La Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) après le Traité de Lisbonne
Compte-rendu réalisé par Séverine Neervoort, stagiaire, Ifri Bruxelles
Nicole Gnesotto, ancien directeur de l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne, s’est penchée sur l’impact du Traité de Lisbonne sur la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD). Après avoir évoqué les innovations du Traité, l’oratrice a présenté deux différentes interprétations de celui-ci. En définissant les points sur lesquels l’UE doit encore progresser pour être un acteur efficace dans la gestion des crises extérieures et en s’interrogeant sur la pertinence du Traité face aux évolutions internationales, Madame Gnesotto nous a offert une vision intéressante du développement de la PESD.
Le Traité de Lisbonne et la Politique étrangère et de sécurité de l’UE
Des innovations institutionnelles
Nicole Gnesotto considère que l’apport majeur du Traité de Lisbonne, toutes matières confondues, réside dans les questions de Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC). Le Traité amène d’une part la cohérence, en instituant le Haut Représentant pour la Politique Etrangère et de Sécurité Commune, également Vice-président de la Commission européenne et aidé par un service d’action extérieure. D’autre part, en matière de défense, on peut noter des révolutions importantes. La flexibilité est introduite dans la PESD avec la coopération structurée permanente, qui se décide à la majorité qualifiée. Ensuite, la solidarité entre Européens est renforcée à travers la clause d’assistance mutuelle et celle de solidarité en cas d’attaque terroriste ou catastrophe naturelle sur le territoire d’un pays membre.
Deux interprétations contradictoires
Nicole Gnesotto distingue deux groupes d’analyse : d’un côté les sceptico-conservateurs et de l’autre les optimistes-volontaristes.
Ceux que l’on peut surnommer les sceptico-conservateurs mettent en avant plusieurs arguments pour dénoncer l’inefficacité du Traité en matière de politique étrangère et de sécurité. D’abord, il semble difficile de départager le pouvoir de négociation et de représentation extérieure de l’Union, entre le Haut Représentant/Vice-président de la Commission et le Président du Conseil européen. Ensuite, le rôle de Vice-président de la Commission reste encore assez flou. Censé coordonner l’action des Commissaires ayant dans leurs portefeuilles une compétence extérieure, deviendra-t-il une sorte de super Commissaire ? Quant au service d’action extérieur, que Madame Gnesotto compare à un service diplomatique, un grand nombre de questions subsistent. Quelle place y tiendront les Etats membres ? Ce service va-t-il travailler uniquement pour le Vice-président de la Commission ? Le Président du Conseil européen ne devrait-il pas disposer alors de son propre service ? En outre, il est rappelé à plusieurs reprises dans le Traité de Lisbonne que la politique étrangère reste une prérogative nationale, et la défense le premium de l’OTAN. Dès lors, la clause d’assistance mutuelle devient virtuelle. On peut également relativiser la coopération structurée permanente : bien qu’elle puisse être déclenchée à la majorité qualifiée, le texte étant imprécis quant aux modalités pratiques, les Etats pourront s’affirmer une fois de plus.
Les optimistes- volontaristes, dont Madame Gnesotto se réclame, perçoivent les choses différemment et affirment que le Traité propose non seulement des innovations institutionnelles, mais aussi des instruments permettant à l’Union européenne d’être particulièrement adaptée à la nouvelle configuration de la sécurité internationale. Le premier argument est une loi historique de l’Union européenne. Selon Nicole Gnesotto, à partir du moment où les Etats mettent quelque chose en commun dans l’Union, ils ne contrôlent plus la dynamique de cette nouvelle politique. On peut constater que la formulation d’une stratégie de sécurité était inimaginable il y a quelques années. L’exemple du domaine justice et affaires intérieures illustre également ce phénomène : auparavant souveraineté protégée des Etats, ce domaine est largement communautarisé aujourd’hui.
Le second argument mis en avant par l’oratrice est le contexte international. De nos jours, le fonctionnement de la sécurité internationale est de moins en moins assimilable au domaine réservé des Etats et à une compétence purement diplomatique et militaire. Les défis globaux, tels que le terrorisme, l’énergie ou le climat sont des problèmes transversaux qui remettent en cause géographiquement la pertinence du cadre national. La sécurité devient une affaire collective. Les crises militaires actuelles montrent la relativité de l’outil militaire, notamment dans la phase de stabilisation des crises. Dans ce nouveau contexte, l’UE est avantagée car elle dispose de plusieurs instruments, à la différence de l’OTAN qui ne possède que les moyens militaires. L’Union européenne peut devenir un acteur efficace et le Traité de Lisbonne contribue à ce phénomène en mettant une grande partie des instruments de l’Union européenne dans les mains d’une seule personne : le futur Haut Représentant/Vice-président de la Commission.
En troisième lieu, force est de constater que les Etats-Unis apparaissent aujourd’hui comme une puissance fragilisée par leur échec irakien et dans le Grand Moyen Orient en général. Ils auront de ce fait des priorités stratégiques contraintes, ce qui amènera les Européens à devoir assumer davantage de responsabilités dans la gestion des crises extérieures.
Quelles sont les perspectives d’évolution possible ?
Nicole Gnesotto nous a proposé un regard critique sur la PESD, en définissant les points sur lesquels l’Union européenne devrait travailler afin de pouvoir utiliser pleinement les instruments que lui offre le Traité de Lisbonne.
Selon l’oratrice, l’Union européenne a besoin de clarifier ses objectifs. L’UE intervient de plus en plus dans les crises extérieures, financièrement et militairement, sans avoir défini au préalable l’ordre international qu’elle souhaite mettre en place. Les Etats-Unis par exemple ont une vision assez précise de ce que devrait être la sécurité internationale. Ils envisagent un monde bipolaire avec les démocraties d’un côté et les autocraties de l’autre. Selon l’ancien directeur de l’Institut Européen de Sécurité, cette perception n’est pas nécessairement dans l’intérêt des Européens. Sachant qu’en 2025, l’ensemble de l’Occident ne représentera que 7% de la population mondiale, il serait cohérent pour l’Union européenne, d’après la philosophie qui a guidé l’intégration, de vouloir un monde multilatéral régi par des institutions collectives. L’Union européenne a besoin de définir une perception de la sécurité internationale au regard de ses propres intérêts. De plus, les Européens doivent se donner des priorités de politique étrangère. Les interventions motivées par la demande et l’urgence empêchent l’UE de travailler en profondeur. Selon Nicole Gnesotto, les priorités fondamentales devraient être la stabilisation de la frontière Sud et la relation stratégique avec la Russie. En effet, les crises à venir, liées aux conflits pour les sources d’énergie et aux flux de personnes vers l’Europe, apparaitront au Sud, selon Madame Gnesotto. Quant à la relation avec la Russie, voisin géant de l’UE, elle est à définir et à faire valoir auprès du partenaire américain.
L’oratrice évoque ce qu’elle nomme « l’esquive stratégique européenne », c'est-à-dire la tendance des européens à faire confiance au marché ou aux Etats-Unis pour rétablir la sécurité. Or, le marché n’a selon elle jamais créé de politique et les Etats-Unis, on l’a vu, ne sont plus nécessairement en mesure, militairement et sur le point de la légitimité internationale, d’assumer la sécurité des Européens.
En matière de PESD, l’UE a besoin d’un instrument militaire pour la phase de stabilisation d’un certain nombre de crises. Trois réformes semblent nécessaires. Aujourd’hui la PESD est virtuelle, on ne peut pas visiter un baraquement européen ou voir des manœuvres d’un battle group européen. L’établissement d’un quartier général est un tabou. Il faudrait instaurer la permanence : un véritable collège européen de défense et un centre de commandement des opérations militaires. Ensuite, le financement de la PESD fonctionne aujourd’hui selon un principe incohérent. Les Etats fournissant le plus de troupes payent davantage que les autres : un système dissuasif qu’il faudrait changer, afin que les contributions soient équilibrées. Enfin, Madame Gnesotto ne pense pas qu’il faille augmenter le budget de la défense : elle insiste sur l’importance des hommes volontaires, professionnels, armés mais pas nécessairement sur les armements ultrasophistiqués.
La présentation de Nicole Gnesotto a été suivie par un débat avec la salle. Les questions posées ont abordé un vaste éventail de sujets, dont le rôle du Président du Conseil européen, l’adhésion éventuelle de l’Ukraine dans l’UE et l’OTAN, celle de la Turquie…
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