Une régulation des télécommunications au service de la concurrence et de l'innovation
Compte-rendu réalisé par Charlotte Teisseire, stagiaire, Ifri Bruxelles.
A l’occasion de ce « Mardi de l’Ifri à Bruxelles » présidé par Monsieur Jacques Mistral, directeur des études économiques à l’Ifri, Paul Champsaur, ancien président d’ARCEP et Fabio Colasanti, directeur général, DG « Société de l’information et Médias » à la Commission européenne ont exposé leur point de vue sur une régulation des télécommunications au service de la concurrence et de l’innovation.
Selon Paul Champsaur, le passage immédiat d’un système de monopole à celui de la concurrence est irréalisable. Il pense qu’il est nécessaire d’installer un régime spécifique, si possible transitoire, défini en fonction du type de secteur. En effet qu’il s’agisse des télécommunications, de l’électricité, du gaz, des chemins de fer ou de la poste, la facilité à faire naître la concurrence varie considérablement. Avec d’une part des spécificités telles que la vigueur et la rapidité de l’innovation, et d’autre part son paquet « Telecom », le secteur des télécommunications s’est ouvert aisément à la concurrence, effaçant progressivement l’héritage monopolistique. Un glissement simultané des vingt sept Etats membres vers une libéralisation des télécommunications s’est en effet opéré, largement influencé par l’échec des monopoles privés observable aux Etats Unis.
A la suite de ce paquet « Telecom », on peut distinguer quatre grands sujets du moment : l’arrivée de la fibre optique, la convergence fixe/mobile, le spectre hertzien et enfin l’accès au contenu. Paul Champsaur ne traite que le premier et le dernier sujet.
Avant d’aborder la question de la fibre optique se substituant au câble en cuivre, Paul Champsaur rappelle l’existence des trois couches constituant le réseau, soient « la longue distance », « de collecte » et « la boucle locale » : Depuis 2002, deux réseaux de collecte répondent aux besoins de 70% de la population française, à savoir Neuf Cegetel et Free. Ce système, présenté comme le grand succès à l’origine du haut débit disponible en France, est toujours en extension aujourd’hui car il est devenu possible et rentable pour les concurrents de l’opérateur historique de construire leur propre réseau de collecte. L’accès à la boucle locale en cuivre leur est garanti grâce au dégroupage de cette boucle. Ainsi la régulation concurrentielle au stade de détail et celle des services de gros ont reculé au profit de l’accès à la boucle locale. Ne faisant pas jusqu’à présent l’objet d’investissement significatif, la boucle locale est à la veille d’une révolution technologique : la substitution de la fibre optique au fil de cuivre. Moins chère et prenant moins de place que le cuivre, la fibre optique peut s’installer directement dans le génie civil du réseau existant de France Télécom. Cependant, la régulation doit assurer des conditions favorables à l’investissement correspondant. La première approche d’une telle régulation consiste en l’investissement de l’opérateur historique dans la boucle locale qu’il possède. C’est ici que la contradiction entre investissement et maintien de la concurrence devient évidente. Car si l’on considère d’une part que la priorité doit être donnée à l’investissement par l’opérateur historique dans son réseau de boucle locale, alors on admet que la boucle locale aujourd’hui en cuivre, demain en fibre optique, restera durablement un monopole. D’autre part, si la régulation donne la priorité à l’investissement par le propriétaire de la boucle locale, la concurrence en aval est compromise.Même si la plupart des opérateurs historiques sont opposés à cette idée, il est question, au niveau européen, de revenir à la séparation verticale de l’opérateur historique pour créer une entité distincte en charge de gérer la boucle locale, d’en louer l’accès à tous les opérateurs de manière égale et d’effectuer les investissements souhaitables. La boucle locale serait alors régulée comme un monopole naturel séparé.
La régulation française se lance cependant dans une autre voie. Paris reconnaît la nécessité d’une régulation européenne mais l’envisage différemment. Pour elle, le règlement doit apporter une réponse très proportionnée et doit être le moins intrusif possible afin de ne pas enrayer le jeu de la concurrence. Il ne doit pas déstabiliser l’économie du secteur ou aboutir à une surrégulation. Il est également crucial de ne pas désavantager les opérateurs de l’Union par rapport à leurs concurrents extracommunautaires. Le gouvernement français estime qu’une régulation des tarifs de gros devrait suffire pour encourager les opérateurs à baisser leur prix de détail. Il opte pour une distinction dans la boucle locale entre une partie en monopole naturel (infrastructure de génie civil) et une partie composée par les câbles en fibre optique installée, possédée et entretenue par des entreprises concurrentes dont l’opérateur historique. Une nouvelle phase d’investissement dans la boucle locale s’ouvre alors. Elle sera un succès si plusieurs opérateurs présents sur le marché lancent un programme d’investissement et si la demande finale est au rendez-vous. L’incitation à l’investissement est ici immense : il devient risqué de ne pas investir quand d’autres secteurs se préparent à le faire. Mais la mise en œuvre d’une telle politique est complexe et le succès n’est pas assuré. Concurrence, investissement pertinent et recul de la régulation sectorielle sont en jeu.Paul Champsaur aborde les relations entre télécommunications et audiovisuel. Il s’agit de deux univers qui obéissent à des logiques différentes du fait, notamment, des contrats d’exclusivité.Par exemple, Orange en France a tout intérêt à posséder l’exclusivité de la distribution de certains contenus de façon à renforcer son attractivité vis-à-vis des réseaux concurrents. De même, en tant que bouquet de chaînes télévision, Canal+ dispose d’un pouvoir de marché certain, d’autant plus grand qu’il maîtrise la relation contractuelle avec le client final.
Les progrès techniques sont à la source d’une croissance continue des débits des données qui transitent par les réseaux de communications électroniques et permettent la transition vers l’ère numérique. Les réseaux à haut débit, qu’ils soient fixes ou mobiles, sont les vecteurs de ce développement, et donnent accès à de nouveaux services et de nouveaux usages. L’ouverture à la concurrence voulue par l’Union européenne favorise ce mouvement, mais crée aussi de nouveaux défis pour le régulateur.
Monsieur Fabio Colasanti consacre son discours à la relation entre les autorités de régulation et la Commission européenne. Bien que les politiques et l’opinion publique soient difficiles à convaincre à cause du cadre complexe à expliquer, l’Union européenne est meilleure que les Etats-Unis en termes de régulation.
Avec vingt sept membres, chacun doté de son propre système, la mise en œuvre d’une régulation est délicate, notamment dans le secteur des télécommunications. La dimension européenne est pourtant indispensable à introduire pour réguler les vingt sept marchés.
De nombreux régulateurs se méfiaient de l’intervention de la Commission européenne qu’ils considéraient comme une limite à leur indépendance. Une réflexion commune semblait en effet difficilement possible jusqu’à ce que des ressources soient données aux groupes régulateurs pour améliorer leur recherche et travail.
Trois volontés de la Commission européenne sont visibles : améliorer l’aide pour les régulateurs nationaux, favoriser l’aide entre les régulateurs eux même pour un travail de meilleure qualité, créer un noyau de personnes en charge exclusivement du travail à mener avec les régulateurs nationaux.
C’est ici se creuse un large fossé entre ceux qui exigent l’indépendance des régulateurs nationaux et ceux qui aspirent à davantage de substances.
Questions/Débat :
- Qu’en est-il du spectre spatial ?
- A quand le portable européen ?
- Quelles conditions de régulations pour un tel concept ?
- Réflexion autour de l’encouragement à l’investissement pour l’innovation.
- Peut-on parler d’une sorte de discrimination ?
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