Feue la taxe carbone, vers une écotaxe européenne ?
La taxe carbone était une bonne idée et reste un outil adapté à la lutte contre le changement climatique et aux réductions d’émissions qu’elle exige.
Une première mouture, imparfaite mais qui avait le mérite de poser les bases d’une fiscalité écologique, avait été maladroitement présentée à l’opinion publique. En rejetant ce projet au nom de l’égalité devant la loi, la décision du conseil constitutionnel n’a pas reconnu la rationalité économique qui justifiait l’exemption de la majeure partie de l’industrie déjà soumise à une autre forme de fiscalité carbone, le marché européen des droits de CO2 (EU ETS). Oui, les quotas de CO2 ne deviendront payants qu’en 2013 et continueront jusque-là d’être distribués gratuitement. Cela ne signifie pas pour autant que l’industrie est exempte de coûts : un industriel " vertueux " qui reste en deçà du plafond qui lui a été alloué, peut revendre ses quotas excédentaires à celui qui n’a pas pu, ou ne peut pas, réduire ses émissions.
Au niveau de l’Europe, 46% des émissions des gaz à effet de serre (GES) sont couvertes par le marché européen du carbone. Il s’agit donc de s’attaquer aux émissions restantes, en particulier celles provenant des transports et de l’habitat, secteurs dont les émissions sont en constante augmentation et pour lesquels la solution passe par des substitutions d’équipement, par l’innovation technologique et par des modifications de comportements. C’est bien le " signal prix " qui incitera à " décarboner " des économies jusqu’ici fortement émettrices. Donner un prix au carbone doit s’appuyer sur des approches flexibles qui varient selon les acteurs et les secteurs économiques. Si une approche " marché " semble bien adapté à des secteurs où les émissions de GES sont aisément identifiables, c’est le cas du secteur de l’énergie et de l’industrie lourde couverts par l’EU ETS, la taxe répond mieux au traitement des émissions diffuses telles que celles provenant des secteurs du bâtiment et du transport. Certainement, une taxe limitée au périmètre national pouvait créer des distorsions de concurrence. De ce point de vue un dispositif harmonisé à l’Union Européenne et fonctionnant en parallèle du marché européen des quotas de CO2 serait plus efficace.
La nouvelle commission entend inscrire à l’agenda européen un projet de taxe sur les carburants et les combustibles de chauffage. Elle devra vaincre l’opposition de nombreux Etats membres, en particulier celle du Royaume Uni, pour éviter de renouveler l’échec de la proposition du commissaire à la fiscalité Laszlo Kovacs en 2008. L’évolution de la fiscalité européenne reste conditionnée à l’unanimité des votes.
L’Union Européenne doit aussi veiller à préserver la compétitivité de ses entreprises. Les économies émergentes bénéficient déjà d’avantages comparatifs notamment au niveau des taux de change. A trop se contraindre, l’UE risque de voir certaines de ses industries fuir vers des pays moins exigeants sur le plan environnemental. Taxer le contenu carbone de produits importés relève de la fausse bonne idée. Comment procéder sans que cela induise des effets pervers pour les entreprises européennes ? Comment éviter de lourdes procédures de vérifications qui pourraient mener à des accusations de protectionnisme ? Les marchés du carbone pourraient apporter une solution sous réserve de convaincre Chine et Inde d’y participer.
Introduire une taxe carbone en France traduisait une volonté politique d’amorcer une transition vers une économie " décarbonée " tout en anticipant les coûts auxquels le citoyen français ne pourra échapper. La taxe carbone version française est morte et enterrée, dont acte. Il appartient à présent à la France de convaincre ses partenaires européens d’adhérer à une fiscalité verte pour qu’une taxe carbone voit le jour en complément du marché européen des quotas. Mais cela n’a de sens que si l’Europe parvient quant à elle à convaincre ses partenaires internationaux d’adopter des mesures similaires. Le chemin risque d’être long pour y parvenir.
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