A l’heure où l’Irak se trouve, une fois de plus, sur le devant de la scène internationale et où les perspectives d’une intervention militaire d’envergure menée par les Etats-Unis se font plus réelles, l’ouvrage de Pierre Pinta propose une description essentiellement historique du pays, contribuant ainsi à la compréhension du conflit actuel et, surtout, à celle de la formation de l’Etat-nation irakien.
Bien que le pouvoir en place à Bagdad soit jeune –l’Irak moderne ayant été créé en 1921–, le socle sur lequel repose la légitimité du pouvoir est millénaire: aux empires sumériens et akkadiens, témoins des premiers heurts entre cités-Etats de la région, succède la mythique Babylone des rois Hammourabi et Nabuchodonosor II, séparés au cours de l’Histoire par la 'parenthèse' assyrienne. Après le déclin de la capitale intellectuelle de l’Orient ancien, 'terre d’affrontements permanents' depuis la mort d’Alexandre, les conquêtes arabes viendront, au VIIe siècle de notre ère, bousculer les empires byzantins et perses. Baptisée Iraq al-Arabi par les conquérants, l’ancienne Mésopotamie sera soumise à l’islam. Héritière des civilisations qui se sont succédé dans la région, Bagdad deviendra la nouvelle capitale culturelle du monde islamique.
Si, au XVIe siècle, le berceau culturel de l’Irak est construit, avec son héritage intellectuel, sa langue et sa religion, c’est au cours de la période ottomane que se forgeront les bases politiques de l’Irak moderne. 'Pendant près de trois siècles, Turcs et Perses se seront affrontés en Irak, les autochtones faisant allégeance aux uns ou aux autres en fonction de leurs convictions politiques et/ou religieuses, les sunnites (mais aussi les chrétiens) de préférence aux premiers, les chiites aux seconds. Ainsi le régime au pouvoir à Bagdad depuis l’indépendance (1930), autoritaire, centralisé et sunnite (toujours prêt à stigmatiser 'l’ennemi perse'), est-il le digne héritier de son prédécesseur ottoman.' Le départ des Ottomans marquera le début d’un nouvel impérialisme, celui des puissances européennes, jusqu’à l’indépendance. L’ascension du président égyptien Gamal Abdel Nasser, la pérennité de la présence militaire britannique en Irak et la crise de la Palestine sont quelques-uns des éléments qui expliquent l’ampleur de l’anticolonialisme et du panarabisme irakiens, si importants, selon l’auteur, dans l’identité de l’Irak moderne.
Les revendications de Bagdad concernant le Koweït, 'arbitrairement détaché de l’ensemble irakien par les Anglais', mais aussi le Chott el Arab, région stratégique disputée par l’Iran, s’affirmeront au cours de la période révolutionnaire qui suivra le renversement de la monarchie, en 1958. C’est également la période qui mènera au triomphe du parti Baas. Avec la répression des rébellions kurdes menées par Mollah Mustapha Barzani et, déjà sous la présidence de Saddam Hussein, la guerre contre le voisin iranien, se dessine l’Irak d’aujourd’hui. Ou plutôt celui d’avant 1991, fier de son taux de scolarisation –l’un des plus élevés du monde arabe– mais soumis à l’implacable censure du Baas. 'Cruelle ironie de l’histoire pour un pays qui a vu naître l’écriture et la première bibliothèque publique!'
Naturellement, de longs développements sont consacrés à la guerre du Golfe et au diktat de la coalition anti-irakienne. L’auteur ne dissimule pas son opinion en la matière, illustrant son propos par de nombreuses références aux effets collatéraux du conflit –civils tués dans l’abri d’Amariya, soldats enterrés vivants dans leurs tranchées, utilisation de munitions à l’uranium appauvri. Il n’est pas nécessaire de partager toutes ses vues, notamment au sujet des inspections menées par l’UNSCOM, ici jugées tendancieuses et inutiles, pour saluer l’envergure de son entreprise de mise en perspective de questions qui sont d’une actualité dramatique. L’enjeu que représente le pétrole, les prétentions irakiennes sur le Koweït et les relations de Bagdad avec ses voisins perse, turc et arabes, mais également la formation des groupes d’opposition, le rôle des clans et des tribus ainsi que les questions kurde et chiite sont quelques-uns des sujets eclairés à la lumière d’un passé conflictuel, riche en gloires et en revendications.
En définitive, l’ouvrage de Pierre Pinta est un outil pratique pour le lecteur soucieux de placer le présent conflit dans une perspective historique permettant une compréhension plus approfondie des enjeux, des choix et des risques auxquels l’Irak se trouve aujourd’hui confronté.
Comment citer cette étude ?