Le Pakistan après le mort de Benazir Bhutto
Un calme précaire règne au Pakistan à la veille des élections législatives du 18 février : Paradoxalement, l'assassinat de Benazir Bhutto, le 27 décembre 2007, n'a pas fondamentalement changé la donne politique. Il s'agit toujours de trouver un accommodement entre les partis politiques issus de la société civile et l'armée pakistanaise pour une gestion conjointe du pays. Les chances d'un accord qui permettrait une transition pacifique du Pakistan vers un régime véritablement démocratique reposent sur deux conditions :
La première est que les élections du 18 février se déroulent de façon satisfaisante. Un premier signe positif est que tous les grands partis politiques ont accepté de participer à ces élections, non seulement la Pakistan Muslim League(Q)[1] parti actuellement au gouvernement, allié du président Musharaf, mais aussi le Muttahida Majlis e Amal (le MMA), troisième parti du Parlement fédéral, regroupement fragile de six partis religieux majoritaires dans les assemblées de deux des quatre provinces du Pakistan, et les deux grands partis de l'opposition traditionnelle, la Pakistan Muslim League (N) et le Pakistan People Party (PPP) , le parti de Benazir Bhutto[2], dirigé depuis son assassinat le 27 décembre 2007, par son mari, M.Zardari. Encore faut-il que ce consensus dure jusqu'aux élections elles-mêmes, ce qui n'est pas assuré. Les partis d'opposition, en particulier le parti de M. Sharif, qui parait affaibli, pourraient se retirer si ses dirigeants ont le sentiment, soit que les élections ne seront pas honnêtes, soit qu'elles lui seront par trop défavorables. Ces partis ont d'ores et déjà demandé que la commission électorale, qui joue un rôle fondamental pour assurer la régularité des élections, soit réformée, afin d'assurer son objectivité, ce que le pouvoir en place a refusé jusqu'à présent. On ne peut pas exclure, également, que la mouvance islamiste la plus radicale, en particulier, celle dirigée par Baïtullah Meshud, " l'émir du Waziristan ", très lié aux talibans d'Afghanistan, accusé aujourd'hui d'avoir organisé l'assassinat de Mme Bhutto, cherche à perturber le processus électoral par une campagne d'attentats sanglants conduisant le gouvernant à repousser les élections. Certains ne manqueraient pas de voir dans ces attentats une preuve supplémentaire de la complicité de fait entre les extrémistes islamiques et une partie de l'établissement militaire.
Mais il ne suffit pas que les principaux partis politiques jouent le jeu des élections, il faut également que les élections se déroulent de façon telle que leurs résultats apparaissent incontestables. Le président Musharaf a certes assuré, dans la conférence qu'il a donnée à l'Ifri, le 22 janvier, que les élections seraient parfaitement honnêtes, mais la tentation pourrait être grande d'utiliser le contrôle que l'armée exerce aujourd'hui sur toutes les autorités administratives du pays pour manipuler les résultats, comme il est accusé de l'avoir fait lors des élections de 2002, en empêchant par exemple que le PPP n'obtienne à lui seul une majorité absolue au Parlement. Un succès trop important du PPP créerait, en effet, un rapport de force défavorable au président et à l'armée dans les négociations qui devront s'engager dès les résultats connus. De plus, pour certains partis politiques qui n'auraient pas atteint les résultats escomptés, il peut être tentant de jeter le doute sur la régularité des élections, surtout si la participation électorale est aussi faible qu'en 2002 (officiellement un peu plus de 4O%, en fait plutôt entre 20 et 25% des électeurs inscrits).
La seconde condition est que le président Musharaf et l'armée soient prêts à un véritable compromis avec les forces politiques qui sortiront vainqueurs des élections, avec très probablement à leur tête, le PPP. Là encore, le Président Musharaf a assuré à Paris que le et les partis vainqueurs des élections formeraient le gouvernement et choisiraient le Premier Ministre dont il affirme que, comme le veut la Constitution pakistanaise, il serait effectivement en charge des affaires du pays. Mais la réalité politique est différente. Un compromis devra être trouvé entre les partis qui auront gagné les élections et le Président et l'armée. Peut-être serait-il opportun d'ailleurs, de distinguer les positions respectives de l'armée et du Président Musharaf. Celui-ci n'est plus, depuis le 28 novembre 2007, chef d'état major général des armées et des rumeurs de désaccord ont déjà commencé à courir. En toute hypothèse, s'il y a des différences de vue, c'est l'armée en tant que corps avec son propre système de décision, qui tranchera.
Il est difficile de dire aujourd'hui quelles pourraient être les grandes lignes de ce compromis. Des négociations ont eu lieu en octobre et novembre 2007 entre Mme Bhutto et le président Musharaf, apparemment sans succès. Elles permettent cependant de définir les termes du débat : Le maintien du Président Musharaf à la Présidence de la République est, sans doute, non négociable mais les amendements constitutionnels que le Président a imposés, dans des conditions parfois légalement douteuses, pendant son long exercice du pouvoir, le sont certainement. Ils font du Président le véritable chef de l'exécutif au détriment du Premier Ministre et institutionnalisent le rôle politique de l'armée, grâce à la création d'un conseil de sécurité national où les militaires sont majoritaires. Le point crucial est, sans doute, le droit du président de la République de dissoudre le Parlement, qui entraîne, dans la constitution pakistanaise, la démission automatique du Premier Ministre. Cette prérogative qui avait été abolie en 1997, compte tenu des abus auxquels elle avait conduit (les deux renvois de Mme Bhutto et le renvoi de M. Sharif) a été rétablie en 2003 (17ième amendement). De plus, pendant l'état d'urgence imposé du 3 novembre au 15 décembre 2007, le Président Musharaf a pris, par décret, des mesures de nature constitutionnelle qui vont devoir être validées par le nouveau Parlement à la majorité des deux tiers. C'est le cas en particulier du renvoi du président et de juges de la Cour Suprême considérés comme hostiles au Président et leur remplacement par des personnalités beaucoup plus flexibles. L'opposition réclame le rétablissement de la situation antérieure à la proclamation de l'état d'urgence ce qui peut être très dangereux pour le maintien de M. Musharaf à la Présidence de la République. Un accord est cependant possible, tant il est évident qu'il est de l'intérêt de tous, si les négociateurs sont de bonne foi. Mais le sont-ils ?
L'avenir est donc encore très incertain et la mise en place dans les semaines qui viennent d'un gouvernement pakistanais démocratique bénéficiant du soutien de l'armée est loin d'être assuré. Faut-il en conclure que le Pakistan est au bord du chaos, comme la lecture d'une bonne partie de la presse le donnerait à penser ? Une telle conclusion serait excessive. L'armée continue à tenir solidement le pays et un échec du processus en cours, s'il serait très dommageable pour la réputation du pays, ne conduirait pas à son effondrement : une nouvelle période de loi martiale s'ouvrirait sans doute, et le " chief martial law admnistrator ", comme s'intitulera le général qui dirigerait alors le pays, pourrait fort bien ne pas être le Président Musharaf, trop affaibli par les évènements de ces derniers mois. On reviendrait ainsi à la case départ.
Olivier Louis est chercheur et responsable du programme Inde du Centre Asie Ifri.
[1] La Pakistan Muslim League (PLM), le parti créé par le fondateur du Pakistan Mohammed Ali Jinnah, est maintenant divisée en plusieurs fractions rivales dont les deux plus importantes sont le PLM (Q) qui soutient le Président Musharaf et le PLM (N) dirigé par M. Nawaz Sharif qui a été Premier Ministre entre 1990 et 1993 et entre 1996 et 1999. Il a été renversé par le Général Musharaf, alors chef d'Etat major des armées, et reste un des principaux opposants au régime actuel. [2] Mme Benazir Bhutto a été Premier Ministre de novembre 1988 à août 1990 puis d'octobre 1993 à octobre 1996.
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