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Crise financière : le salut ne viendra pas d'Asie, pas tout de suite

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Crise financière : le salut ne viendra pas d'Asie, pas tout de suite
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Certains se plaisaient à croire que l'Asie pourrait échapper à la contagion de la crise financière américaine et assurer le relais des Etats-Unis comme principal moteur de la croissance mondiale. Les tenants de la thèse du " découplage " étaient de ceux-là. Or, il ne fait plus de doute aujourd'hui qu'aucune des économies d'Asie orientale ne sera épargnée par les turbulences financières. Toutefois, les difficultés qu'elles rencontreront devraient être d'une tout autre nature qu'en Occident. Dans ces conditions, bien que l'Asie ne soit pas en mesure d'atténuer dans l'immédiat les effets de la crise, elle pourrait à terme émerger renforcée de cette épreuve. En d'autres termes, la crise actuelle pourrait marquer l'ouverture d'une ère nouvelle où les rapports de force économiques mondiaux seraient plus favorables au continent asiatique.

La Chine, à l'abri d'une crise financière …

La Chine devrait parvenir à éviter la propagation de la crise financière. Plusieurs raisons permettent un tel optimisme : tout d'abord le caractère encore relativement fermé du système financier chinois, et en deuxième lieu, la relative bonne santé du système bancaire chinois. Les efforts résolus d'assainissement ont fini par porter leurs fruits, comme en atteste en particulier la réduction spectaculaire du volume des créances douteuses des banques chinoises. Certes, nombre d'esprits chagrins souligneront que la réduction de ces créances est en partie fictive dans la mesure où elles ont été simplement parquées dans des structures idoines ; il n'empêche que la capacité de résistance du reste du système bancaire s'en trouve accrue. En outre, les banques chinoises ne sont pas minées par des prêts hypothécaires douteux à l'instar de leurs homologues américaines. Le taux de ces prêts s'élèverait à moins de 2% dans le cas de l'Industrial and Commercial Bank of China, la banque la plus engagée dans les prêts immobiliers. Enfin, en corollaire des deux points précédents, le degré d'exposition des banques chinoises aux subprimes américaines est limité, bloquant ainsi le principal canal de contagion. La prudence chinoise a incontestablement payé.

La Chine semble également à l'abri d'une crise immobilière en raison des caractéristiques de son marché immobilier. L'Etat reste propriétaire de la terre, les propriétaires n'en obtenant l'usage que pour une période limitée de 70 ans. Dans ces conditions l'Etat a tout intérêt à éviter un effondrement des prix qui le priverait d'une source conséquente de revenus lors des opérations périodiques de ventes.

Cela étant, l'incertitude généralisée et la crise de confiance engendrée par l'effondrement des institutions financières américaines ont alimenté une nervosité extrême sur les marchés boursiers du monde entier , la Chine ne faisant pas exception. Depuis le mois d'octobre 2007, la bourse de Shanghai a perdu près des deux tiers de sa valeur.

… mais pas d'un ralentissement économique

Au delà des soubresauts financiers, le ralentissement de l'activité économique dans les grandes économies occidentales (Etats-Unis mais aussi Union européenne) ne saurait épargner la Chine tant son degré de dépendance vis-à-vis des marchés occidentaux demeure élevé.

Le maintien par la Chine d'un excédent commercial confortable au cours des derniers mois doit être interprété avec prudence. Premièrement, cet excédent a tendance à se réduire depuis le début de 2008 ; par ailleurs, il est essentiellement alimenté par le ralentissement spectaculaire de la valeur des importations chinoises, suite à la chute des prix des matières premières (produits alimentaires en particulier). Du côté des exportations, en revanche, la tendance est nettement au recul sous l'effet de la baisse de l'activité économique aux Etats-Unis et en Europe. L'hypothèse de découplage entre l'économie chinoise et l'Occident, aussi attrayante soit-elle, n'est malheureusement pour l'heure que chimère.

Il est vrai que ce ralentissement peut sembler être le bienvenu puisque les autorités chinoises cherchaient depuis de nombreux mois maintenant (mais en vain) à ramener le rythme de croissance à un niveau plus raisonnable. D'autre part, la montée en puissance de la demande intérieure comme moteur de la croissance chinoise serait une bonne nouvelle.

En réalité, l'ampleur du ralentissement induit sera fondamentale. Si le taux de croissance devait passer au dessous des 8%, les risques d'instabilité sociale augmenteraient, ce que reconnaît d'ailleurs un think-tank gouvernemental. Dans ces conditions, la crise économique pourrait se muer en crise sociale, voire en crise politique. La probabilité d'un tel scénario " à l'indonésienne " semble toutefois très faible.

La moindre capacité de résistance des économies du miracle asiatique

Dans le reste de l'Asie orientale émergente, la situation est pour partie similaire à celle de la Chine. Le risque, pour ces économies (Corée du Sud, Malaisie, Indonésie, Thaïlande, etc), tient donc plus aux phénomènes de panique sur les marchés boursiers qu'à la faiblesse réelle de leurs systèmes financiers. En effet, depuis la crise de 1997-98, les économies dites du " miracle asiatique " se sont profondément réformées. Les systèmes financiers y ont été purgés, les mécanismes de surveillance renforcés. Fortes de systèmes bancaires assainis, de substantielles réserves de change et de régimes de change nettement plus flexibles que par le passé, elles paraissent bien armées pour faire face à une période de turbulence. En outre, tout comme en Chine, le degré d'exposition du reste des banques asiatiques est limité, réduisant d'autant les risques de contagion.

Cela étant, l'extrême nervosité des marchés boursiers, qui ont connu successivement des records à la hausse puis à la baisse, montre à quel point les marchés peuvent être irrationnels et sujets à des comportements moutonniers qui amplifient les fluctuations des cours.

C'est néanmoins dans la sphère de l'économie réelle que ces économies risquent de souffrir le plus. Leur dépendance vis-à-vis des marchés occidentaux (soit directement, soit indirectement via la Chine) est également importante : en dépit de l'accroissement spectaculaire des échanges intra-asiatiques, plus de 60% des exportations de l'Asie de l'Est (hors Japon) sont en effet encore destinés en fin de compte aux marchés américain et européen. D'ailleurs, le ralentissement de l'activité dans le monde industrialisé s'est d'ores et déjà traduit par la chute du trafic de conteneurs entre l'Asie et les États-Unis à un niveau jamais atteint, alors que celui entre l'Asie et l'Europe serait au plus bas depuis 15 ans, d'après le courtier britannique Drewry.

Les difficultés sont en outre accrues, pour certaines des économies asiatiques, par l'instabilité interne. C'est en particulier le cas de la Thaïlande où la crise politique persistante affaiblit considérablement la capacité de résistance et de réponse des autorités. La situation politique en Malaisie, bien que moins chaotique, ne favorise pas non plus la réactivité. Dans le cas de la Corée enfin, la détérioration de la situation financière du pays (indépendamment de la crise américaine) ne facilite pas la tâche du gouvernement. Les appels du Président Lee Myunk Bak au patriotisme de la population, censés accroître la mobilisation pour faire face à la crise, suffiront-ils. Rien n'est moins sûr.

Le grand retour du Japon ?

Fort d'un système financier assaini après la longue purge des années 1990 et l'éclatement de la bulle immobilière, le Japon apparaît en mesure de contribuer efficacement à la recapitalisation de certaines institutions financières américaines en difficulté. Il s'y est d'ailleurs déjà employé avec la reprise des activités Asie, Europe et Moyen Orient de la banque d'affaires new yorkaise Lehman Brothers par Nomura ou encore avec l'acquisition par Mitsubishi Financial Group de 21% du capital de Morgan Stanley. Tokyo a également assuré le FMI qu'il contribuerait activement aux éventuelles interventions du Fonds en faveur des économies touchées par la crise.

Pour autant, le Japon n'est pas non plus épargné par les turbulences liées à la crise américaine. L'indice Nikkei a perdu plus du quart de sa valeur depuis le début de l'année, et la ralentissement de l'économie américaine est pour bonne partie responsable du premier déficit commercial au Japon depuis plus de 25 ans. La crise de confiance alimentée par les incertitudes sur l'environnement international plombe pour l'heure la demande intérieure, qui était pourtant devenue un ressort important de la croissance de l'archipel. Il y a toutefois fort à parier que ces impacts négatifs seront de courte durée car la capacité de résistance de l'économie japonaise a été fortement améliorée suite à l'effort de restructuration de la décennie passée.

Des effets à long terme bénéfiques pour la région

Dans une optique de plus long terme, la crise actuelle a toutes les chances de se révéler bénéfique pour la région Asie. Tout d'abord, en réponse à la crise les économies asiatiques seront contraintes de passer à une stratégie de croissance plus équilibrée et partant plus pérenne, qui s'appuie plus résolument sur la consommation intérieure et non plus quasi exclusivement sur l'investissement et les exportations.

Autre conséquence non négligeable de la vulnérabilité actuelle de l'Asie face à la crise financière, la reprise des efforts de coopération économique régionale. Jusqu'à présent, les économies asiatiques n'ont guère progressé sur la voie de la coopération, ni même de la concertation régionale. Au lendemain de la crise financière de 1997-98, elles avaient décidé la mise en place de l'initiative dite de Chiang Mai, qui permet une mise en commun partielle des réserves de change de la région et s'appuie sur un réseau d'accords de swap entre toutes les économies de la région. En réponse aux turbulences actuelles, le dialogue est relancé et le mécanisme renforcé. En outre, les effets pervers d'une dépendance excessive vis-à-vis des marchés extérieurs devraient finir de convaincre les gouvernants asiatiques de l'urgence de la création d'un véritable grand marché régional.

A court terme, le salut de l'économie mondiale ne viendra donc pas d'Asie. La région n'échappera pas à la contagion et connaîtra elle aussi un ralentissement de sa croissance. Toutefois, l'ampleur et la durée des corrections devraient y demeurer plus limitées qu'en Occident, permettant à ces économies de jouer un rôle de premier plan dans la reprise mondiale. Avec l'accroissement de la part de ces économies dans les équilibres économiques mondiaux, il y a fort à parier qu'elles se verront attribuer une part plus importante dans les instances de gouvernance économique mondiale. Il était temps.

 

Françoise Nicolas est économiste à l'Ifri.

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