Sécurité des approvisionnements en énergie : que pouvons-nous faire ?
Dans notre éditorial de février 2007 nous avions proposé comme définition d"un risque pour la sécurité des approvisionnements énergétiques " un évènement imprévisible et aléatoire qui interrompt les livraisons physiques ou crée des pics de prix dans le court terme ", le court terme étant défini comme l"horizon de temps ne permettant pas un ajustement du comportement des consommateurs ou des producteurs. Aujourd"hui nous regardons les instruments à disposition des décideurs pour gérer ces risques.
Trois points s"imposent d"emblée que nous synthétisons en formes de thèses que nous expliciterons par la suite :
1) la sécurité des approvisionnements demande à la fois des réponses économiques et des réponses politiques ;
2) les politiques énergétiques à l"intérieur d"un pays ou d"une région exercent inévitablement une influence sur la sécurité extérieure des approvisionnements énergétiques ;
3) en ce qui concerne les politiques énergétiques externes, les approches multilatérales sont préférables aux approches bilatérales.
Assurer la sécurité des approvisionnements énergétiques demande une division du travail entre marché et politique.
A priori on pourrait avancer l"argument qui dit " où il y a risque, il y a assurance ". Pourtant en matière d"énergie cet argument n"est valable qu"à moitié. La raison pour laquelle les marchés ne peuvent pas entièrement prendre en compte les risques qui pèsent sur la sécurité des approvisionnements est triple. D"abord les évènements mettant en péril la sécurité des approvisionnements sont souvent eux-mêmes de nature politique et ne sont donc pas probabilisables. En suite, la sécurité des approvisionnements possède une dimension collective qui transcende la logique de l"assurance privée dans une logique de prévention privée contre le risque. Un électricien s"assurant contre une interruption de ses livraisons en gaz couvre ses actionnaires et ses employés. Il ne couvre pas ses multiples clients pour lesquels une interruption de la fourniture électrique serait une catastrophe mais trop improbable pour mériter une assurance individuelle nécessairement coûteuse. Finalement, seule la politique peut espérer pouvoir intervenir auprès des causes des interruptions avec une chance de succès.
Cela dit, les marchés ont leur rôle à jouer et le jouent. Contrats à terme, produits dérivés, diversification des portfolios, la couverture des risques financiers individuels sur les marchés de l"énergie a beaucoup progressé ces dernières années et laisse les agents exposés seulement aux risques qu"ils décident de gérer eux-mêmes. Certains veulent voir dans cette financiarisation une source d"opacité et d"amplification de la volatilité, montrant comme preuve l"augmentation et la forte volatilité des prix de l"énergie. Ce serait confondre cause et symptôme. Les marchés assurent bien les risques individuels probabilisables. Par contre, ils ne sont pas faits pour s"occuper des risques systémiques, des risques de très grande envergure ou des risques dont les contours économiques s"esquissent à peine, comme, par exemple, le changement climatique ou les évolutions politiques du Moyen-Orient. Ici, les pouvoirs politiques ont seuls le pouvoir et la légitimité d"intervenir sur la base des orientations données par le processus politique. En effet, le pouvoir politique a toute une série de dispositifs pour améliorer la sécurité des approvisionnements énergétiques :
- Dans le court terme, le stockage d"énergies importées comme le pétrole ou le gaz peut constituer un amortisseur important pour des interruptions de livraison ; il permet également d"intervenir sur les marchés du spot pour calmer une spéculation excessive après un choc externe ponctuel (type désastre naturel) ; l"Agence internationale d"énergie recommande à ses pays membres de constituer de réserves stockées d"au moins 90 jours de consommation ;
- Dans le moyen terme, une politique fiscale destinée à taxer les énergies importées de manière plus forte, voir les taxes sur l"essence, peut à la fois réduire la demande (et donc la dépendance) et atténuer les effets d"une augmentation des prix ; en termes relatifs, les prix de l"essence aux Etats-Unis (où le taux d"imposition varie autour de 10 centimes d"Euro selon les états) ont donc augmenté dans le sillage des prix du pétrole brut beaucoup plus qu"en Europe où le taux d"imposition est jusqu"à dix fois plus élevé ;
- Dans le long terme, seulement la diversification à la fois des sources d"énergie et de leur provenance permet d"assurer un minimum de sécurité des approvisionnements¹; une politique soutenant la recherche et le développement de nouvelles technologies, telles les énergies renouvelables, par définition d"origine domestique, permet également d"avancer dans cette stratégie de diversification.
Faire attention aux interactions entre politiques énergétiques internes et la sécurité des approvisionnements énergétiques.
Jusqu"à très récemment la politique énergétique de l"Union européenne était considérée comme l"appendice des politiques dans d"autres domaines plus prioritaires. Il faut nommer dans ce contexte en particulier les politiques menées dans les deux domaines suivants : (1) la création d"un marché unique avec en corollaire l"ouverture et la libéralisation des marchés nationaux, la privatisation des entreprises publiques et la suppression des subventions ; et (2) une politique environnementale ambitieuse avec notamment la création d"un système d"échanges de permis de CO2. Dans les deux cas, les politiques menées avaient des répercussions imprévues sur la sécurité des approvisionnements énergétiques.
Dans le domaine de la libéralisation, la création progressive d"un marché intérieur de l"énergie et, en particulier, d"un marché unique de l"électricité a permis une certaine créativité et un certain dynamisme des acteurs industriels jusqu"alors cantonnés dans des structures nationales de monopole régulé. En même temps, ce processus a fortement augmenté incertitude économique et régulatrice des opérateurs. Vu que l"électricité est un bien non stockable et essentiel au déroulement de la vie quotidienne, sa demande est nécessairement très inélastique. Cela rend la formation concurrentielle des prix très aléatoire. En surcapacité, les coûts de production ne fournissent aux heures de pointe aucune indication pour les prix finaux et constituent seulement un seuil inférieur pour ces derniers. En sous-capacité, les prix peuvent tomber jusqu"au coût marginal de la technologie avec les coûts variables les moins chers - le nucléaire. Les régulateurs et législateurs nationaux, tirés entre des objectifs relevant à la fois de la stratégie industrielle et de la politique sociale contribuent à cette incertitude en ajustant en permanence le cadre régulateur. Le marché français de l"énergie a ainsi vu depuis 2000 pas moins de 5 lois nationales de l"énergie et 6 directives européennes majeures. La situation n"est pas fondamentalement différente dans les autres pays européens.
Dans cette situation, les opérateurs sont nécessairement amenés à agir pour le court terme, ce qui favorise fortement les technologies avec des périodes d"amortissement courts. Si on sait que les coûts de l"investissement initial d"une centrale nucléaire font plus de 70 pour cent de son coût total durant sa durée de vie de 40 ans, on comprend la réticence des investisseurs privés à s"engager dans l"énergie nucléaire dans des marchés libéralisés même dans un contexte favorable tel qu"il existe par exemple aux Etats-Unis. L"énergie nucléaire aurait pourtant des atouts indéniables pour augmenter la sécurité des approvisionnements. Pour se rendre compte que la Commission européenne en est bien consciente, il suffit de relire les interventions publiques de l"ancienne Commissaire à la Direction générale du transport et de l"énergie (DG TREN), Loyola de Palacio.
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