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L'option libre-échangiste de l'Union européenne en Asie : dogme ou nécessité ?

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L'option libre-échangiste de l'Union européenne en Asie : dogme ou nécessité ?
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La crise économique et financière internationale a fait émerger un certain nombre de critiques sur le fonctionnement du système économique libéral, en particulier le phénomène de dérégulation. L'ensemble des pays du monde sont aujourd'hui touchés à des degrés divers; et les pays émergents ou ré-émergents d'Asie ne sont pas épargnés, notamment en raison d'économies fondées en partie sur les exportations. La plupart des pays développés et émergents, notamment dans le cadre du G20, ont affiché une volonté de régulation plus grande des marchés financiers internationaux. Néanmoins, les négociations d'accords de libre-échange (ALE) de l'UE avec un certain nombre de pays tiers, dont l'Inde, la Corée du Sud et l'ASEAN en Asie, semblent suivre leur feuille de route comme si rien ne s'était produit. On ne peut que constater le peu de publicité qui entoure les négociations. Avec le maintien de M. Barroso à la tête de la Commission européenne qui se confirme et une majorité de pays et de députés conservateurs au sein de l'Union, se profile a priori une continuité dans la politique externe menée. Dans ce cadre, la question de la pertinence de l'option libre-échangiste de l'Union européenne en Asie dans le contexte de la crise économique internationale mérite d'être soulevée.

L'intérêt stratégique du libre échange euro-asiatique

Pour mémoire, la communication de la Commission européenne " Global Europe " d'octobre 2006, avalisée par le Conseil, avait opéré un revirement de la stratégie européenne en matière économico-commerciale. Présentés comme une réponse complémentaire - et non alternative - au multilatéralisme, des accords de libre-échange ont été proposés avec des pays ou organisations régionales répondant à des critères prédéfinis (potentiel des marchés, niveau des mesures de protection ciblant les exportations de l'UE, accords en cours de négociation avec d'autres partenaires). À la lumière de ces critères, l'ASEAN, la Corée du Sud, et l'Inde sont apparus comme des priorités pour l'Union dans la zone Asie. La communication précisait également que " la Chine répond aussi à plusieurs de ces critères, mais requiert une attention particulière en raison des opportunités et des risques dont elle recèle ".

Le Conseil a adopté les directives de négociations des ALE avec les pays d'Asie en avril 2007, tandis que les négociations de l'APC avec la Chine ont été lancées en janvier 2007. Le cœur de l'approche de l'Union européenne consiste à introduire de la réciprocité commerciale dans les futurs accords-cadre, afin de rééquilibrer les cadres relationnels sur une base égalitaire. C'est le sens des partenariats stratégiques lancés avec la Chine (2003) et l'Inde (2004) : rénover de manière souple les fondements relationnels existants, concentrés sur une perspective essentiellement " développementale "[1], et préparer le contenu des engagements conventionnels. En ce sens, la négociation d'accords de libre-échange ou d'accords incluant à tout le moins une certaine réciprocité commerciale semble primordiale : l'obsolescence des relations juridiques existantes ne peut permettre à l'Union de faire face à la réémergence de ces pays, en particulier la Chine et l'Inde. A l'heure où les négociations dans le cadre de l'OMC patinent et où les initiatives libre-échangistes se multiplient en Asie, l'Union européenne doit gérer cette période historique de croisement des trajectoires de développement : déclin relatif de l'Europe, fenêtre d'opportunités pour la Chine, et surtout pour l'Inde.

Des négociations d'accords de libre-échange extrêmement délicates

Pour autant, les négociations actuelles avec les pays d'Asie sont assez mal engagées, mises à part celles entreprises avec l'Inde. Les négociations de libre-échange UE-ASEAN ont été discrètement gelées. Les parties sont en effet divisées tant sur le fond que sur la forme du futur engagement conventionnel. Cet état de fait illustre la difficulté de négocier avec une organisation régionale, déjà éprouvée avec le Mercosur, et ce d'autant plus avec l'ASEAN qui regroupe des pays particulièrement hétérogènes en termes de développement économique et de régime politique. La Commission européenne devrait donc opter pour une solution qu'elle s'était par ailleurs réservée : négocier des accords de libre-échange bilatéraux avec les pays les plus avancés de l'ASEAN. En outre, selon le schéma promu par la Commission, ces ALE bilatéraux ne pourront être conclus que si les pays visés ont convenu préalablement d'accords de partenariat et de coopération (APC) avec la Communauté européenne. Autre illustration de la difficulté des négociations, l'accord de libre-échange entre la Communauté européenne et la Corée du Sud - accord présumé le plus ambitieux négocié côté européen - n'a pas fait l'objet d'un compromis lors du dernier sommet bilatéral fin mai.

Si les Etats membres de l'Union et même les membres de la Commission européenne sont divisés[2], l'obstacle majeur à la conclusion de l'ALE reste les ristournes de droits d'importation que la Corée accorde à ses entreprises qui utilisent des éléments importés pour fabriquer des produits destinés à l'exportation. L'Union a pour l'instant refusé d'inclure ce système dans les ALE négociés avec d'autres partenaires, ce qui devrait repousser la conclusion de l'accord pendant la Présidence suédoise du Conseil[3].

Le libre-échange, un test pour la cohérence des objectifs politiques et économiques de l'Union européenne

A la lumière de ces négociations, la cohérence de l'action extérieure de l'Union européenne peut être mise à mal sur les plans à la fois politique et économico-commercial. L'architecture en suspens des négociations UE-ASEAN illustre le défi à la cohérence politique de l'UE. L'option de négocier un accord de libre-échange bi-régional avec l'ASEAN, qui dispose désormais de la personnalité juridique internationale, soulève la question épineuse de l'intégration de la Birmanie dans ce schéma conventionnel. Mais l'option alternative de négocier des accords de libre-échange sur une base bilatérale avec les pays d'Asie du sud-est qui auront conclus des accords de partenariat et de coopération pose également des problèmes structurels. Pour préserver l'identité politique de l'Union, un lien de conditionnalité doit impérativement être établi entre l'application des accords de libre-échange et les APC, qui devraient contenir des clauses politiques, notamment sur les droits de l'homme.

Dans une moindre mesure, les négociations de l'ALE avec l'Inde soulèvent également des interrogations. Ne devraient-elles pas être accompagnées d'une remise à jour de l'accord-cadre CE-Inde de 1994, dépassé sur le plan politique ? Cette éventualité n'est toutefois pas à l'ordre du jour, le mandat de négociation pour l'Inde étant exclusivement commercial.

Les négociations de l'ALE avec la Corée du Sud remettent quant à elles en cause la pertinence de la stratégie économico-commerciale de l'Union européenne. Certains Etats membres comme l'Allemagne, l'Italie et la France ont des réticences persistantes concernant une plus grande libéralisation des échanges bilatéraux, en particulier dans le domaine automobile. Mais la contestation côté européen vise également d'autres sujets, en particulier le volet coopération culturelle des négociations pour l'ALE qui devrait, en vertu de la Convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, faire l'objet de discussions autonomes.

Au-delà, ce sont les dangers éventuels de l'ensemble des accords de libre-échange qui sont de plus en plus mis en exergue, tant pour la partie européenne que pour les partenaires asiatiques. Ainsi, l'ALE entre la Communauté européenne et l'Inde fait l'objet de critiques de plusieurs ONG[4], en particulier concernant les effets du libre-échange sur le secteur agricole. Afin d'assurer la préservation et la promotion de l'identité internationale de l'Union européenne, cette dernière aura sans doute à dépasser une démarche libre-échangiste à tout crin, et veiller à l'articulation entre sujets politiques et commerciaux. Elle devra également apporter une valeur ajoutée dans les futurs ALE, se matérialisant par l'insertion de chapitres sur le développement durable (aspects sociaux et environnementaux) dans les futurs accords de libre-échange. Les négociations sont toutefois complexes à mener. Par exemple, l'Inde est vraisemblablement l'adversaire le plus farouche à l'intégration de dispositions relatives aux droits des travailleurs dans les accords commerciaux.

Reste le cas de la Chine. Si l'accord de libre-échange n'est pas l'option choisie par les parties, la négociation actuelle de l'APC synthétise les problèmes de cohérence des relations extérieures de l'Union européenne. Cette dernière souhaiterait en effet inclure une plus grande réciprocité commerciale, y compris sur des sujets de type " OMC plus ", en matière de propriété intellectuelle et d'investissements. Le volet commercial de la négociation est toutefois nettement déséquilibré au profit de la Chine, dans la mesure où le négociateur communautaire demande beaucoup en termes d'accès au marché, mais dispose de peu de marges de manœuvre, à part la reconnaissance éventuelle du statut d'économie de marché à la République populaire de Chine. Ces difficultés sont également présentes sur le volet politique de la négociation. L'Union européenne souhaite notamment l'insertion d'une clause droits de l'homme dans le futur accord, qui pose problème pour la partie chinoise. L'asymétrie des négociations en faveur de la RPC est telle que les négociateurs chinois souhaitent deux accords séparés (l'un politique et l'autre commercial), hypothèse qui altérait durablement la cohérence et l'identité européenne.

 

[1] Sur le plan bilatéral, les relations CE-Chine sont fondées sur un accord-cadre de 1980 (dit de 2ième génération) aujourd'hui dépassé, tandis que les relations CE-Inde sont régies par un accord datant de 1994 (dit de 3ième génération) fondé notamment sur la politique de coopération au développement. Dans les deux cas, des instruments unilatéraux sont venus " nourrir " les cadres conventionnels, tel le Système de Préférences Généralisées (SPG) de la CE, dont la Chine et l'Inde ont longtemps été les principaux bénéficiaires.

[2] V. Europolitique n° 3748, jeudi 7 mai 2009, p. 8.

[3] Parallèlement, le gouvernement américain a demandé la renégociation de leur accord de libre-échange avec la Corée du Sud, signé, mais non encore ratifié.

[4] V. par exemple le rapport de Shefali Sharma, "The EU-India FTA: Critical Considerations in a Time of Crisis", Center of Trade and Development (CENTAD), New-Delhi, mars 2009.

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