La société américaine et le mariage gay
Début mai 2012, le Président Obama est devenu le premier président des États-Unis à déclarer publiquement son soutien au mariage homosexuel. Il est peu probable que cette déclaration soit suivie d’un projet de loi au Congrès -le mariage étant de la responsabilité des Etats fédérés- mais cette affirmation est historique pour la communauté gay aux États-Unis. Ces paroles sont d’autant plus audacieuses que la campagne électorale fait rage.
Comment cette affirmation va-t-elle influencer l’élection de novembre ? Les sondages montrent que la question du mariage homosexuel pourrait influencer les électeurs indépendants en faveur d’Obama et que la communauté noire, qui y est traditionnellement opposée, voterait malgré tout pour l’actuel président. Pour sa part, le candidat républicain Mitt Romney a réaffirmé son opposition au mariage homosexuel en dépit du fait que le Massachusetts (dont il a été gouverneur de 2003 à 2007) a été le premier Etat américain à le légaliser en 2004.
Une société qui évolue
Les partisans du mariage gay défendent le principe d’égalité entre tous les citoyens. Ils ajoutent que le droit de se marier permettra aux conjoints de bénéficier d’une protection sociale accrue. Les adversaires du mariage homosexuel disent au contraire qu’il affaiblira une institution, déjà fragilisée par le grand nombre des divorces et des naissances hors mariage. De plus, ils affirment que le fait de permettre aux couples gay de se marier amènera les gens qui pratiquent la polygamie ou d’autres types de rapports " non-traditionnels " à demander le droit de se marier eux aussi…
Parmi les différents sous-ensembles de la société américaine, on constate que les plus favorables au mariage gay sont toujours les démocrates et les indépendants, les protestants " mainstream ", les jeunes, les blancs et les femmes. Pourtant, d’après une étude du Pew Research Center, c’est l’attitude de tous les segments de la société qui a évolué entre 2001 et 2012, avec une acceptation toujours plus grande du mariage homosexuel :
" Êtes-vous favorable au mariage gay? : oui " |
2001 |
2012 |
Population américaine |
35% |
47% |
Nés après 1980 |
51% |
63% |
Nés entre 1928-1945 |
21% |
30% |
Sans affiliation religieuse |
61% |
77% |
Catholiques |
40% |
46% |
Protestants blancs |
38% |
52% |
Protestants noirs |
30% |
33% |
Protestants blancs évangéliques |
13% |
14% |
Progressistes |
43% |
59% |
Indépendants |
41% |
56% |
Conservateurs |
18% |
25% |
Blancs (non-hispaniques) |
34% |
47% |
Noirs (non-hispaniques) |
32% |
39% |
Femmes |
38% |
51% |
Hommes |
32% |
42% |
" Changing Attitudes on Gay Marriage ", The Pew Forum on Religion and American Public Life, 2012 |
Le rôle des Etats
Le mariage reste du ressort des Etats fédérés aux États-Unis, mais les juges ont leur mot à dire sur cette question. Ainsi, c’est la Cour suprême qui a mis fin à l’interdiction des mariages interraciaux en 1967 (Loving v. Virginia).
De même, c’est lorsque la Cour suprême du Massachusetts a jugé que la loi limitant le mariage aux couples hétérosexuels était anticonstitutionnelle (Goodridge vs. Department of Public Health, 2004) que le Massachusetts a autorisé les mariages gay, suivi par le Connecticut, l’Iowa, le New Hampshire, New York, le Vermont et le district de Columbia. En 2012, les législatures du Maryland, du New Jersey et de l’Etat de Washington ont également approuvé la liberté de mariage, mais les lois ne sont pas encore entrées en vigueur. Par ailleurs, le Maryland, le Nouveau Mexique et Rhode Island valident les mariages homosexuels prononcés dans un autre Etat.
La majorité des Etats conserve des lois et/ou des statuts constitutionnels qui définissent le mariage comme entre un homme et une femme, mais dans les faits, la situation est très variable. Certains Etats reconnaissent les unions civiles, qui permettent aux couples homosexuels d’avoir les droits des conjoints au niveau étatique. D’autres reconnaissent tout ou partie des droits des conjoints dans un " partenariat domestique ". Ces différences posent des problèmes lors d’un déménagement, mais au total, " plus de 42% de la population américaine (soit plus de 130 millions d’Américains) habite dans un Etat qui offre un type de protection pour les couples homosexuels. " [1]
Le législateur et le juge ont donc joué un rôle important dans ces évolutions. En revanche, chaque fois que les citoyens se sont prononcés par référendum sur cette question, ils ont voté contre. Les ressortissants de la Caroline du Nord ont par exemple récemment approuvé à 61% un projet de loi interdisant le mariage homosexuel. En Californie, les citoyens ont également voté pour une interdiction du mariage homosexuel. Mais la Cour d’appel du 9e circuit a depuis renversé cette décision et il est probable que l’affaire remontera jusqu’à la Cour suprême. Si celle-ci se saisit de l’affaire, les débats pourraient avoir lieu au printemps 2013.
Des exemptions pour raison religieuse
Le débat sur le mariage homosexuel implique aussi directement les membres des différents clergés. Aux États-Unis, en effet, on peut choisir une cérémonie laïque, célébrée par un Justice of the Peace, ou une cérémonie religieuse célébrée par un ecclésiastique, qui sera ensuite validée par le gouvernement. Dans les Etats qui reconnaissent le mariage gay, les prêtres vont-ils être obligés de célébrer de tels mariages s’ils y sont opposés par principe ? Toutes les législations étatiques qui permettent le mariage homosexuel incluent une exemption religieuse ou de conscience.
Le fait qu’une exemption juridique puisse être fondée sur des raisons religieuses résulte sans doute du rôle très particulier, fondateur à bien des égards, de la religion aux États-Unis. La Constitution de 1788 prévoit ce que Thomas Jefferson appelait " un mur de séparation " entre l’Etat et les religions, chacun étant protégé des interférences de l’autre. En 1993, le Congrès a adopté le " Religious Freedom Restoration Act " (" Loi de restauration de la liberté religieuse "), qui prévoit que le gouvernement (aux niveaux fédéral et étatique) ne peut " entraver substantiellement " l’exercice de la religion par les particuliers, sauf s’il a un " intérêt convaincant " pour le faire.
Cette polémique divise non seulement la société américaine, mais les communautés de fidèles : l’Église catholique et plusieurs groupes chrétiens évangéliques sont de farouches opposants. Les évêques catholiques proposent par exemple un amendement à la Constitution qui définirait le mariage comme entre un homme et une femme. Lorsque le Massachusetts a commencé à valider les licences de mariage de couples homosexuels en 2004, ils ont dénoncé une " tragédie nationale ". Pour leur part, les Eglises épiscopale, luthérienne ou presbytérienne discutent du mariage homosexuel et même de l’ordination d’homosexuels comme membres de leur clergé. Les discussions font rage et plusieurs diocèses ont déjà fait scission sur ces questions.
Des exemptions religieuses sont donc accordées aux célébrants qui refuseraient de consacrer un mariage homosexuel autorisé par la loi de leur Etat. Cependant, ni les particuliers ni les entreprises privées ne sont couverts par cette exemption. Les Cours ont jugé par exemple qu’un photographe ne peut refuser de travailler pour des couples homosexuels et que les boulangers ne peuvent refuser de leur vendre des pièces montées.
Les figures marquantes du débat
Des personnalités notables alimentent les deux côtés du débat. En 1977 à San Francisco, Harvey Milk est devenu la première personne revendiquant publiquement son homosexualité à être élue à un poste public aux États-Unis. Il n’a exercé qu’une année de son mandat avant d’être assassiné. La peine légère de son meurtrier (5 ans de prison) a provoqué des émeutes, et Harvey Milk est devenu un symbole de liberté et d’affirmation de soi pour la communauté homosexuelle.
Plus récemment, le mouvement des Tea Parties a galvanisé l’extrême droite du parti républicain. Ses membres, qui sont en majorité des protestants blancs évangéliques, les moins favorables au mariage homosexuel (cf tableau), ont pris position à 63% contre le mariage gay. En juillet 2004, lors d’une interview accordée au Pittsburgh Post-Gazette, le républicain Rick Santorum avait déjà affirmé : " Vous pouvez dire que je suis une personne qui déteste les autres. Mais j’affirmerais être une personne qui aime les autres. J’aime les familles traditionnelles et le droit des enfants à avoir une mère et un père… j’affirmerais que le futur des États-Unis est en jeu parce que le futur de la famille est réellement en jeu. Défendre le mariage, n’est-ce pas l’ultime sécurité nationale ? " R. Santorum a ensuite fait polémique en disant que " dans toutes sociétés, la définition du mariage n'inclut pas à ma connaissance, l'homosexualité. Le mariage ce n'est pas un homme avec un enfant, un homme et son chien et quoi d'autre...", et il a également comparé le mariage gay à un acte incestueux avec un frère ou une nièce.
Avec sa déclaration de mai 2012, le Président Obama rejoint le groupe des personnalités qui soutiennent le mariage gay : les anciens Présidents Jimmy Carter et Bill Clinton, le Vice-président Joe Biden, le maire de New York Michael Bloomberg, Caroline Kennedy ; mais aussi l’ancien Vice-président Dick Cheney, Laura Bush et plusieurs gouverneurs et maires républicains à travers les États-Unis. [2]
Le pays a énormément changé depuis l’élection de Harvey Milk en 1977. Les attitudes de la société américaine continuent à évoluer comme le montrent les sondages et les très diverses législations actuellement appliquées. L’élection présidentielle de 2012 sera une nouvelle occasion d’examiner les sentiments des Américains sur cette question, surtout maintenant que le Président-candidat Obama a pris position.
[1] www.freedomtomarry.org
[2] Prominent Political Figures who Support Same-Sex Marriage, " The Washington Post, http://www.washingtonpost.com/politics/prominent-politicians-who-support-same-sex-marriage/2012/05/09/gIQA54ejDU_gallery.html
Contenu disponible en :
Régions et thématiques
Utilisation
Comment citer cette publicationPartager
Centres et programmes liés
Découvrez nos autres centres et programmes de rechercheEn savoir plus
Découvrir toutes nos analysesL'élection de Kemi Badenoch au Royaume-Uni. Fin de la "trumpisation" chez les Tories ?
De même que la domination des idées du candidat républicain dans la campagne présidentielle aux États-Unis a conduit à diagnostiquer une « trumpisation de la politique américaine », les observateurs déplorent au Royaume-Uni, depuis l’exercice du pouvoir par Boris Johnson, une tendance à la « trumpisation du parti conservateur ».
Le vote religieux dans les présidentielles américaines 2024
Blandine Chelini-Pont, l’une des meilleurs spécialistes du sujet, nous donne ici son analyse des évolutions de l’électorat religieux pour les élections de novembre 2024.
Le programme économique de Kamala Harris
Depuis qu’elle a reçu la nomination démocrate suite à la décision du président Joe Biden de se retirer de la course présidentielle américaine de 2024, la vice-présidente Kamala Harris s’efforce de définir sa propre plateforme politique pour attirer les électeurs dans le temps limité qui reste avant l’élection du 5 novembre. Étant donné que l’économie est un enjeu central pour les électeurs américains, Harris a élaboré plusieurs propositions dans ce domaine.
Géopolitique de la puissance américaine
Qu’est devenue la puissance américaine ? Si les États-Unis veulent encore diriger le monde, en sont-ils toujours capables ?
Entrés en géopolitique à la fin du XIXème siècle, leaders du monde libre dans l’après-guerre, vainqueurs du communisme dans les années 1990, les États-Unis sont confrontés à une triple contestation en ce premier quart de XXIe siècle : la montée en puissance de la Chine, les frappes du terrorisme islamiste et le retour d’une Russie belliqueuse se conjuguent pour défier Washington.