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Japon : le retour du nucléaire ? Trois questions à Jean-François Heimburger

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Quelles sont les positions du gouvernement japonais sur la question de la reprise de la production d’énergie nucléaire, et quel mix énergétique semble-t-il vouloir mettre en place pour l’avenir ?

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Le gouvernement actuel, dominé par le Parti libéral démocrate (PLD) auquel appartient le Premier ministre Shinzô Abe, considère l’énergie nucléaire comme une des sources d’électricité les plus importantes pour le pays. Cela tranche avec l’ancien gouvernement, dirigé par Yoshihiko Noda et le Parti démocrate du Japon (PDJ) jusqu’à la fin 2012, qui souhaitait une sortie du nucléaire en 2030.

Le 30 janvier 2015, une série de réunions sur l’avenir de la politique énergétique du Japon ont été lancées par le ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie. Ces discussions rassemblent un panel d’experts, dont certains avancent une part de 15 % de nucléaire dans le mix énergétique d’ici 2030 (il était de 28 % avant la crise nucléaire en 2010, et de 1 % en 2013). Le ministère souhaite qu’il représente 20 à 25 % du total, mais cela impliquerait la construction de nouvelles centrales et/ou la prolongation de l’exploitation de certains réacteurs au-delà de 40 ans. Rappelons que les nouvelles exigences gouvernementales en matière de sécurité nucléaire, adoptées en juillet 2013, prévoient le démantèlement des réacteurs de plus de 40 ans, au nombre de sept à ce jour. Une prolongation exceptionnelle de 20 ans reste possible, et semble d’ailleurs envisagée pour les réacteurs no 1 et 2 de la centrale de Takahama.

Le ministère appelle également à poursuivre le développement des énergies renouvelables, avec pour objectif une part de 20 % dans quinze ans (contre 9,6 % en 2010 et 10,7 % en 2013), afin de lutter contre le réchauffement climatique. En effet, la part des énergies fossiles a augmenté (62 % en 2010, 88 % en 2013) pour compenser l’arrêt des centrales nucléaires, et le pays a émis une quantité record de gaz à effet de serre en 2013. Quoi qu’il en soit, un nouveau plan énergétique, plus précis que le précédent (qui date de l’été 2014), sera présenté en juin 2015. D’ici là, les experts et la population participeront aux discussions. Les conséquences de la libéralisation du marché de l’électricité, prévue pour 2016, seront également étudiées.

Quatre ans seulement après la catastrophe de Fukushima, ce changement de cap a de quoi surprendre. Comment le public japonais a-t-il réagi à ces annonces ?

Le gouvernement est d’abord soutenu par les entreprises, qui subissent la hausse des prix de l’électricité depuis l’arrêt des centrales nucléaires. Il est aujourd’hui prévu de redémarrer quatre réacteurs sur 48 : les réacteurs no 1 et 2 de la centrale de Sendai (département de Kagoshima) et les réacteurs no 3 et 4 de la centrale de Takahama (département de Fukui). L’Autorité de régulation nucléaire (ARN) a déclaré qu’ils répondaient aux nouveaux règlements de 2013. La procédure prévoit une obligation d’approbation par les collectivités concernées – obtenue fin 2014 pour le complexe de Sendai – ainsi que diverses inspections. Le redémarrage, qui a été plusieurs fois repoussé en raison du retard pris par l’exploitant dans la constitution de certains dossiers, n’est à ce jour pas envisageable avant mai ou juin 2015 pour Sendai – et pas avant l’automne 2015 pour Takahama.

Au niveau national, dans les sondages, plus de la moitié des Japonais interrogés sont contre le redémarrage des centrales. Il paraît donc indispensable que les décisions politiques prennent en compte l’avis des citoyens. Fin janvier, 3 000 personnes ont encore manifesté à Kagoshima contre le redémarrage des réacteurs nucléaires. Il sera cependant intéressant d’observer l’évolution des positions du grand public face au gonflement de leur facture d’électricité qu’impliquerait une part de 20 % de renouvelable dans le mix énergétique : entre 225 et 935 yens (1,5 à 7 euros) supplémentaires par mois – sachant que le prix de l’électricité a déjà augmenté de 20 % pour les particuliers depuis l’arrêt du nucléaire. Rappelons que, d’une manière générale, la population nippone est davantage préoccupée par l’économie et l’emploi que par les questions d’énergie nucléaire et de défense. Ces dernières passent donc au second plan, comme nous l’avons constaté lors des dernières élections législatives, remportées fin 2014 par le PLD pro-nucléaire.

Au niveau local en revanche, dans les municipalités qui abritent une centrale nucléaire, la situation peut être différente, bien que les habitants soient les plus directement exposés. À Satsuma-Sendai, 49 % des sondés, et 75 % des 20-39 ans, sont favorables à la reprise de l’activité, contre 44 % qui y sont défavorables. En effet, les villes concernées dépendent économiquement de l’exploitation des centrales.

Peut-on dire que le Japon, qui est l’un des pays les plus volcaniques du monde, est plus exposé que d’autres au risque d’accident nucléaire ?

L’éruption du mont Ontake a suscité un nouveau débat sur la sûreté des centrales face aux risques volcaniques. Or il est important de rappeler que celle-ci était peu importante en termes d’aléa : seulement 500 000 tonnes de fragments volcaniques ont été éjectées, sans risque pour les installations nucléaires les plus proches. C’est l’ampleur des dégâts aux personnes (57 morts et 6 disparus) qui en a fait une catastrophe.

Parmi les cinq pays les plus volcaniques, qui comptent près de 50 % des volcans actifs du monde sur leur territoire, seuls trois possèdent des réacteurs nucléaires opérationnels : les États-Unis, le Japon et la Russie. Mais il faut tenir compte de la plus faible superficie de l’Archipel et de l’activité plus importante de ses volcans dans les cent dernières années. On pourrait donc dire que le Japon est plus exposé que d’autres au risque d’accident nucléaire lié au volcanisme. Cependant, il est aussi un des pays les mieux équipés au monde en matière de surveillance et améliore sans cesse son système de prévision-prévention.

Des guides techniques d’études d’impact des phénomènes volcaniques sur les centrales nucléaires sont publiés et réactualisés depuis 2009. Par ailleurs, dans le cadre de la nouvelle réglementation gouvernementale de 2013, des mesures de prévention ont été renforcées ou introduites (contre les séismes, tsunamis, typhons, éruptions, feux de forêt, mais aussi antiterroristes) et si de nouveaux risques sont identifiés dans le futur, les réacteurs qui auraient redémarré cesseront à nouveau de fonctionner jusqu’à leur remise aux normes.

Depuis juillet 2013, des demandes d’enquête en vue d’obtenir un accord de redémarrage des réacteurs ont été déposées pour une vingtaine de réacteurs seulement. Avec les nouvelles normes, la sécurité nucléaire semble renforcée : le faible nombre de dossiers déposés et le rallongement des délais prouvent qu’il n’est pas aisé d’obtenir les diverses approbations.

Rappelons enfin que le risque zéro n’existe pas et qu’une éruption « méga colossale » occasionnerait des dégâts très importants, sur la population comme sur les installations nucléaires. Une telle éruption, expulsant des milliers de km3 de produits volcaniques, aurait 0,26 % de chance de se produire au Japon dans les cent prochaines années.

Jean-François Heimburger est l'auteur de l’article « Japon : sous les volcans, le nucléaire » dans le numéro de printemps 2015 de Politique étrangère. Cet article a été originellement publié sur le blog de la revue : http://politique-etrangere.com.

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