The War, the City and the Soldier
(This book review is published in French only. Original book's title: La Guerre, la ville et le soldat).
Cette guerre que nous croyions si simple à penser, malgré l’imagination des tacticiens, depuis les grands spasmes des deux derniers siècles, nous la redécouvrons, hors du gel bipolaire, dans toute sa complexité. Nombre de travaux récents s’attachent à décliner les formes de la violence collective à effet international. Jean-Louis Dufour choisit, quant à lui, de privilégier un milieu, un espace à la fois géographique et métaphorique –la ville– et d’y suivre pas à pas toutes les manifestations de ce curieux exercice humain : la guerre.
Certes, les campagnes des militaires se passent souvent à la ville. Si l’essentiel de la pensée tactique concerne les manœuvres en espace ouvert, J.-L. Dufour montre de façon convaincante comme l’habitat concentré occupe, à toutes les époques, une place stratégique dans la conception de la plupart des conflits. Du siège de Troie à la destruction de Grozny, des défenses de Vauban aux systèmes antimissiles, de Carthage à Hiroshima, de la Commune de Paris à l’insurrection de Varsovie: la ville symbolise la plupart des modalités d’attaque et de défense, et la plupart des attitudes des communautés humaines dans la guerre.
On sait gré à J.-L. Dufour d’avoir tenté de donner le tableau le plus complet de ces divers modes d’insertion de la ville dans la pensée et la réalité guerrières au long des siècles. Ouvrant l’ouvrage sur une partie définitionnelle qui éclaire les rapports contradictoires de la pensée militaire et du milieu urbain, l’auteur s’efforce de classifier la place de celui-ci dans ces situations de violence collective. Avec, d’abord, la dialectique de la ville fortifiée et de la ville assiégée, référence des conflits de toutes cultures; puis une approche des guerres dans la ville: révoltes, insurrections, entremêlement des combattants à l’intérieur des cités, mélange indifférencié des soldats et des civils –Stalingrad, Budapest, Grozny, Beyrouth fournissent des témoignages précieux.
Le XXe siècle nous propose une double novation, qui relève à la fois de la technique et de la politique. Les bombardements stratégiques, s’ils sont loin de résumer l’expérience guerrière du siècle, symbolisent néanmoins la capacité technique de frapper de vastes concentrations humaines, et la volonté politique de dissoudre la volonté de l’adversaire là où elle semble la plus vulnérable: les concentrations de populations ne peuvent jamais être intégralement protégées par des systèmes techniques. Les effets sont contrastés, de l’échec relatif des deux guerres mondiales aux frappes atomiques sur le Japon, ces dernières débouchant à terme sur la codification d’une stratégie qui installe littéralement la ville otage au cœur du concept de dissuasion nucléaire.
Le siècle finissant nous propose pourtant une autre novation, que certains considèrent comme une régression. Après la marginalisation de cette dernière stratégie de dissuasion nucléaire dans les crises concrètes, depuis la fin de la bipolarité, c’est la ville, symbole même du mode de vie contemporain dans ses grandeurs et dans ses horreurs, qui devient le cadre et l’enjeu même des affrontements collectifs. On peut d’ailleurs se demander s’il n’en ira pas ainsi de manière croissante, tant toutes les formes de combat, de marginalité, de trafics et de stratégies de survie peuvent y prospérer.
Lieu majeur de la vulnérabilité des sociétés développées, comme le rappellent les événements du 11 septembre, creuset des sociétés contemporaines, la ville est aussi le lieu de leur dissolution dans la logique de la guerre. Jean-Louis Dufour appelle éloquemment à penser les manœuvres nécessaires dans ces villes qui incarnent la modernité dans toutes ses dimensions. Il n’est pas trop tôt pour formaliser les concepts tactiques utilisables dans un milieu de combat très particulier (pensons aux manœuvres israéliennes dans les Territoires occupés). Penser la place de la ville dans les stratégies du XXIe siècle prendra, par contre, du temps: au moins le temps de la compréhension d’un monde nouveau, qui se laisse pour l’heure mal approcher.