Une nouvelle paralysie politique au Japon ?
Les élections partielles du 11 juillet 2010 à la chambre haute japonaise (sangiin) ont conduit à une cuisante défaite pour la coalition gouvernementale.
Le renouvellement portait sur la moitié des 242 sièges du Sénat (voir le tableau des résultats ci-dessous). Le Parti Démocrate (PDJ) n'a remporté que 44 sièges sur les 54 qu'il remettait en jeu, et son allié, le Nouveau Parti du Peuple a perdu ses trois sièges. 16 sièges manquent donc au PDJ pour obtenir la majorité au Sénat, un écart important qui rend l'éventualité d'une coalition avec d'autres petits partis d'autant plus difficile.
Un scrutin riche en surprises
Cette débâcle est une surprise. Si l'on s'attendait à des résultats médiocres du PDJ, sanctionnant les maladresses de l'administration Hatoyama, l'arrivée de Naoto Kan au poste de Premier ministre début juin avait cependant redonné un nouveau souffle au parti en vue des élections.
Il s'agit donc d'un véritable vote-sanction pour le PDJ, à propos duquel les japonais redoutent qu'il ne sache s'affirmer comme un parti de gouvernement.
Autre surprise, les très bonnes performances du Parti Libéral Démocrate (PLD), qui a remporté 51 sièges, et du nouveau parti Minna no Tô (généralement traduit par " Votre Parti " ou le " Parti de Tous "), grands vainqueurs du scrutin.
La victoire du PLD est d'autant plus imprévisible que dans les sondages, la chute de popularité du gouvernement démocrate ne semblait pas bénéficier au principal parti d'opposition. Ce report des voix sur le PLD, centre de gravité de la politique japonaise depuis 50 ans, est significative du désarroi des Japonais face à la décevante expérience gouvernementale démocrate et un paysage politique instable marqué par l'éclosion d'une flopée de petits partis. Le PLD, qui a rejoint l'opposition politique depuis les législatives de septembre 2009, reste cependant exsangue. Malgré les efforts de son président Sadakazu Tanigaki pour réformer et recentrer le parti sur ses fondamentaux conservateurs, le PLD a connu ces derniers mois une série de défections qui l'ont encore affaibli.
Votre Parti, créé par des transfuges du PLD en août 2009 et emmené par le charismatique Yoshimi Watanabe, est le seul nouveau venu sur la scène politique qui a su tiré son épingle du jeu en enlevant 10 sièges à la chambre haute. Il s'impose comme une nouvelle troisième force, avec le Nouveau Komeito, proche du PLD, qui a remporté 9 sièges. Malgré la proximité indéniable des orientations politiques de Votre Parti avec le PDJ, notamment sur la mise au pas de la bureaucratie, le renforcement de la décentralisation et la redistribution de la manne de l'Etat, son président Watanabe a rejeté l'éventualité d'une alliance permanente, tout en indiquant des possibilités de coopération au cas par cas avec le parti au pouvoir.
Les causes de la défaite du PDJ
Le PDJ paye d'abord les cafouillages de l'administration Hatoyama. L'arrivée au pouvoir du parti démocrate avait pourtant valeur de rupture au Japon, mettant fin à 50 ans de domination du Parti Libéral Démocrate. Son programme promettait la fin du " régime de l'après-guerre " par la réforme du mode de gouvernance politique, un programme social ambitieux, et une autonomie stratégique accrue sur le plan international
La nomination de Yukio Hatoyama, qui n'a pas su faire preuve d'une autorité suffisante, a constitué une erreur de casting dramatique. Le gouvernement a connu neuf mois très difficiles, marqués par des revirements politiques - notamment sur le transfert de la base de Futenma hors d'Okinawa, qui a par ailleurs provoqué de vives tensions avec l'allié américain - et des scandales financiers. La politique électoraliste, qui a eu pour conséquence de retarder la mise en place des réformes-clés a fini de ruiner la crédibilité du gouvernement.
L'arrivée au pouvoir de Naoto Kan, personnalité intègre et - fait rare au japon - arrivé en politique par conviction et non par héritage familial, a permis quelques temps de redresser la côte d'amour du parti. Kan a toutefois pêché par excès de sincérité (et peut-être de confiance) en annonçant sa ferme intention, deux mois avant les élections, de doubler la TVA (qui s'élève à 5 %), puis en nuançant ses propos après de premières réactions négatives dans l'opinion publique. Le Premier ministre estime que le relèvement de la TVA est indispensable pour financer les mesures sociales, aider à résorber l'énorme dette de l'Etat (plus de 200 % du PIB) et prévenir un scénario à la grecque. Cette annonce intempestive a toutefois surpris l'opinion alors que le PDJ s'était engagé, lors de la campagne de 2009, à ne pas augmenter les taxes et impôts durant son mandat.
Il est pourtant admis dans la classe politique japonaise qu'un relèvement de la TVA est inévitable pour espérer redresser les finances de l'Etat. Naoto Kan s'est d'ailleurs publiquement réclamé du projet du Parti Libéral Démocrate en la matière. Reste la question du timing : ses détracteurs estiment qu'une augmentation immédiate de la TVA serait prématurée alors que le pays se remet tout juste de la crise financière internationale. A l'instar de la douloureuse expérience du gouvernement Hashimoto en 1997, cette mesure pourrait avoir pour conséquence, en plombant la consommation, de faire replonger le pays dans la crise.
La sanction des Japonais envers l'administration Kan est donc particulièrement sévère, alors que la réduction de la dette de l'Etat constitue l'une de leurs inquiétudes les plus fortes.
Perspectives
Les résultats de ce scrutin ne sont pas de bonne augure pour le Japon.
La mise en place d'une coalition permanente étant peu probable, dans le contexte d'une Diète " tordue " entre des majorités politique différentes à la chambre haute et à la chambre basse (nejire kokkai), le PDJ devra batailler pour faire passer chaque projet de loi, ce qui devrait considérablement ralentir la mise en place de réformes importantes (réforme fiscale, mesures sociales, loi sur l'environnement, réforme de la Poste).
La question reste celle de la stratégie du PLD (et des deux partis Nouveau Komeito et Votre Parti). Va-t-il se lancer dans une stratégie d'obstruction qui paralyserait le pays, et réclamer des élections législatives anticipées, ou va-t-il au contraire accepter de coopérer avec le Parti démocrate, qui souhaite lui un consensus inter-partisan sur la réforme fiscale et celle des retraites ?
L'administration Kan est aujourd'hui très affaiblie. Un sondage de l'agence de presse Kyodo News publié le 13 juillet indique en effet que le taux de défiance vis-à-vis du gouvernement s'élève à 52 %, loin devant le soutien accordé par seulement 36 % des japonais. Un éventuel départ du Premier ministre, dramatique dans le contexte d'une instabilité gouvernementale forte depuis 2006, n'est toutefois pas pour l'heure annoncé.
Alors que l'économie se redresse, le Japon n'est donc pas sorti de sa longue crise du politique.
Résultats des élections partielles à la Chambre haute japonaise du 11 juillet 2010
- renouvellement par moitié des 242 sièges -
Sièges gagnés le 11 juillet |
Nombre de sièges pré-élections |
Nombre total de sièges à la chambre haute |
|
Parti Démocrate japonais (PDJ) |
44 |
54 |
106 |
Parti Libéral Démocrate (PLD) |
51 |
38 |
84 |
Votre Parti |
10 |
0 |
11 |
Nouveau Komeito |
9 |
11 |
19 |
Parti Communiste japonais (PCJ) |
3 |
4 |
6 |
Parti Social Démocrate |
2 |
3 |
4 |
Nouveau Parti de la Réforme (Shintô kaikaku) |
1 |
5 |
2 |
Parti de l'aube du Japon (Tachiagare Nippon -litt. Debout, Japon !) |
1 |
1 |
3 |
Nouveau Parti du Peuple (NPP) |
0 |
3 |
3 |
Nouveau Parti Nippon |
0 |
0 |
1 |
Autres et indépendants |
0 |
1 |
3 |
Total des sièges |
121 |
120 |
242 |
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