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Cuba et l’Afrique. Une relation ancienne à l’aune du réchauffement avec Washington

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L’histoire des relations entre l’archipel de Cuba et l’Afrique est ancienne et profonde. Le régime de Fidel Castro a particulièrement compté dans les années 1960 et 1970 dans le soutien politique et militaire aux mouvements de libération d’obédience marxiste dans les colonies portugaises.

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Pour ce faire, Cuba a pu compter sur Ernesto Guevara, l’un des principaux acteurs du soutien militaire aux pays africains dans les années 1960. Le rôle de Cuba en Afrique s’est réduit brutalement à partir des années 1990, le pays étant frappé par une violente crise économique du fait de l’arrêt quasi total de l’aide de l’URSS alors même que le blocus américain se poursuivait. Ce dernier, imposé en 1962, n’est toujours pas levé aujourd’hui et a coûté, selon les chiffres du ministre des Affaires étrangères cubain 125,9 milliards de dollars à Cuba1. Le blocage américain a fortement façonné la politique étrangère de Cuba, structuré son économie et contribué à sa relation forte avec l’Afrique. Après la reprise des relations entre Cuba et les États-Unis en 2015, menacée par l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, et la mort de Fidel Castro en novembre, cette étude se propose d’interroger la relation actuelle entre Cuba et l’Afrique alors que le monde entier se bouscule afin d’accéder aux marchés de cette île.

De l’anti-impérialisme à un plus grand pragmatisme politique

Depuis la retraite politique de Fidel Castro en 2006 et la prise de pouvoir de son frère Raul Castro, de nouveaux ministres moins idéologiquement marqués, au profil davantage technocratique, ont fait leur entrée au gouvernement cubain. L’ancien ministre cubain des Affaires étrangères, Felipe Pérez Roque (1999-2009), considéré comme un dur du régime2 a ainsi fait place à un diplomate de carrière, Bruno Rodríguez Parrilla. Ce dernier a mis en place une stratégie africaine plus pragmatique, ouverte à des partenariats moins traditionnels, et avec des objectifs plus « rentables économiquement ». Cette nouvelle vision n’a pas empêché le nouveau ministre de poursuivre le même but de Cuba au niveau politique à l’échelle continentale : obtenir que non seulement l’Union africaine condamne le blocus américain et les sanctions contre l’archipel mais aussi que les différentes puissances africaines le rappellent à leurs amis occidentaux et aux autres membres du Conseil de sécurité (Chine, Russie) afin de peser davantage. Cuba souhaite diversifier ses partenaires africains, afin d’accentuer sa stratégie d’adhésion à ses thèses dans les différentes enceintes internationales comme l’ONU afin d’obtenir au plus vite la levée de son embargo imposé par les États-Unis en 1962. Or, pour cela, le poids du Nigeria, première puissance économique africaine devant l’Afrique du Sud, est essentiel. Le Nigeria est à cet égard intéressant, étant historiquement proche des États-Unis et souvent aligné sur ses votes à l’ONU. Après plusieurs approches de la part de Cuba, le président Muhammadu Buhari, élu en mars 2015, a décidé de densifier la relation en envoyant à La Havane du 5 et 7 octobre 2016 son ministre des Affaires étrangères Geoffroy Onyeama. Le Nigeria, historiquement plutôt discret – en dehors de la période d’Olusegun Obasanjo (1999-2007) – dans son soutien à Cuba face au blocus économique américain, change de braquet avec l’actuel président nigérian Muhammadu Buhari. Ce dernier, ayant un mode de pensée que l’on pourrait qualifier « d’étatiste », est fasciné par le modèle de fonction publique cubaine. Le Nigeria devrait notamment envoyer davantage d’étudiants dans les universités cubaines. Quelques semaines après sa prise de fonction, Raul Castro a également souhaité relancer la coopération avec la Libye de Mouammar Kadhafi espérant attirer des fonds en échange de coopération technique ainsi que profiter du réseau africain non négligeable de l’ancien guide.

Ces ouvertures n’empêchent en rien de poursuivre les axes de coopération plus classiques. Armando Guebuza, ancien président du Mozambique (2005-2015) fut le premier chef d’État à séjourner à Cuba en mars 2008 après l’élection comme président plénipotentiaire de Raul Castro. Le président mozambicain séjourna trois jours dans l’archipel en compagnie de ses ministres des Affaires étrangères, de la Santé, des Sciences et technologie, du Commerce, de l’Éducation et de la Culture. Cuba accueille la plus grande population d’étudiants mozambicains à l’étranger grâce à l’octroi de multiples bourses3. Pour son premier séjour africain en tant que président en février 2009, Raul Castro s’est rendu pendant trois jours chez son meilleur allié africain, l’Angola où il fut ovationné à l’Assemblée nationale.

Le deuxième séjour officiel de Raul Castro en Afrique débuta par le XVe Congrès du mouvement des non alignés organisé en Égypte en juillet 2009. Le président cubain en profitait pour effectuer une halte en Algérie afin de rencontrer son homologue Abdelaziz Bouteflika, également président du Front de libération national (FLN) avec lequel le Parti communiste cubain a toujours entretenu une relation particulière depuis les années 1960 – Bouteflika s’est à son tour rendu à La Havane en septembre 2009. Lors de la troisième visite officielle en Afrique de Raul Castro en tant que président, en mai 2015, ce dernier fit à nouveau escale en Algérie où il rencontra son homologue, ainsi que le Premier ministre, le chef des armées ainsi que des investisseurs4.

Ces séjours répétés en Algérie sont également liés à l’une des permanences des relations entre Cuba et l’Afrique : le soutien indéfectible de Cuba au Polisario afin d’obtenir l’indépendance de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), objectif également ardemment défendu par l’Algérie. Le ministre des Affaires étrangères sahraouie Mohamed Salem Ould Salek a par exemple été reçu à La Havane en juillet 2015 par son homologue cubain ainsi que par les dirigeants du Parti communiste cubain avec lequel le Polisario a des liens depuis les années 19705. La RASD a ainsi un ambassadeur permanent à Cuba. Raul Castro s’est également rendu en 2011 à Windhoek et Luanda, six mois seulement après avoir y avoir fait sa première visite.

Compte tenu des liens très étroits entre l'African National Congress (ANC) et Cuba, Raul Castro était bien évidemment présent en Afrique du Sud lors de la cérémonie d’hommage organisée le 10 décembre 2013 après la mort de Nelson Mandela. À cette occasion, Raul Castro fut l’un des six chefs d’État et de gouvernement – parmi la centaine de présents – convié à prononcer un discours, et sa poignée de main avec Barack Obama fut qualifiée d’historique et annonciatrice d’une relation apaisée entre Cuba et les États-Unis.

Au-delà de la coopération traditionnelle via la diplomatie et les officiels de l’État cubain, les relations anciennes entre le Parti communiste cubain et les pays africains sont capitales dans la relation politique et économique. La personnalité ayant probablement le plus compté pour entretenir les relations privilégiées entre Cuba et l’Afrique est le coordinateur Afrique/Moyen-Orient du département des relations internationales du comité central du Parti communiste cubain, Rodolfo Puente Ferro.

Cuba et l’Afrique, une coopération économique dense

L’un des principaux vecteurs du soft power cubain repose sur le nombre de ses cadres et fonctionnaires envoyés à l’étranger dans le cadre de la coopération. Le ministre des Affaires étrangères, Bruno Rodríguez Parrilla, a estimé à 76 000 le nombre de Cubains qui ont été postés dans 39 pays d’Afrique pendant la période de Fidel Castro6. Les domaines militaire, médical et pharmaceutique, de la biotechnologie7, ou de l’agriculture sont ceux qui ont le plus profité de l’expertise cubaine en Afrique. Lors de la crise Ebola entre 2013 et 2015 qui a touché la Sierra Leone, le Liberia et la Guinée, le ministre des Affaires étrangères cubain Bruno Rodriguez Parilla a envoyé 300 médecins et infirmières pour endiguer l’épidémie8. Mais la coopération ne s’arrête pas à ces secteurs. Lorsque par exemple le ministre angolais des Travaux publics Higino Carneiro s’est rendu à La Havane pour une visite de trois jours en septembre 2007, il emmena avec lui des fonctionnaires des ministères du Tourisme, de la Construction, des Sports, de la Culture et des Affaires étrangères9. On estime à un millier le nombre de citoyens cubains travaillant actuellement en Angola pour aider l’État à améliorer ses performances dans de nombreux domaines10. Au Mozambique, 3 700 fonctionnaires ont été formés par Cuba, les premiers sont arrivés en 1977 du fait du départ des Portugais11. De même, lorsque le vice-président sud-africain Cyril Ramaphosa s’est rendu à Cuba en octobre 2015, il était entouré de pas moins de huit ministres. À chaque fois que des délégations africaines se rendent à La Havane, c’est avec des demandes précises dans des domaines dans lesquels Cuba peut apporter une expertise qu’ils n’ont pas.

Cuba à pieds joints dans une nouvelle globalisation au détriment de l’Afrique ?

Après la reprise des relations diplomatiques avec les États-Unis en 2015, Cuba se trouve dans une nouvelle dynamique et peut espérer utiliser ses atouts – son administration compétente – pour développer son économie, en particulier dans les domaines de la santé et des biotechnologies qui sont rentables pour lui. Les chances sont grandes pour que les partenariats historiques africains notamment avec l’Angola et les autres colonies portugaises restent prépondérants. Cependant, si l’Afrique a immensément compté pendant la guerre froide et continue à être central, son rôle dans les relations internationales de Cuba pourrait être amené à diminuer en cas de levée du blocus américain. En effet, de nouveaux partenaires prêts à investir se pressent à La Havane pour profiter de la bonne formation des Cubains et des potentiels de ce pays. Le ministre émirati des Affaires étrangères Sheikh Abdullah bin Zayed Al-Nahyan s’est par exemple rendu en octobre 2015 à La Havane pour discuter des possibilités de coopération dans la santé et les énergies renouvelables. Pour les Émirats, les opportunités sont également importantes en terme de transport aérien (Emirates) ainsi que portuaire (DP World). De même, l’émir du Qatar, Sheikh Tamim bin Hamad Al-Thani était à La Havane le 24 novembre afin de signer un partenariat entre Qatar Investment Authority et le ministère du Commerce cubain12. Les investisseurs européens ont également mis le cap sur La Havane : des premiers contrats ont été signés par les entreprises françaises (notamment Paris Aéroport et Bouygues pour l’aéroport de La Havane). Les Américains n’ont pas attendu bien longtemps pour investir depuis la reprise des relations diplomatiques en 2015. Les restrictions empêchent encore nombre d’investissements mais si le Congrès américain (le seul à être habilité à lever un embargo) assouplit voire fait cesser l’embargo, il est certain que les États-Unis deviendront rapidement le principal partenaire de Cuba de par la proximité géographique, la puissance économique américaine ainsi que la très large diaspora cubaine aux États-Unis. L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche en janvier 2017 est cependant de mauvais augures pour la levée de cet embargo ayant répété à plusieurs reprises qu’il pourrait remettre en cause la récente politique d’assouplissement économique et diplomatique si un meilleur accord « pour les Cubains » n’était pas trouvé rapidement13.

 

Une version longue de ce texte est disponible à l’adresse suivante :

afriquedecryptages.wordpress.com


1. Voir « Cuba Launches New International Campaign against U.S. Embargo », Reuters, 9 septembre 2016, disponible sur : www.reuters.com.

2. Filipe Pérez Roque est l’ancien secrétaire particulier de Fidel Castro et fait partie du groupe appelé « Los Taliban », en référence à leur intransigeance vis-à-vis de la défense de la révolution cubaine.

3. Africa News, 3 mars 2008.

4. EFE Newswire, 4 mai 2015.

5. Sahara Press Service, 7 juin 2015.

6. El País, 29 septembre 2014.

7. Les antirétroviraux et le secteur des biotechnologies rapportent 400 millions de dollars à Cuba selon Africa News, 3 mars 2008. Un projet d’usine de production de vaccin anti-hépatite B a été décidé en 2009 entre l’Algérie et Cuba. Le Ghana a par exemple commandé pour 74 millions de dollars de vaccins anti-malaria en 2012 à la société cubaine Labiofam. Source : Miami Herald, 2 juillet 2012.

8. El País, 29 septembre 2014.

9. Africa News, 4 septembre 2007.

10. Africa News, 25 juin 2008.

11. Agencia de Informacao de Mocambique, 27 septembre 2015.

12. MenaFN.com, 24 novembre 2015.

13. Voir « Donald Trump’s Threat to Close Door Reopens Old Wounds in Cuba », New York Times, 28 novembre 2016, disponible sur : www.nytimes.com.

 

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Benjamin AUGÉ

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Créé en 2007, le centre Afrique subsaharienne de l’Ifri produit une analyse approfondie du continent africain, de ses dynamiques sécuritaires, géopolitiques, politiques et socio-économiques (en particulier le phénomène d’urbanisation). Le Centre se veut à la fois, via les différentes publications et conférences, un espace de diffusion d’analyses à destination des médias et du public mais aussi un outil d'aide à la décision des acteurs politiques et économiques à l'égard du continent.  

 

 

Le centre produit des analyses pour différents organismes tels que le ministère des Armées, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Agence française de développement (AFD) ou encore pour différents soutiens privés. Ses chercheurs  sont régulièrement auditionnés par les commissions parlementaires.

 

 

L’organisation d’événements de divers formats complète la production d’analyses en amenant les différentes sphères de l’espace public (académique, politique, médiatique, économique et société civile) à se rencontrer et à échanger outils d’analyse et visions du continent. Le Centre Afrique subsaharienne accueille régulièrement des responsables politiques de différents pays d’Afrique subsaharienne. 

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