L'Europe face à la vague de froid - quand survivre ne veut pas dire gérer : la réponse italienne à la crise gazière
Le froid qui a grippé l’Europe durant le mois de février s’est avéré un test grandeur nature pour le système gazier européen. Dans beaucoup de pays les températures sont tombées de façon vertigineuse à -10° pendant la première semaine de février et jusqu’à -22° dans certains endroits.
Lors de notre conférence annuelle, jeudi dernier (16 février) à Bruxelles, Philippe Lowe, Directeur Général pour l’Energie à la Commission Européenne, affirmait que le système européen d’infrastructures gazières a su répondre à l’explosion de la demande de gaz, en dépit de la diminution simultanée des approvisionnements de la part de Gazprom.
Certes, une crise similaire à celle de 2009 a été évitée, les pénuries n’ayant pas eu lieu et les pays membres dépendant du gaz russe n’ont pas subi les mêmes interruptions qu’il y a trois ans. Peut-on qualifier ce résultat de succès malgré tout ?
En partie seulement. Les investissements dans les infrastructures qui ont été engagés en application de la directive sur la Sécurité des approvisionnements (SoS dans le jargon bruxellois) ont prouvé leur efficacité. En effet, les mesures prises, notamment le renforcement des stockages stratégiques et l’introduction de flux bidirectionnels aux points d’interconnexion qui avaient été définis afin d’assurer l’approvisionnement des ménages dans des conditions climatiques extrêmes pour une durée minimale de 30 jours, ont fonctionné correctement. Néanmoins, la structure de marché a fait défaut.
Des lectures de compteur opaques ainsi que l’échange d’accusations entre pays de transit et pays producteurs ont rappelé la nécessité d’un marché interne transparent et d’une diversification dans les sources d’approvisionnements.
Le cas italien fournit un bon exemple pour analyser ce débat.
La crise a confirmé le besoin de diversification des approvisionnements.
L’Italie est un des plus grands marchés européens du gaz, avec des niveaux de consommation très élevés surtout à destination du chauffage domestique et de la production d’électricité. Un cinquième de sa demande est fournie par la Russie. Le 7 février, la consommation du pays a atteint le pic de 460,9 Millions de mètres cubes (Mcm) et battait le record précédent de 459 Mcm du 17 décembre 2010. Les opérateurs ont agi rapidement pour répondre à cette pointe de la demande en accroissant les importations et en utilisant les stockages. Cependant, en raison de conditions climatiques similaires en Russie, les livraisons de gaz vers l’Italie n’ont pas été complètement satisfaites. Le 4 février, les importations russes étaient inférieures de 30% par rapport aux besoins des opérateurs : seulement 72 Mcm sont rentrés dans le réseau italien alors que la demande était de 103 Mcm. Par conséquent, l’Italie a dû se tourner vers l’Algérie, l’Europe du Nord (en atteignant la capacité maximale du gazoduc Transitgas) et la Libye (qui en raison de la révolution de 2011 n’a toujours pas récupéré les niveaux de livraison d’avant-guerre). Les livraisons de GNL étaient en revanche difficiles à mobiliser à cause des très mauvaises conditions des mers Tyrrhénienne et Adriatique (côtes ouest et est de la péninsule) qui ont empêchés les bateaux de joindre les deux terminaux méthaniers italiens.
L’échec des règles de marché. Le gouvernement italien et le régulateur (Autorità per l’Energia Elettrica et il Gas - AEEG), afin de fournir plus de flexibilité aux opérateurs ont réagi à cette situation extrême en modifiant de façon ad hoc la loi d’urgence existante ainsi que le marché de l’équilibrage qui avait été tout récemment introduit.
Pour mémoire, les mesures d’urgence avaient été instaurées par les autorités de régulation nationales au moment de l’application de la régulation SoS pour faire face aux crises d’interruption et aux situations d’urgence. Dans le cas italien, cependant, ces règles n’ont pas été appliquées dans leur intégralité, créant de l’incertitude parmi les opérateurs. De plus, l’AEEG a émis en parallèle une régulation temporaire dans le marché de l’électricité en introduisant l’activation contrôlée des centrales à pétrole, en court-circuitant l’appel des centrales selon leur ordre de mérite et les limites d’émissions de CO2.
Résultat, le nouveau marché de l’équilibrage a été empêché de fonctionner librement, les prix d’achat et de vente du gaz ont été dé-corrélés et les incitations à répondre aux signaux de rareté sur le marché ont été donc annulées.
En résumé, l’intervention régulatrice a freiné le fonctionnement correct du prix et a empêché de tester l’efficacité des récentes règles de marché.
Stockage versus Importations.
Les infrastructures européennes de stockage de gaz (UGS) étaient à des niveaux assez élevés quand la vague de froid a commencé, bien que nous étions à la fin de l’hiver. L’hiver ayant été particulièrement doux dans les semaines précédant la chute des températures, les infrastructures étaient en mesure de répondre assez efficacement à l’augmentation subite de la demande en gaz.
Le Winter 2012 Outlook d’ENTSOG avait prédit la résilience globale du système avant le début du froid ou bien avant la vague de froid. Alors que ce constat affaiblit les récents appels de Gazprom à avoir plus d’accès aux stockages européens, il ne diminue pas pour autant l’importance d’un monitorage de l’ensemble des règles régissant l’accès à ces infrastructures dans les différents pays européens. L’accès au stockage est en effet géré soit de manière régulée soit négociée selon les pays, en ajoutant un niveau de complexité supplémentaire aux solutions de gestion de crise.
Enfin, la diatribe “qui a gardé le gaz pour soi-même au lieu d’honorer ses contrats de fourniture ou de transit” a démontré encore une fois le besoin de plus de transparence dans les règles de gestion des gazoducs de transit. Ou du moins, une définition claire de ce qui est à considérer transit des gazoducs faisant partie du réseau de transport national.
Globalement le système gazier européen a pu satisfaire la forte hausse de la demande. En Italie, cependant, ce résultat positif a été réalisé en dépend d’un assouplissement des règles de marché.
La rédaction de Codes de Réseaux européens qui est en cours à Bruxelles et Ljubljana, pourra-t-elle apporter des éléments de réponse à ces questions? Et si oui, mais à quel prix ?
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