Organisation d'un espace énergétique européen : le rôle du couple franco-allemand
La présidence française de l"Union européenne qui commence le 1er juillet 2008 a choisi la politique énergétique comme domaine prioritaire dans ses efforts pour redynamiser l"Europe. Ce choix intervient à une phase importante et potentiellement décisive dans la formulation d"une politique européenne de l"énergie qui est caractérisée par un enjeu. D"un côté, il s"agit de finaliser la libéralisation des marchés européens de l"électricité et du gaz ; de l"autre côté, il s"agit de formuler une politique européenne commune en matière d"énergie capable d"assurer la sécurité des approvisionnements tout en sauvegardant la qualité environnementale et la compétitivité.
Le gouvernement français ne commence pas avec une page blanche. La 3e directive sur les marchés de l"énergie du 19 septembre 2007 et le 3e paquet Énergie et Climat du 23 janvier 2008 ont dessiné les contours d"un débat dont l"issue fixera les structures du secteur énergétique en Europe pour les deux prochaines décennies. Le 3e paquet a réitéré quelques orientations principales de la politique européenne, notamment le triple objectif d"une réduction des gaz à effet de serre de 20 pour cent, l"augmentation de l"efficacité énergétique à 20 pour cent et une augmentation des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique également à 20 pour cent. Quoique la logique économique demanderait de se limiter au seul objectif de la réduction des gaz à effet de serre et de laisser le marché décider des moyens les plus aptes de le réaliser, le triple objectif " 20-20-20 " a désormais développé sa propre dynamique politique dont la trajectoire semble difficile à infléchir.
Les choses sont différentes en ce qui concerne l"organisation concrète des marchés de l"électricité et du gaz, sujet de la troisième directive. Cette dernière contient trois volets principaux, (1) la séparation patrimoniale (" unbundling ") de la gestion des réseaux de la production, (2) le renforcement de la coordination des régulateurs européens en vue de la création d"un espace européen de régulation et (3) la création de structures pour mieux prévoir l"évolution de l"offre et de la demande afin de donner aux acteurs la visibilité nécessaire pour anticiper les besoins en investissements. Sur les trois points la situation est encore ouverte, mais il est clair que seul un compromis entre les instincts libéraux de la Commission et les réserves d"une large partie des pays membres pourra gagner les faveurs d"une majorité solide.
C"est dans le domaine de la sécurité des approvisionnements que la situation est encore ouverte au point que même les contours d"une future politique européenne dans ce domaine sont difficiles à identifier. Deux questions majeures se profilent pourtant : la nature précise des relations de l"Europe avec la Russie qui devrait être formulée dans un nouvel accord-cadre et la possibilité pour une partie des pays membres - en absence d"un consensus général - d"avancer plus vite que d"autres pays pour créer des conditions d"investissement plus favorables dans les technologies nucléaires.
Les enjeux sont de taille et les contours des débats, ainsi que la nature précise des coalitions possibles sont difficiles à prévoir. L"échec du sommet européen sur l"énergie du 13-14 mars dernier a montré à quel point l"Europe est encore loin de développer des positions communes en matière d"énergie. Dans cette situation, une réaffirmation du couple franco-allemand serait le meilleur espoir pour faire de la présidence française un succès dans le domaine de l"énergie. Quoique l"axe Paris - Berlin soit un peu essoufflé et que l"axe Paris - Londres semble tellement plus " attrayant " après la récente visite d"état du couple présidentiel français auprès de la reine d"Angleterre, dans le domaine de l"énergie les intérêts communs des deux partenaires historiques priment largement sur les quelques points divergents.
La France et l"Allemagne partagent surtout une vue commune concernant la responsabilité réciproque que maintiennent la société civile et le monde politique avec le monde économique et industriel. Tout le monde est aujourd"hui d"accord : le temps des champions nationaux est révolu. Pourtant la France et l"Allemagne sont plus que jamais d"accord sur le fait que l"énergie ne soit pas une matière première comme une autre et que la nécessité de créer un marché européen unique a besoin de contrepoids et de garde-fous politiques. Elles s"opposent ainsi à la vision quelque peu simpliste - pour des raisons techniques autant que pour des raisons politiques - de la Commission en matière d"énergie.
Les difficultés récentes de l"initiative franco-allemande en faveur d"une " troisième voie " dans la gestion des réseaux suite à l"annonce surprise de E.on de vendre son réseau et la récente prise de position de RWE en faveur d"un réseau européen ne doivent pas distraire les politiques des deux côtés du Rhin. L"idée était bonne, mais c"était un cas classique de " trop peu, trop tard ". Il y a 18 mois, une pareille initiative aurait pu donner une trajectoire différente à la dynamique du débat. Peu importe, le compromis final se rapprochera de l"idée de la " troisième voie ", c"est-à-dire, d"un désengagement partiel des opérateurs sous une contrainte régulatrice renforcée, sauf qu"il sera affiché sans aucune référence à cette initiative trop peu libérale pour le goût du jour.
Le vrai enjeu est ailleurs. Dans les prochains mois, le couple franco-allemand doit poser les bases d"une gouvernance européenne du secteur de l"énergie : (1) Création d"un régulateur européen et son mode d"interaction avec les régulateurs nationaux et les gouvernements des pays membres ; (2) Désignation d"interlocuteurs compétents pour les partenaires extérieurs de l"Union qui préfèrent négocier pays par pays non seulement pour des raisons de tactique commerciale mais aussi à cause du vide criant au niveau européen ; (3) Établissement de règles de jeu pour créer des mécanismes d"incitation pour des technologies souhaitables mais handicapées dans des marchés libres à cause de leur structure de coût, c"est-à-dire des contrats de long terme pour l"énergie nucléaire et des subventions pour les énergies renouvelables.
C"est un programme lourd mais non dépourvu de chances de succès. Paradoxalement, les quelques divergences qui séparent la France et l"Allemagne sur des points de détail (par exemple sur la question du nucléaire) crédibiliseraient une approche commune vis-à-vis de leurs partenaires européens. Les progrès se réalisent lorsqu"une situation mûre est suivie d"une action ciblée et puissante. Une initiative franco-allemande en faveur d"une vraie gouvernance européenne du secteur de l"énergie aurait toutes les chances de porter la politique européenne de l"énergie au prochain niveau.
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