Septième sommet de l'ASEM à Pékin : un tournant stratégique dans le contexte de la crise financière internationale ?
Après douze années de coopération peu visibles dans le cadre du processus de rencontres Asie-Europe (ASEM), le forum avait besoin d"une nouvelle dynamique. Ce septième sommet de l"ASEM, qui s"est déroulé à Pékin les 24 et 25 octobre 2008, se devait de ne pas faire l"impasse sur le contexte international marqué par la crise financière et fournir ainsi une opportunité pour donner une dimension stratégique à la coopération entre les deux régions. Malgré la reconnaissance de " l"importance stratégique de l"ASEM " [1] par les partenaires, ce sommet met en lumière la difficulté des leaders européens et asiatiques d"inventer concrètement une nouvelle forme de régulation régionale dans le cadre de ce forum dépourvu d"engagements contraignants. Cela étant, l"importance commune accordée à la nécessaire régulation du système financier international pose les jalons d"un renforcement du dialogue politique entre les deux régions.
L"engagement commun pour une réforme du système financier international et le rôle accru du FMI : au-delà d"une diplomatie purement " déclaratoire " ?
Alors que le développement durable devait figurer au premier rang des priorités du 7ième sommet, les 45 partenaires de l"ASEM ont logiquement concentré leurs discussions informelles sur la crise financière internationale. Symboliquement, les Etats participants ont convenu d"une déclaration politique séparée sur " la situation financière internationale " [2]. Cette déclaration montre les nombreuses convergences entre européens et asiatiques, signe d'un consensus croissant à quelques semaines de la réunion du G-20, le 15 novembre à Washington. Les partenaires appellent en effet conjointement à une " réforme globale et effective des systèmes financiers et monétaires internationaux " [3], relayant a priori la volonté de José Manuel Barroso et de Nicolas Sarkozy, dont le pays assure la présidence semestrielle de l"Union, de rallier l"Asie à l"idée d"un nouveau " Bretton Woods ". La déclaration souligne en outre le rôle crucial que doit jouer le FMI dans la stabilisation du système financier international. Cette proposition de la chancelière allemande, Angela Markel, constitue sans doute un des principes fondamentaux sur lequel l"ensemble des partenaires doit s"entendre afin de coordonner leurs positions à l"échelle multilatérale.
Toutefois, les limites du processus de l"ASEM demeurent dans le même temps importantes. En raison de sa nature institutionnelle basée principalement sur l"informalité et le compromis, l"ASEM ne permet pas en effet d"aller très au-delà d"une simple diplomatie " déclaratoire ". Le cadre de coopération souffre également de l"hétérogénéité réelle des participants et des intérêts parfois divergents de l"ensemble des acteurs. Ainsi si la Chine accepte de participer au prochain sommet du G 20 à New York, on s"interroge sur la portée réelle de ses engagements en matière de gestion de la crise financière.
La valeur ajoutée relative de la déclaration conjointe spécifique sur le développement durable
Les dirigeants des pays de l"ASEM ont également convenu lors de ce 7ième sommet d"une déclaration séparée sur le " développement durable " [4]. Cette déclaration constitue une véritable avancée dans la mesure où est reconnue l"existence d"un thème d"intérêt commun " transpiliers ". En effet, les discussions de l"ASEM s"inscrivent traditionnellement dans le cadre de trois piliers distincts (économie, politique, social/culturel). Les partenaires de l"ASEM montrent ainsi que le développement durable constitue une préoccupation majeure dépassant les aspects strictement économiques ou sociaux, et intégrant des sujets auparavant déterminés, tels que le changement climatique [5].
La déclaration couvre donc un panel large de discussions, de la sécurité énergétique au changement climatique, en passant par la cohésion sociale et le prix des matières premières. Sur ce dernier point, les partenaires de l"ASEM appellent à une " coopération pratique " pour stabiliser le prix des matières premières, en particulier des denrées alimentaires. Les participants ont ainsi accueilli la proposition du Vietnam de créer un forum de l"ASEM sur la sécurité alimentaire en 2009. Les acteurs de l"ASEM ont également mis l"accent sur l"importance des Objectifs du millénaire pour le développement, en particulier la question du financement au développement des plus vulnérables. Ils ont convenu que les pays développés devaient tenir leurs engagements pour atteindre l'objectif global d'utiliser 0,7% de leur revenu national brut (RNB) avant 2015 pour soutenir le développement et augmenter leurs capacités d'assistance . Sur la question du changement climatique, les partenaires ont, dans la lignée du 6ième sommet d"Helsinki, réaffirmé que la Convention-cadre sur les changements climatiques et le Protocole de Kyoto sont les principaux vecteurs de coopération internationale en la matière. Cela étant, aucun objectif chiffré n"est précisé, en particulier quant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. En revanche, la cohésion sociale, thématique chère à l"Union européenne est intégrée dans la déclaration sur le développement durable.
Des " éléments de langage " minimaux sur les conflits régionaux et le droit international
Plus classiquement, la déclaration de la Présidence a fourni des éléments de langage sur le multilatéralisme et certains conflits régionaux. Au titre de ces derniers, les leaders ont concentré leurs discussions sur le récent développement dans la péninsule de Corée, le processus de paix et de stabilité en Afghanistan, sur le problème nucléaire iranien, et enfin la situation de la Birmanie/Myanmar. La place accordée aux droits de l"homme reste relativement marginale dans la déclaration conjointe du 7ième sommet. Notons néanmoins que les partenaires ont marqué le 60ième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l"homme dans le préambule du communiqué conjoint, et ont souligné leur soutien à la création d"une charte de l"ASEAN intégrant un organe sur les droits de l"homme.
En terme de dialogue politique général, la lutte contre le terrorisme a fait l"objet, comme les précédents sommets , des discussions les plus abouties, en raison d"un consensus relatif sur la gestion des " nouveaux risques " auxquels les menaces terroristes sont assimilées Les partenaires ont en effet mis en exergue la bonne avancée de la coopération au sein de l"ASEM, au travers des conférences annuelles de l"ASEM contre le terrorisme. Ils ont également exprimé leur soutien à la Stratégie Globale des Nations-Unies contre le terrorisme rénovée des 4 et 5 septembre 2008. Le contenu du dialogue politique demeure toutefois particulièrement mince dans la déclaration de ce 7ième sommet. Contrairement à la plupart des sommets précédents, des sujets comme la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive ou le Traité d"interdiction complète des essais nucléaires ne sont pas abordés.
Le manque persistant d"initiatives concrètes en matière de coopération
Mais en dépit de ces progrès, le 7ième sommet de l"ASEM éprouve des difficultés à passer du stade de dialogue à celui de la coopération. Un certain nombre d"initiatives ont certes été prises ou confirmées, notamment au sein du pilier culturel/social. Cependant, dans la sphère économique, les résultats concrets des deux cadres permanents de dialogue, le Trade Facilitation Action Plan (TFAP) et l"Investment Promotion Action Plan (IPAP), peinent à voir le jour, en particulier pour ce dernier. Si certains apports ponctuels ont pu apparaître, notamment en matière de procédures douanières, l"objectif premier du dialogue économique - la promotion du multilatéralisme via le cycle de Doha - n"est semble t-il pas rempli. Au regard du contexte international marqué par la crise financière internationale, le 7ième sommet de Pékin aurait pu fournir une dynamique stratégique nouvelle à la coopération entre les deux régions. Si un consensus peut émerger concrètement lors de la prochaine rencontre du G-20, alors ce sommet de l"ASEM pourra être considéré comme une étape utile vers une refonte du système financier international. Dans le cas contraire, et dans l"attente d"une structuration plus grande des intégrations régionales en Asie, cette rencontre de Pékin pourrait alors être perçue comme une occasion manquée.
Antoine Sautenet est chercheur associé au Centre Asie Ifri.
[1] Déclaration conjointe du 7ième sommet de l"ASEM, Beijing, 24-25 octobre 2008, http://www.asem7.cn/download/cssaem.pdf, point 4.
[2] Déclaration du 7ième sommet de l"ASEM sur la crise financière internationale, 24 octobre 2008, http://www.asem7.cn/download/engfulltext.pdf.
[3] Déclaration sur la crise financière internationale, précitée, point 7.
[4] Déclaration de Pékin sur le développement durable, Pékin, 24-25 octobre 2008, http://www.asem7.cn/download/bdsd.pdf.
[5] V. Déclaration sur le changement climatique du 6ième sommet de l"ASEM, Helsinki, 10-11 septembre 2006, http://www.asem6.fi/news_and_documents/en_GB/1157981028054/.
[6] Déclaration de Pékin sur le développement durable, précitée, point 10.
Contenu disponible en :
Régions et thématiques
Utilisation
Comment citer cette publicationPartager
Centres et programmes liés
Découvrez nos autres centres et programmes de rechercheEn savoir plus
Découvrir toutes nos analysesL’essor du programme spatial taïwanais : Construire une industrie, soutenir la sécurité nationale
Taïwan, connu pour son leadership dans le domaine des semi-conducteurs et des technologies de l’information et de la communication (TIC), fait aujourd’hui des progrès significatifs dans l’industrie spatiale. Bien qu’historiquement modeste, le programme spatial taïwanais s’est transformé depuis 2020, sous l’impulsion de la présidente Tsai Ing-wen qui s’est engagée à développer les capacités spatiales du pays. Parmi les étapes clés figurent l’adoption de la loi sur le développement spatial et la création de l’Agence spatiale taïwanaise (TASA), qui a renforcé les ressources et la visibilité des ambitions spatiales de Taïwan.
La surproduction chinoise de puces matures : Des craintes infondées
La Chine, plutôt que d’inonder le marché mondial des semi-conducteurs à technologies matures, s’en dissocie. Si les politiques industrielles chinoises favorisent de plus en plus la production nationale de semi-conducteurs, sa propre demande en puces, en constante augmentation, devrait empêcher une arrivée massive de puces chinoises à bas prix sur les marchés étrangers. Cependant, à mesure que Pékin progresse dans son objectif de réduire la dépendance des industries nationales aux puces étrangères, les entreprises européennes et américaines de semi-conducteurs à technologies matures pourraient ressentir les effets d’un écosystème de semi-conducteurs chinois de plus en plus « involué » (内卷).
La Chine en quête d'un saut quantique
La course mondiale pour exploiter les sciences quantiques s'intensifie. Reconnaissant le potentiel stratégique des technologies quantiques pour le développement économique, militaire et scientifique, la Chine concentre ses efforts sur des percées scientifiques afin de rééquilibrer le rapport de force, notamment dans sa compétition avec les États-Unis. Le président Xi Jinping a souligné l'importance de l'innovation scientifique, en particulier dans les domaines quantiques, pour stimuler le développement national et garantir la sécurité.
L’approvisionnement énergétique de Taïwan : talon d’Achille de la sécurité nationale
Faire de Taïwan une « île morte » à travers « un blocus » et une « rupture de l’approvisionnement énergétique » qui mènerait à un « effondrement économique ». C’est ainsi que le colonel de l’Armée populaire de libération et professeur à l’université de défense nationale de Pékin, Zhang Chi, décrivait en mai 2024 l’objectif des exercices militaires chinois organisés au lendemain de l’investiture du nouveau président taïwanais Lai Ching-te. Comme lors des exercices ayant suivi la visite de Nancy Pelosi à Taipei en août 2022, la Chine avait défini des zones d’exercice faisant face aux principaux ports taïwanais, simulant de fait un embargo militaire de Taïwan. Ces manœuvres illustrent la pression grandissante de Pékin envers l’archipel qu’elle entend conquérir et poussent Taïwan à interroger sa capacité de résilience.