Frontières de l'Union Européenne : scénarios et options
Compte-rendu réalisé par Adrianne Montgobert, stagiaire, Ifri Bruxelles
Michel Foucher introduit ce débat autour des frontières de l"UE à la suite de la publication de son livre L"Europe et l"avenir du monde aux éditions Odile Jacob, mai 2009.
Les interrogations autour des frontières de l"Europe sont récurrentes. En réalité, il s"agit de penser les limites de l"UE, comme Europe instituée. Or, le débat se concentre presque exclusivement sur la Turquie et ignore d"autres régions qui se trouvent également sur les confins de l"UE. La question turque soulève deux problèmes. La société turque est-elle intégrable dans l"Union Européenne ? A terme, probablement oui. Quel est le fondement du projet politique européen : identitaire et culturel ou géopolitique et stratégique ? En dehors de la Turquie, d"autres régions soulèvent des interrogations. David Miliband, le ministre des Affaires Etrangères britannique, avait ainsi estimé que le Maghreb devrait à long terme se voir proposer une perspective d"intégration européenne (Bruges, 15/11/2007) dont la première étape serait une vaste zone de libre échange. Les Balkans soulèvent également de nombreuses questions en raison du manque de viabilité de certaines entités et de l"insuffisance de la concertation régionale.
Michel Foucher marque qu"il s"agit de réfléchir à des limites plutôt qu"à des frontières de l"UE. Il a comparé la pratique actuelle de l"élargissement à la notion américaine de la frontière (" frontier "), front pionnier en expansion, en voie de conquête de l"Est. Mais après le dernier élargissement, la tendance est à une pause même si les négociations entamées continuent. La diversité des opinions est frappante avec un soutien à la poursuite de l"expansion de l"UE allant de 25% seulemnt au Luxembourg à 75 % en Pologne. Les pays eurosceptiques comme la Suède ou le Royaume-Uni sont en faveur d"un grand élargissement, de même que ceux qui ont bénéficié des fonds de cohésion et pour lesquels l"intégration européenne a consolidé le processus démocratique (Espagne, Pologne). Les pays fondateurs sont actuellement plus réservés. De plus, cette question suscite de vrais clivages au sein des grandes familles politiques, avec un Parti Populaire Européen (PPE) réservé sur la Turquie et silencieux sur l"Ukraine et Parti Socialiste Européen (PSE) plus allant et récusant les critères géographiques pour insister sur le soutien à la laïcité.
Tout en présentant les différents scénarios possibles quant à l"élargissement, Michel Foucher a répondu à la question - où se situent les frontières de l"Union - " où l"on veut ", au sens où il s"agit de décisions politiques et géopolitiques et que l"enjeu est de choisir entre des frontières comme conçues comme limites, qui supposent l"existence de l"autre, et des frontières construites comme des bornes, qui excluent l"autre (c"est la configuration de la perspective culturaliste).
Monsieur Foucher a présenté plusieurs scénarios possibles. Le premier représente la vision géopolitique américaine. Pour les USA, l"Europe est une aire géo-stratégique où ils ont d"importants intérêts, depuis leur engagement militaire et politique de 1944, qui a rebondi en 1989-1991. Clinton, Bush et Obama ont tous les trois envisagé une UE large (tous les membres du Conseil de l"Europe sauf la Russie), en accord avec les intérêts américains.
Le scénario à critère culturel et identitaire exclut, à l"inverse, les sociétés considérées comme non intégrables, comme la Turquie. Le scénario économique de son côté, insiste sur la formation d"un grand marché qui engloberait le Maghreb et le Moyen-Orient. Un autre scénario, " géopolitique européen ", est envisageable, dans lequel l"UE développerait une approche au cas par cas en sortant de la logique du tout ou rien en matière d"adhésion et en musclant la politique de voisinage. Les critères de Copenhague, définis en 1993 pour encadrer la négociation avec l"Europe centrale au sortir du communisme, devraient être actualisés en fonction de la situation géopolitique propre des Balkans, en insistant sur la dimension régionale de la viabilité.
Débat avec le public
Le débat s"est concentré sur la défense, la politique régionale des Balkans et la Turquie. A propos de la Turquie, n"est-il pas dangereux de proposer l"adhésion, sachant qu"elle a des frontières avec l"Irak, la Syrie et l"Iran et qu"en cas d"attaque d"un pays membre, tous les pays de l"UE sont censés réagir ? Michel Foucher a rappelé la distinction entre Europe de la défense et défense de l"Europe, celle-ci assurée par l"OTAN et les capacités spécifiques française et britannique, celle-là impliquant des capacités de projection et de gestion de crises, y compris sur les confins. L"intégration européenne est un facteur de contention des tensions nationalistes (cf les surenchères entre Hongrie et Slovaquie). Il importe également de penser une nouvelle phase de la construction européenne en s"adossant aux objectifs suivants : s"assumer en tant que centre (mondial) de pouvoir ; rappeler le principe cardinal de solidarité ; s"attacher à la conscience de soi (connaissance de l"histoire des autres, définition d"intérêts communs, échanges culturels).
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