Africa Policy in the Clinton Years
Fin 2000, alors que la Floride n’avait pas encore donné la victoire à Georges W. Bush, le CSIS, un think tank de la côte est, a lancé une série de recherches dont cet ouvrage est le résultat. Il s’agissait tout à la fois de dresser le bilan des années Clinton et de proposer à la nouvelle Administration un ordre de campagne.
L’analyse part d’un constat optimiste: l’Administration Clinton a manifesté un intérêt sans précédent pour l’Afrique. Alors que la précédente visite d’un président américain en Afrique subsaharienne remontait à Jimmy Carter, en 1978 (si l’on excepte le réveillon fort peu 'africain' de Georges Bush en Somalie en 1992-1993), Bill Clinton y a effectué deux tournées durant son second mandat. Pourtant, cet intérêt nouveau pour l’Afrique n’a guère porté ses fruits. La situation du continent noir s’est détériorée. L’Afrique est marginalisée dans la mondialisation, son économie décline, la pauvreté prolifère. Des guerres civiles meurtrières s’étendent à des régions entières (Grands Lacs, Corne). Le sida fauche les classes jeunes et dynamiques: 24 des 25 pays les plus affectés par l’épidémie sont en Afrique.
C’est par excès de 'bons sentiments' que la politique de l’Administration Clinton a failli. L’enthousiasme provoqué par les 'nouveaux réformateurs' (Paul Kagame, Yoweri Museveni, Meles Zenawi, Issaias Afeworki) n’a eu d’égal que le désenchantement suscité par leurs guerres fratricides: conflit éthio-érythréen, rivalité ougando-rwandaise dans l’est du Congo.
Pour la nouvelle Administration, le CSIS définit des objectifs plus réalistes. Et reconnaît, sans s’en lamenter, que le continent africain risque de connaître un déclassement. La Maison-Blanche y consacrera peu d’attention. D’ailleurs, aucune visite présidentielle n’est prévue (alors que le Mexique eut les faveurs du premier voyage de George W. Bush). Le Congrès ne s’y intéresse guère non plus. Les présidences des sous-commissions 'africaines' de la Chambre et du Sénat sont parmi les moins convoitées; leurs titulaires actuels, Edward R. Royce pour la première, Bill Frist pour le second, sont des novices qui n’ont fait leur entrée au Congrès qu’en 1994. Aussi la politique africaine des Etats-Unis sera-t-elle définie et mise en œuvre par le 'cercle intermédiaire' des fonctionnaires. La personnalité de Colin Powell ou de Condoleezza Rice, des Afro-américains qui ont gravi tous les barreaux de la méritocratie américaine, aura-t-elle une influence? On a pu le penser: Powell a commencé sa tournée des bureaux du département d’Etat par la Direction d’Afrique, et il a effectué en mai 2001 une tournée au Mali, en Afrique du Sud, au Kenya et en Ouganda.
Loin de l’enthousiasme de Clinton, la nouvelle Administration, conformément aux prescriptions du CSIS, se veut plus réaliste. Elle entend d’abord faire preuve de sélectivité dans le choix de ses interventions. Rien ne sert d’intervenir si la situation politique n’est pas mûre, si les risques militaires sont élevés: en bref, si la crédibilité américaine a plus à y perdre qu’à y gagner. Ainsi le CSIS conseille-t-il de se concentrer sur trois terrains: la Sierra Leone, le conflit éthio-érythréen, le Zimbabwe. Ailleurs, par exemple au Soudan et en République démocratique du Congo, Washington a tout à gagner à 'garder ses distances' (p. 45).
Mais, puisqu’il est politiquement impossible d’afficher face à son opinion publique un tel cynisme, les Etats-Unis ont adopté, sous Clinton, une nouvelle politique. C’est à l’Afrique qu’il appartient désormais de prendre en charge les crises africaines. Elle y est encouragée par l’ACRI (African Crisis Response Initiative) qui a permis notamment l’équipement de cinq bataillons nigérians en Sierra Leone. La France, il est vrai, mène avec RECAMP une politique similaire, dans l’esprit sinon dans la pratique.
Pour mener à bien cette politique, et éviter une dissémination des moyens, la nouvelle Administration devra concentrer ses efforts. Et s’appuyer sur des 'Etats-pivots' (concept popularisé en d’autres temps et d’autres lieux par Madeleine Albright). L’Afrique du Sud et le Nigeria peuvent contribuer à la paix du continent et à sa prospérité. Mais que ces puissances régionales sombrent dans le chaos, c’est toute l’Afrique qui sombrera avec elles. Les Etats-Unis ont donc, plutôt deux fois qu’une, intérêt à les soutenir.
Dernier axe de la politique américaine: promouvoir les échanges commerciaux et les investissements américains. La pièce maîtresse de cette politique est l’Africa Growth and Opportunity Act (AGOA), adopté après d’interminables débats en mai 2000. Certains Français y ont vu la manifestation d’un entrisme, à la fois commercial et politique, dans leur 'pré carré'. Ils ont dénoncé les visées américaines sur les ressources pétrolières du Nigeria, de l’Angola, voire du Tchad. Copiée par la Commission européenne (l’initiative Anything but arms lève de nombreuses barrières tarifaires aux produits africains), cette politique est moins machiavélique que naïve. Elle postule la substitution du commerce à l’aide publique. Or, le slogan simpliste 'trade not aid' a ses limites: si une ouverture –régulée– à la mondialisation est source de richesses, l’Afrique a également besoin d’une aide publique significative. C’est ce que dit le rapport du CSIS; c’est ce qu’a répété en mars dernier, à Monterrey, George W. Bush.