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Chroniques électorales américaines 16 (juin 2009)
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Un sondage de l'Institut Pew, réalisé à l'occasion des 100 premiers jours de la présidence de Barack Obama, montre que 55 % des Américains approuvent les initiatives prises par le nouveau président sur la scène internationale.

De tous les domaines de l'action présidentielle, c'est le meilleur score réalisé et il y a dans ce résultat une logique : c'est en politique étrangère que le chef de l'Exécutif peut le plus librement imprimer sa marque. Dans le cas de B. Obama, la marge de manœuvre est exceptionnellement vaste. Il prend le contre-pied d'un président particulièrement impopulaire à l'extérieur du pays, et incarne, par son histoire personnelle, un cosmopolitisme inédit a la tête des États-Unis. " Je serai le visage des États-Unis dans le monde ", avait-il dit au début de sa campagne… C'est effectivement le rôle traditionnel du chef de l'Exécutif, même si les pères fondateurs ont voulu y mettre quelques bémols.

L'héritage de George Washington

La Constitution des États-Unis est basée sur le refus du pouvoir absolu. Rédigée pour répudier une monarchie, elle veille à ce que le pouvoir de l'Exécutif soit toujours placé sous le contrôle des deux autres piliers, le judiciaire et le législatif. Dans le domaine des relations avec le reste du monde, ce contrôle s'exerce avec plus de souplesse et les prérogatives présidentielles s'épanouissent pleinement. Dans un pays de 50 États fédérés dont les gouverneurs ont plus de pouvoir que le président sur la vie quotidienne des concitoyens, la politique étrangère est incontestablement la chasse gardée de Washington.

Le président a le pouvoir de reconnaître les gouvernements étrangers, de nommer et de recevoir les ambassadeurs et de conclure des traités. C'est sur ce dernier point que son action est limitée, les traités devant être ratifiés par le Sénat à la majorité des deux tiers. Cet obstacle a été rapidement tourné par la pratique de ce que l'on appelle l'Executive Agreement, inauguré par George Washington lui-même. Il s'agit d'un accord d'État à État qui ne nécessite pas d'approbation législative. Cette procédure, utilisée à l'origine pour des problèmes mineurs comme les accords postaux, s'est au fil des présidences étendue a de plus vastes dossiers. En 1937, la Cour suprême des États-Unis a reconnu que les Executive Agreements avaient la même valeur juridique que les traités. Comme dans les autres domaines, la Cour suprême est, en effet, le troisième pouvoir de l'État en matière de politique internationale, bien qu'elle ait plus rarement l'occasion d'y intervenir. Elle peut être néanmoins saisie pour contester la validité des décisions du président. Lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté en Europe, Franklin D. Roosevelt s'est servi des Executive Agreements pour contourner l'opposition du Congrès à l'intervention des États-Unis dans le conflit : c'est par le biais de cette procédure qu'il a conclu un accord permettant de fournir 90 destroyers en leasing à la Grande-Bretagne.

Les pouvoirs du président en matière de politique étrangère se sont souvent confondus avec les pouvoirs de guerre. Il faut là encore en revenir à la naissance de la nation américaine. Les pères fondateurs sont alors inspirés par deux préoccupations : la menace permanente des conflits armés et la volonté de ne pas s'y laisser entraîner. Dès la présidence de George Washington, le problème s'est posé de façon aiguë avec la guerre entre l'Angleterre et la France révolutionnaire. Ce conflit outre-Atlantique a failli faire éclater le jeune gouvernement américain, divisé en deux factions : les fédéralistes qui se sentaient, pour des raisons économiques, plus proches de l'Angleterre, et les démocrates-républicains (c'est ainsi qu'ils s'appelaient à l'époque) qui, pour des raisons philosophiques, prenaient le parti de la France.

À la fin de son second mandat, G. Washington tire les leçons de cette situation dans un discours d'adieu remarquable. Puisqu'il avait hésité à briguer ce second mandat, le texte de la Farewell Address (1796) était en fait en gestation depuis quatre ans déjà, élaboré par deux des rédacteurs de la Constitution, James Madison et Alexander Hamilton. La Farewell Address balaie tous les aspects de la vie de la nation naissante. Les derniers paragraphes sont consacrés à la politique étrangère et constituent un véritable mode d'emploi des relations internationales des États-Unis. On peut dire que G. Washington y pose les fondations de tout un pan de la politique américaine pour les deux siècles à venir : le neutralisme.
Cette position est énoncée clairement en regard du partenaire qui compte à l'époque : l'Europe. Why, by interweaving our destiny with that of any part of Europe, entangle our peace and prosperity in the toils of European ambition, rivalship, interest, humor, or caprice?


[" Pourquoi, en tissant les fils de notre destinée avec ceux de n'importe quelle partie de l'Europe, emmêler notre paix et notre prospérité dans l'œuvre des ambitions, des rivalités, des intérêts, des mouvement d'humeur et des caprices de l'Europe ? "]Washington y définit également les intérêts prioritaires de l'Amérique : The great rule of conduct for us in regard to foreign nations is, in extending our commercial relations, to have with them as little political connection as possible

[" La grande règle que nous devons avoir en ce qui concerne les pays étrangers est d'étendre nos relations commerciales tout en ayant avec eux le minimum d'attaches politiques "]L'isolationnisme s'arrête cependant là où G. Washington laisse entrevoir une partie du messianisme politique qui sera de plus en plus pratiqué par ses successeurs des XXe et XXIe siècles, lorsqu'il suggère qu‘un pays qui a inscrit la poursuite du bonheur dans sa Constitution peut avoir l'ambition d'inspirer le reste du monde : It will be worthy of a free, enlightened, and, at no distant period, a great nation, to give to mankind the magnanimous and too novel example of a people always guided by an exalted justice and benevolence

[" Un pays libre et éclairé, qui deviendra dans un futur proche une grande nation, est digne de donner à l'espèce humaine l'exemple nouveau et édifiant d'un peuple toujours guidé par la passion de la justice et l'amour du bien "].

La " Grande Nation " évoquée par G. Washington est en fait devenue, moins de deux siècles plus tard, une superpuissance. Ce mouvement, amorcé par F. D. Roosevelt lorsqu'il décide contre son opinion publique d'engager les États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale, est concrétisé par son vice-président et successeur Harry S. Truman à partir de 1945, avec l'instauration de la guerre froide. Le face à face n'est plus entre deux zones géographiques, mais entre deux zones idéologiques, la sphère soviétique et le monde libre. Cette période de guerre froide donne un souffle nouveau à l'une des autres doctrines fondatrices de la politique étrangère américaine, la " doctrine Monroe ".

Elle porte le nom de James Monroe, qui l'a formulée en 1823 dans un message au Congrès. Ce président, qui par ailleurs n'a pas laissé de souvenir impérissable dans l'histoire des États-Unis, aurait sans doute été surpris de voir la postérité de la série de principes qu'il énonça dans un contexte alors bien précis : celui des ambitions de la Russie sur l'empire espagnol en Amérique du Sud. La doctrine Monroe reprend le principe de neutralité affirmé par G. Washington mais se livre dans le même temps à une sorte de partage du monde, en annonçant que toute tentative de coloniser les continents nord-américain et sud-américain sera considérée comme une agression directe contre les États-Unis. Ce principe sera largement utilisé au cours du XXe siècle pour établir une sorte de protectorat sur les Amériques.

Au XXIe siècle, la politique étrangère américaine franchit un pas supplémentaire avec le nation building cher à George W. Bush, soit l'idée d'exporter la conception américaine de la démocratie à travers le monde, l'Irak étant à l'origine imaginé comme le laboratoire de cette vision.La politique " d'engagement " de Barack ObamaMême si la politique étrangère est rarement ce qui détermine le choix des électeurs, elle a tenu une large place dans la campagne présidentielle de 2008, tout d'abord parce qu'elle semblait constituer l'arme ultime contre la montée de B. Obama. Cette arme a surtout été utilisée pendant les primaires démocrates. L'actuel vice-président Joe Biden s'est livré, dans les premiers mois de la campagne, à des comparaisons en matière de compétences internationales, qui n'étaient guère à l'avantage de celui dont il allait devenir le numéro deux.

La longue présence de J. Biden à la Commission des Affaires étrangères du Sénat semble d'ailleurs avoir été un élément décisif pour sa sélection. S'il y a là une certaine ironie, le paradoxe est encore plus grand de voir aujourd'hui à la tête de la diplomatie américaine Hillary Clinton qui, pendant le long processus de sélection du candidat démocrate, a constamment brocardé la supposée incompétence de son rival. Dans l'un des films publicitaires les plus spectaculaires de la campagne d'Hillary Clinton, on voyait un téléphone annonciateur de crise internationale sonner à 3 heures du matin, avec en arrière fond l'avertissement sinistre:
" Qui souhaitez-vous voir décrocher ce téléphone ? " - sous-entendu : " surtout pas Barack Obama ".
Dans les premiers mois de son mandat, celui-ci n'a pas encore véritablement eu à décrocher le téléphone pour une crise internationale grave. Sa vision des relations internationales a été largement exposée, mais n'a pas encore été testée par les événements. La Corée du Nord pourrait jouer ce rôle de test, à ceci près que la façon dont elle cherche les limites du nouveau président constitue presque un rituel. Les deux prédécesseurs de B. Obama ont mis en œuvre une sorte de politique pendulaire, oscillant entre menace et récompense, dont Pyongyang semble avoir appris par cœur la manipulation.

Pendant son second mandat, Bill Clinton est allé très loin dans ses tentatives d'amadouer le régime nord-coréen, en envoyant à Pyongyang sa secrétaire d'État Madeleine Albright ; si son mandat n'avait pas touché à sa fin, il y serait sans doute allé lui-même. On a appris plus tard que pendant ce temps la Corée du Nord continuait tranquillement le programme nucléaire militaire qu'elle s'était engagée à arrêter en échange de la livraison de carburants à usage civil.

George W. Bush a d'abord classé la Corée du Nord dans " l'axe du mal ", avant de la retirer de la liste des États soutenant le terrorisme, une mesure à laquelle le candidat B. Obama était grandement favorable.

Ce que peut maintenant tester la Corée du Nord, ce sont les limites de la politique dite " d'engagement " du nouveau président, qui a prôné une approche quasi pédagogique des États " difficiles " - ce que le Wall Street Journal appelait ironiquement : " enseigner les bonnes manières diplomatiques aux dirigeants nord-coréens " !
Barack Obama a lancé ses offensives diplomatiques avec le slogan qui a porté sa campagne : " Yes we can ! ", ce qui suppose l'adhésion des autres parties en cause. Il en a déjà fait l'expérience lors de sa première rencontre avec le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, lui aussi nouvellement élu. L'objectif proclamé de la création d'un État palestinien n'était manifestement pas la priorité de ce dernier.

S'il est un domaine où les présidents américains des dernières décennies ont reçu le baptême de la réalité, c'est d'ailleurs bien celui du Proche-Orient. Le 7 janvier 2009, deux semaines avant sa prise de fonctions, B. Obama a été invité à la Maison-Blanche par G.W. Bush, avec les trois autres présidents encore vivants : l'autre George Bush, Jimmy Carter et Bill Clinton. Cette rencontre se déroulait au moment d'une offensive israélienne sur Gaza. Le précédent conclave du même type remontait à 1981, lorsque Ronald Reagan avait réuni pour un déjeuner ses trois prédécesseurs, Richard Nixon, Gerald Ford, et toujours Jimmy Carter. La presse a fait remarquer que, dans les deux cas, le conflit israélo-palestinien avait été au centre des conversations des présidents, qui l'avaient tous trouvé en arrivant et laissé en partant. Il est d'ailleurs toujours fascinant d'imaginer ce que ces hommes, appartenant à ce que Ronald Reagan appelait " la fraternité la plus exclusive du monde ", peuvent se dire en privé. Les présidents américains communiquent avec leurs prédécesseurs essentiellement sur les dossiers internationaux. Ce faisant, il arrive qu'ils développent au passage une véritable complicité, comme ce fut le cas entre Bill Clinton et George Bush père.

La fin de la diplomatie affective

L'un des piliers de la stratégie internationale de B. Obama est de faire… le contraire de ce que faisait son prédécesseur. Du moins au niveau de la perception. Sa volonté de restaurer l'image des États-Unis dans le monde musulman est exemplaire de cette attitude. Cette image s'était tellement détériorée sous G.W. Bush qu'elle ne peut que connaître désormais l'embellie. Le nouveau président doit lui-même remonter le courant après avoir, pendant sa campagne, renié ses relations avec l'Islam. Aujourd'hui élu, il peut au contraire mettre l'accent sur ses origines, rappeler qu'avec un père kenyan musulman, un beau-père indonésien et musulman également, un beau-frère chinois, il est mieux à même de comprendre la diversité culturelle du monde.

Barack Obama a également pris le contre-pied de la précédente présidence dans son approche de l'Iran et des dirigeants latino-américains, avec lesquels les États-Unis de G.W. Bush étaient en délicatesse. Pendant les 100 premiers jours, les relations avec Cuba se sont assouplies et Hugo Chavez a eu droit à une remarquable séance de photo aux côtés du nouveau président américain. Il y a deux ans, le président vénézuélien avait fait un signe de croix à la tribune des Nations unies en comparant G.W. Bush au diable... La presse américaine a d'ailleurs noté que le nouveau président avait marqué plus d'empressement avec les adversaires des États-Unis qu'avec leurs alliés traditionnels et qu'il ne semblait pas disposé à nouer avec Gordon Brown les liens que George W. Bush avait cultivés avec Tony Blair. Rien n'indique que, lors de son premier voyage à Moscou, il regardera le président Dmitri Medvedev dans les yeux et y verra son âme, selon la célèbre phrase de George W. Bush après sa première rencontre du printemps 2001 avec Vladimir Poutine. Barack Obama semble peu porté sur le contact direct avec ses pairs ; certains, comme le président afghan Ahmed Karzaï, ont reçu le message : l'accès direct à la Maison-Blanche fait désormais partie des reliques de la présidence précédente. Le nouveau président semble particulièrement allergique aux dirigeants dont l'avenir ne paraît pas sûr, comme si leur échec pouvait contaminer sa présidence.

Les relations de B. Obama avec le reste du monde s'inscrivent dans une stratégie de communication présidentielle. Ainsi la tournée du début du mois de juin 2009 est-elle estampillée " voyage de guerre " - en l'occurrence la Seconde Guerre mondiale, avec la visite des plages du débarquement en France, une image toujours très porteuse aux États-Unis. Angela Merkel n'a sans doute pas été ravie que les étapes allemandes soient la ville de Dresde, bombardée par les alliés, et le camp de concentration de Buchenwald, et non Berlin. Barack Obama, qui a la bonne fortune de compter un grand-oncle parmi les soldats américains qui ont libéré ce camp, pourra y mettre en avant la branche de sa famille originaire du Kansas, la branche africaine devant avoir la vedette un mois plus tard, lors d'un voyage au Ghana placé sous le signe de la lutte contre l'esclavage.

La stratégie de l'équipe de communication du président est ainsi de toujours ramener les relations internationales à l'image présidentielle, le monde extérieur devenant ainsi une sorte de chambre d'écho pour sa popularité nationale. L'accession au pouvoir de B. Obama a en effet été accueillie avec une passion sans précédent dans le reste du monde ; mais jusqu'ici rien n'indique qu'elle soit payée de retour. Si l'on en revient à l'importance de la personnalité du président dans son action internationale, on ne peut guère voir en lui un homme tourné vers le vaste monde : il semble en avoir eu plus que sa part lorsque sa mère, elle-même grande voyageuse, l'a traîné enfant en Indonésie et qu'après avoir passé son adolescence dans l'ambiance cosmopolite d'Hawaï, il a choisi à l'âge adulte la ville américaine la plus distante des deux océans : Chicago.

Lorsque G.W. Bush a été élu, il a été beaucoup glosé sur le fait que lui-même et sa femme Laura n'avaient quitté le territoire américain que pour visiter Rome et la Terre sainte. Dans la période pré-présidentielle, les villégiatures internationales du couple Obama se sont limitées à un voyage à Bali et à un autre au Kenya, autrement dit à un pèlerinage vers les racines de B. Obama. Disposant des moyens financiers de voyager, le couple n'avait manifestement pas une grande curiosité pour le reste du monde, et en particulier pour l'Europe. Ceci tient sans doute à la personnalité, autant qu'à la stratégie, de B. Obama, aussi bien dans sa montée vers le pouvoir que dans son exercice. Cet homme affable, chaleureux en apparence, ne fonctionne pas sur un mode affectif. Ses engagements ne reflètent que les intérêts de sa politique du moment. À cet égard, il applique à la lettre les principes de George Washington : The nation which indulges towards another a habitual hatred or a habitual fondness is in some degree a slave…
[" Le pays qui se laisse aller à une affection ou à une détestation hors du commun pour un autre pays en devient pour partie esclave… "]

 

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