Transport : le gaz non conventionnel donnera t-il un coup de frein à l'électrique ?
La peur de la fin du pétrole, la nécessité de réduire les émissions de CO2 pour combattre le changement climatique et le problème de l’urbanisation rampante associée aux émissions de polluants nocifs pour la santé ont conduit les gouvernements à chercher des alternatives au pétrole pour le transport routier.
Alors que le prix du pétrole plafonne et que des ressources de gaz non conventionnel ont modifié le paysage énergétique mondial en faisant notamment chuter les prix du gaz, la voiture à gaz refait une apparition. Elle semble plutôt bien armée face à la solution jusqu’ici chérie par nombre de gouvernements, le véhicule électrique. Le véhicule à gaz dispose donc à présent d’un avantage compétitif important face au véhicule électrique qui reste extrêmement cher en raison du coup de ses batteries. L’avantage est aussi technologique, puisque qu’un véhicule à gaz naturel compressé offre une autonomie de 300 km, soit le double des véhicules électriques équivalents qui sortent sur le marché.
Mais l’avantage est aussi environnemental. Le véhicule à gaz n’émet presque pas de polluants locaux, ce qui en fait une option intéressante pour les pays à forte urbanisation et disposant initialement d’un parc diesel, comme l’Inde. Au niveau du CO2 également, jusque 25% d’émissions de CO2 peuvent être évités en comparaison d’une voiture à essence équivalente. Surtout, le gaz naturel peut être utilisé comme combustible dans les camions, qui sont responsables de 37% des émissions de CO2 dans les transports selon l’AIE, ce qui n’est pas possible avec la technologie électrique et très peut intéressant avec des technologies hybrides. Enfin, cette technologie peut être adaptée aux véhicules conventionnels par un processus de conversion des moteurs, ce qui permettrait son adoption rapide dans les pays en voie de développement qui seront d’ici 2050 responsables de plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre dans les transports. Elle pourrait être également utile dans les pays développés. En Europe, la croissance du marché automobile stagne et le parc vieillit ; or les régulations sur le CO2 ne s’appliquent qu’aux nouveaux véhicules. La conversion des parcs existants vers une technologie plus propre permettrait donc des résultats intéressants. Enfin le véhicule électrique permet une réduction des émissions de CO2 dans les pays ou la production électrique est décarbonnée, dans les pays fonctionnant principalement au charbon, le bilan environnemental est négatif. Le gaz naturel est donc un concurrent pour le véhicule électrique, et ce d’autant plus qu’il semble cibler les mêmes marchés de niche : flotte captives et véhicules utilitaires.
L’accident de Fukushima pourrait renforcer cette tendance. Non seulement les crédits verts de la production électrique nucléaire sont remis en question, mais la refonte des normes de sécurité pourrait avoir un impact à la hausse sur les prix de l’électricité, comme on peut déjà l’observer. Sans parler de l’Allemagne, qui devra trouver le moyen de remplacer plus de 20% de sa production électrique, ce qui ne pousse pas en faveur d’une solution électrique pour le transport, du moins à moyen terme.
Le président Obama a rendu publique cette tendance avec le lancement du " Natural Gas Act " qui procure des incitations aux consommateurs, producteurs de voiture et fournisseurs de gaz pour un montant de $50 million de dollars. La Chine et l’Inde pourrait rentrer dans le jeu, afin d’utiliser leurs ressources en gaz non conventionnel. Alexandre Miller, le CEO de Gazprom, a soulevé la question lors d’un congre à Prague le 2 juin.
On peut néanmoins se demander si cet engouement, tout relatif qu’il soit, est durable. Certes à court terme les marchés pourraient adopter la voiture à gaz mais à long terme le marché du gaz reprendra en vigueur, et donc les prix repartiront à la hausse. La reprise lente de la croissance, les incertitudes au sujet des ressources non conventionnelles et des capacités de production des pays en disposant ne permettent pas de prédire le prix du gaz et de certifier que le véhicule à gaz restera une alternative intéressante. Selon le dernier rapport du MIT (Massachusetts Institute of Technology), même avec les prix de 2010, un véhicule à gaz ne serait rentable qu’avec un kilométrage important ; ce qui concerne une faible portion du marché. Le véhicule à gaz nécessite aussi une infrastructure de recharge couteuse qui doit être prise en compte. Enfin, il n’apparait pas comme une alternative intéressante pour certains pays, notamment ceux qui disposent d’une législation stricte en matière d’émissions de CO2 et de polluants locaux. Au sein de l’UE, un véhicule à gaz polluerait deux fois plus qu’un plug-in électrique selon le World Energy Outlook 2011 de l’AIE.
Si les marchés voient une opportunité pour un marché de gaz dans les transports, il est certain que ce développement devra faire face au même problème que le véhicule électronique : les blocages politiques, le problème de la standardisation et le cout des infrastructures. Si certains critiquent les budgets investis dans le soutien au véhicule électrique, il semble que le Natural Gas Act reflète plus la situation politique dans laquelle les décisions sont prises à Washington, qu’une véritable volonté de faire du gaz le nouveau fuel des transports.
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