu’on craignait. Il s’est 'clintonisé', donnant sa chance, face à Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz, à la ligne de Colin Powell.
Le double sentiment de vulnérabilité, induit par le 11 septembre, et d'invincibilité, depuis la disparition de l'Union soviétique, conduit néanmoins les Etats-Unis à une sorte de 'wilsonisme botté' (p. 43). La guerre contre le terrorisme les exonère de leurs obligations internationales; elle les autorise à désigner des 'Etats voyous' susceptibles d’abriter des terroristes et de les combattre, fût-ce à titre préventif; elle frappe enfin d’obsolescence la discussion nucléaire et l’équilibre de la terreur.
Pierre Hassner a raison de pointer les risques de cette dérive. La guerre préventive ou préemptive ouvre la porte à un 'dilemme de sécurité' pour l’Etat qui en est la cible: s’il est sur le point d’être attaqué au motif qu’il a l’intention de se doter d’armes de destruction massive, autant qu’il s’en dote le plus rapidement possible pour se défendre! Elle pose surtout un problème de légitimation: quelle autorité décide de qui est un Etat voyou? quelle instance autorise une guerre préemptive? Enfin, cette combinaison d’exceptionnalisme (les Etats-Unis, habilités par la pureté de leurs intentions à juger du Bien et du Mal) et d’unilatéralisme rencontrera les limites de tout empire hobbesien fondé sur la force. Si les Etats-Unis peuvent unilatéralement renverser un régime, ils ne peuvent, seuls, reconstruire un Etat. Ils auront besoin de la communauté internationale pour gérer l’ordre. Et s’ils ne coopèrent pas, ils devront craindre d’être haïs. 'Nous pouvons dire que nous n’abuserons pas de ce pouvoir étonnant et sans précédent. Mais chaque autre nation craindra que nous en abusions. Il est impossible que, tôt ou tard, cet état de choses ne produise pas une combinaison qui puisse aboutir à notre ruine', écrivait déjà Edmund Burke en 1790.