JO de Tokyo : les Jeux de tous les dangers
La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques (JO) de Tokyo est programmée le 23 juillet, mais les cœurs ne sont pas à la fête dans la capitale placée sous état d’urgence.
Ces Jeux devaient être ceux de la résilience pour le Japon, dix ans après le tsunami et la catastrophe nucléaire de Fukushima. Reportés en pleine crise du COVID, ils devaient alors symboliser la victoire sur la pandémie. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, et ces Jeux pourraient plutôt devenir le symbole des ambivalences de l’humanité prise dans la nasse d’une pandémie mondiale sans précédent. Le Japon relève donc un défi inédit, dans une situation très inconfortable : il sera le centre de toutes les attentions durant les prochaines semaines, avec tous les risques qui s’y rattachent.
Le Japon au pied du mur
Pour le Japon, l’accueil des JO dans un tel contexte sanitaire est une gageure, alors qu’une écrasante majorité de l’opinion publique japonaise[1] demandait encore récemment l’annulation pure et simple des Jeux. L’administration japonaise n’a en réalité guère le choix : après un premier report d’un an, les sommes engagées atteignent plus de 13 milliards d’euros (un record). L’annulation des JO, outre qu’elle ne peut être décidée que par le Comité international olympique (CIO), impliquerait le paiement de pénalités importantes[2] occasionnant une perte financière énorme. D’ores et déjà, la décision de tenir la plupart des épreuves à huis clos et les controverses grandissantes face à leur maintien ont découragé certains sponsors, dont Toyota[3]. Le manque à gagner devrait être conséquent pour l’organisateur japonais. Enfin, se désengager des Jeux constituerait également un aveu d’échec diplomatique pour l’archipel, alors que la Chine doit accueillir les prochains Jeux d’hiver, dans tout juste six mois.
Dans ces circonstances, Tokyo doit assurer la tenue de Jeux ultra-sécurisés afin d’éviter la création de foyers de contamination ou une nouvelle flambée épidémique, au risque de ne satisfaire ni les athlètes, ni le public, ni les mécènes. Des mesures drastiques sont prises pour permettre la tenue de JO quasiment « sous bulle » avec des athlètes majoritairement vaccinés et contraints dans leurs déplacements hors compétition. Pour autant, des cas ont commencé à se déclarer au sein de plusieurs délégations et l’on craint la propagation du virus hors du village olympique[4].
Les risques liés au COVID
La population nippone a le sentiment que son gouvernement s’est retrouvé contraint par le CIO[5] de maintenir ces Jeux, au mépris de la santé publique. Par ailleurs, les Japonais considèrent que la gestion de la pandémie a été erratique, marquée par un démarrage tardif de la campagne de vaccination[6], malgré les doses de sérum à disposition. Seulement 22 % de la population a reçu une double injection alors que le variant Delta, plus virulent, est à l’origine de plus de 1 500 nouveaux cas par jour. Si ce chiffre semble relativement modeste face à la recrudescence des cas dans les pays européens, il convient de rappeler que la politique de test est au Japon de bien moindre ampleur qu’en Europe. En outre, le système hospitalier nippon s’est retrouvé localement engorgé[7] à plusieurs reprises ces derniers mois, la plupart des lits de réanimation se trouvant au sein de cliniques privées, difficilement mobilisables par le gouvernement. Certaines autorités de santé[8] craignent donc une détérioration rapide de la prise en charge des victimes japonaises du COVID alors que de nombreux personnels médicaux sont réquisitionnés pour assurer la sécurité des Jeux.
Par ailleurs, certaines mesures ont été mal comprises : après avoir maintenu les frontières quasi hermétiquement fermées durant de longs mois – plaçant les ressortissants étrangers résidant au Japon[9] dans des situations parfois inextricables – la décision d’ouvrir le pays aux plus de 70 000 participants étrangers pour les JO a semblé bien incohérente.
Les risques en termes d’image
Pour le Japon, ces Jeux, qui se déroulent dans un contexte ultra-contraignant, et qui sont donc susceptibles de ne satisfaire personne, représentent un pari très risqué. En effet, l’archipel est internationalement exposé et chaque faille dans l’organisation est et sera abondamment commentée. Vitrine médiatique, ces Jeux agissent aussi comme une caisse de résonance, amplifiant les ambivalences et les maladresses des autorités japonaises dans la gestion de la crise sanitaire et la mise en œuvre des JO. Dysfonctionnements qui existent dans de nombreux autres pays mais qui n’ont pas reçu la même attention.
Les limites de l’État japonais en matière de gestion de crise[10] ont ainsi été mises en lumière. Légalement, le gouvernement ne dispose pas des prérogatives nécessaires pour décréter un confinement strict ou un couvre-feu, par exemple. Par ailleurs, le manque de coordination entre les différents ministères impliqués d’une part, et entre le gouvernement central et les collectivités locales d’autre part, a retardé la mise en place de mesures efficaces de prévention, de gestion des lits d’hôpital et le déploiement de la campagne de vaccination. Enfin, le gouvernement Suga semble avoir navigué à vue, entre gestion sanitaire de la crise, préoccupations économiques et préparation des Jeux.
Les démissions à répétition ont aussi souligné certaines problématiques peu flatteuses pour l’image du Japon : en février, Yoshiro Mori[11], le président du comité d’organisation des JO, est poussé à se retirer après avoir multiplié les remarques misogynes. Plus récemment, c’est le compositeur en charge de la musique pour la cérémonie d’ouverture, Keigo Oyamada[12], qui a annoncé son départ, confessant avoir harcelé des camarades handicapés au lycée.
Les JO devaient enfin être une vitrine diplomatique pour le Japon. Si Tokyo a reçu le soutien de ses partenaires[13] lors du dernier Sommet du G7, peu de dirigeants feront le déplacement. Emmanuel Macron sera l’un des rares chefs d’État qui assisteront à la cérémonie d’ouverture[14], afin de rendre hommage aux efforts du Japon pour maintenir ses Jeux malgré l’adversité et alors que Paris sera ville olympique en 2024. Pour sa part, le président sud-coréen Moon Jae-in a finalement préféré annuler sa venue[15], faute d’être parvenu à un accord avec la partie nippone permettant d’aplanir les frictions liées aux questions historiques qui empoisonnent les relations bilatérales.
Le parcours du combattant pour maintenir les JO[16] a mis en lumière les maladresses du Japon en matière de communication publique[17], avec des annonces parfois contradictoires sur les conditions de tenue de la compétition. La gestion de crise, et plus particulièrement, la communication de crise n’est pas le fort des Japonais. Certains observateurs ont par exemple suggéré que la mise en place d’un centre dédié à la communication de crise[18], en particulier destinée aux médias internationaux, aurait été utile pour maîtriser le récit autour des Jeux.
La reprise en main du discours public autour des JO est donc l’un des enjeux de taille pour Tokyo. Malgré des circonstances extraordinairement complexes, le Japon est pourtant parvenu à maintenir ces Jeux. Leur gestion est sans doute imparfaite. Mais quel pays pourrait se targuer de pouvoir mieux faire ? Le message que l’on retiendra des Jeux sera sans nul doute multiple et nuancé[19]. Certains retiendront dans cet entêtement de la part de Tokyo, mais surtout du CIO, une preuve de leur hubris[20]. D’autres y verront un symbole de résistance face à la pandémie, avec ses imperfections et ses ambivalences.
[1]. « Survey : 83% against Holding Tokyo Olympics this Summer », The Asahi Shimbun, 17 mai 2021, www.asahi.com.
[2]. J. Fleuri, « Des Jeux olympiques impossibles à annuler : comment le Japon se retrouve piégé en pleine pandémie », Ouest France, 16 juin 2021, www.ouest-france.fr.
[3]. « Covid : Toyota se détache des Jeux Olympiques de Tokyo », Les Échos, 19 juillet 2021, www.lesechos.fr.
[4]. « What Olympic “Bubble”? Entry Loopholes Result in Contact Between Athletes, Fans », The Mainichi, 19 juillet 2021, https://mainichi.jp.
[5]. T. Takashi, « Extent of IOC Influence Revealed as Tokyo Counts Down to Games », Nippon.com, 13 juillet 2021, www.nippon.com.
[6]. R. Swift, « Unused COVID Shots Piling Up in Japan amid Slow Rollout », Reuters, 7 mai 2021, www.reuters.com.
[7]. K. Takenaka, « No One’s Safe Anymore: Japan’s Osaka City Crumples under COVID-19 Onslaught », Reuters, 21 mai 2021, www.reuters.com.
[8]. A. Slodkowski, « Tokyo Doctors Call for Cancellation of Olympic Games Due to COVID-19 », Reuters, 18 mai 2021, www.reuters.com.
[9]. M. Osumi, « Tokyo’s Pandemic Border Policy Highlights Insecure Status of Foreign Residents », The Japan Times, 30 décembre 2020, www.japantimes.co.jp.
[10]. H. Akita, « COVID Reveals Japan’s Long History of Poor Crisis Management », Nikkei Asia, 12 mai 2021, https://asia.nikkei.com.
[11]. « Tokyo Olympics Chief Mori Resigns over Sexist Comments », France 24, 12 février 2021, www.france24.com.
[12]. « Tokyo Olympics Composer Keigo Oyamada Resigns over Past Bullying », Nikkei Asia, 19 juillet 2021, https://asia.nikkei.com.
[13]. « Japan Gains Backing from Biden and G7 for Staging “Safe” Olympics », The Japan Times, 14 juin 2021, www.japantimes.co.jp.
[14]. « Around 15 world leaders to attend Tokyo Olympics opening ceremony », The Mainichi, 21 juillet 2021, https://mainichi.jp.
[15]. « S. Korea’s Moon Not to Visit Japan for Tokyo Olympics », The Mainichi, 19 juillet 2021, https://mainichi.jp.
[16]. A. Sharp, « The Turbulent Journey to the Opening of Tokyo 2020 », Nikkei Asia, 19 juillet 2021, https://asia.nikkei.com.
[17]. Y. Hagiwara, « How the Tokyo Olympics Became One Big Public Relations Quagmire », Bloomberg, 23 mars 2021, www.bloomberg.com.
[18]. N. Snow, « The Olympics Are Here But at What Cost to Japan’s Reputation? », Nikkei Asia, 13 juillet 2021, https://asia.nikkei.com.
[19]. « The 2020 Olympics Will Be Memorable, But Not in the Way Japan Hoped », The Economist, 15 juillet 2021, www.economist.com.
[20]. M. Wise, « Holding the Tokyo Olympics amid the Covid Pandemic Threat Is about Corporate Revenue, Not the Athletes », The Washington Post, 11 juillet 2021, www.washingtonpost.com.
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