Vers un nouveau traité de l’Élysée : une coopération franco-allemande plus substantielle au service de l’Europe
Le président Emmanuel Macron et la chancelière Angela Merkel se retrouvent aujourd’hui à Berlin pour discuter de leur vision sur l’avenir de l’Union européenne. Le nouveau traité de l’Elysée prévu pour janvier 2019 figurera-t-il à l’ordre du jour ? Le Cerfa (Ifri) en collaboration avec la Fondation Genshagen vous proposent un éditorial sur les perspectives d’une coopération franco-allemande plus substantielle au service de l’Europe.
Le renouvellement du traité de l’Élysée figure à l’ordre du jour franco-allemand de 2018. Pourquoi un nouveau texte ? Simplement parce qu’il remonte à la guerre froide, lorsqu’il y avait encore deux États allemands et que l’intégration européenne ne faisait que commencer. Il a institutionnalisé la coopération bilatérale et créé l’Office franco-allemand pour la jeunesse, instrument majeur de la réconciliation franco-allemande.
Le contexte européen et international de 2018 diffère fondamentalement de celui qui prévalait voici 55 ans. Les deux pays ont tout intérêt à s’appuyer sur des relations franco-allemandes plus efficaces et capables de mobiliser l’ensemble des ressources disponibles pour relever les défis européens, qui ont pris une ampleur considérable dans presque tous les domaines.
Un nouveau traité n’apportera une valeur ajoutée aux relations franco-allemandes et à l’Europe que s’il va plus loin que le traité actuel. Évitons de le surcharger avec un inventaire de projets isolés et de déclarations d’intention, sachant qu’il ne saurait remplacer un programme politique convaincant. Un nouveau traité peut toutefois fonder une coopération bilatérale étroite, efficace et stratégique des deux pays en Europe, qui liera aussi les futurs gouvernements français et allemand.
Les rédacteurs du nouveau texte doivent prendre en compte trois aspects. Premièrement, le traité doit véhiculer un message clairement pro-européen qui conjugue les objectifs de coopération renforcée et d’intégration ainsi que de cohésion à long terme de tous les États membres de l’Union européenne (UE). Deuxièmement, il doit contenir des mesures concrètes pour renforcer les procédures et institutions bilatérales. Troisièmement, il doit avancer des pistes pour transformer la coopération bilatérale en laboratoire de l’intégration européenne.
1. Le principal message du traité doit être un engagement clair en faveur de l’intégration européenne
Le préambule – ou tout autre passage – doit contenir un engagement ferme en faveur d’une intégration européenne dans son ensemble, et souligner que la coopération en matière européenne est une responsabilité globale. Il faut également expliquer de façon convaincante pourquoi la coopération communautaire entre États européens dans l’UE est incontournable. Berlin et Paris doivent en outre signaler qu’ils privilégient une intégration différenciée mesurée, et affirmer leur conviction que les objectifs de coopération intensifiée dans l’UE et de cohésion des 27 États membres ne sont pas incompatibles[1].
La coopération franco-allemande doit affirmer haut et fort son ambition d’être pour l’UE un élément dynamique de cohésion interne, une force motrice et un laboratoire du renouvellement. C’est essentiel eu égard aux nombreuses faiblesses et crises inhérentes à l’UE, à l’importance croissante des deux pays pour la réussite de la politique européenne, et enfin, parce que les deux pays sont tributaires de la réussite de l’Union. Profitons-en pour répondre aux incertitudes des citoyens et aux questions sur les objectifs et l’avenir de l’UE.
La relation bilatérale spéciale entre la France et l’Allemagne doit être maintenue et développée. L’expérience partagée en matière de coopération et la participation des deux pays à tous les domaines d’intégration et d’action en Europe sont capitales pour toute l’UE. Les deux pays sont toutefois tributaires aujourd’hui d’une coopération avec des tiers s’ils veulent atteindre leur double objectif de coopération renforcée et de cohésion, et ce bien plus que pendant les décennies où la Communauté européenne était cantonnée à l’Europe de l’Ouest. Il faut en tenir compte dans le nouveau traité ; il est souhaitable que cet aspect ne revête pas un aspect purement symbolique mais soit accompagné d’une proposition opérationnelle concrète.
2. Le renforcement des processus bilatéraux
Les institutions et processus bilatéraux doivent être renforcés pour plus de fiabilité, de résultats et d’efficacité à long terme. Le nouveau traité peut avoir une valeur ajoutée réelle et concrète, et dépasser le symbolique. Nul ou presque n’ignore que certaines institutions franco-allemandes actuelles (Conseil des ministres, conseils thématiques, formats informels comme Blaesheim, etc.) ne remplissent pas ou plus leurs fonctions. Ce phénomène, conjugué à l’absence d’initiatives bilatérales visibles pour l’Europe, obère la légitimité de la relation spéciale entre les deux États, notamment aux yeux des citoyens. Les objectifs et résultats de la coopération franco-allemande doivent être plus concrets et plus visibles.
Les gouvernements doivent s’engager à fonder régulièrement leur coopération bilatérale sur des programmes pluriannuels et leur associer des objectifs stratégiques : missions purement bilatérales (coopération transfrontalière, coopération des régions, promotion de l’apprentissage croisé de l’allemand et du français, etc.), mais aussi et surtout missions européennes (sectorielles et transsectorielles). Cette coopération sera d’autant plus fiable que les gouvernements s’engageront à informer régulièrement leurs Parlements de la mise en œuvre des programmes. Il est urgent de mettre en place des obligations communes et croisées pour que les membres des gouvernements français et allemand, ou leurs représentants, rendent compte, ensemble, devant le Bundestag et l’Assemblée nationale[2]. Cela incitera les gouvernements et leurs administrations à mettre en œuvre les programmes de façon efficace, tout en améliorant la visibilité de la coopération bilatérale et de ses résultats. La légitimité des relations franco-allemandes, qui se veulent le « moteur de l’intégration européenne » en sortira renforcée.
Tous les formats de coopération devraient par ailleurs être évalués périodiquement pour apprécier leur utilité, avec pour objectif de renforcer la coopération habituelle. Les formats et institutions qui ne produisent pas de résultats exploitables devraient être réformés ou supprimés. Enfin, le traité devrait être un instrument pour ouvrir les relations franco-allemandes à des tiers sans remettre en cause leur caractère spécial. Il pourra prendre la forme d’un engagement volontaire d’associer le plus en amont possible d’autres partenaires à la définition de programmes pluriannuels bilatéraux à finalité européenne.
3. Un laboratoire de convergence de l’intégration européenne
Bien que le traité ne puisse pas être une boîte à outils pour résoudre les problèmes présents et futurs de l’intégration européenne, il participera au développement des bases communes franco-allemandes dans des secteurs essentiels. L’enjeu est de développer des approches – et le cas échéant des réglementations – juridiques et politiques convergentes dans des domaines qui restent de la responsabilité nationale ou dans lesquels l’intégration au niveau européen ne progresse pas. Idéalement, cela aura un effet d’entraînement positif dans d’autres États membres, et créera une dynamique d’intégration européenne dans certains secteurs. Et même si ce ne devait pas être le cas, la France et l’Allemagne profiteront de leur rapprochement grâce aux bonnes pratiques et aux synergies. Quoi qu’il en soit, les deux pays démontreront l’utilité directe d’une coopération de plus en plus étroite dans des domaines dont l’utilité apparaîtra clairement aux citoyens.
Le traité devrait mentionner plusieurs domaines essentiels dans lesquels les deux pays décideront de coopérer de plus en plus étroitement jusqu’au rapprochement des systèmes réglementaires et juridiques nationaux (« laboratoires de convergence »). On peut ainsi envisager un espace économique franco-allemand avec un rapprochement progressif et durable des politiques fiscales, budgétaires et du marché du travail, qui fait obstacle à la concurrence déloyale et ouvre la voie à une concurrence stimulante. Une autre possibilité est la mise en place d’un espace juridique franco-allemand avec une convergence des ordres juridiques nationaux. Il est également urgent de définir une politique de défense, de sécurité et extérieure réellement commune et de s’atteler sérieusement à concevoir des stratégies communes vis-à-vis d’autres territoires et le cas échéant d’autres acteurs majeurs (Afrique, Russie, Chine, États-Unis) et pour des domaines tels que les flux migratoires. La coopération dans le secteur militaire doit être nettement plus bilatérale que nationale, tout comme son financement, et définir des lignes directrices communes pour les exportations d’armements[3]. Les pays doivent s’interdire de faire cavalier seul en matière de politique extérieure et de sécurité – en fonction des actions envisagées, ils doivent au minimum consulter leur partenaire, et dans toute la mesure du possible agir de façon concertée. Bien d’autres thèmes en lien avec la politique intérieure et extérieure sont envisageables : éducation et enseignement, politique sociale, climat, énergie, infrastructures et mobilité ; le rapprochement et la convergence sont possibles dans de nombreux domaines entre la France et l’Allemagne.
Les laboratoires de convergence franco-allemands ne pourront fonctionner que si la volonté de réfléchir ensemble aux stratégies et de fixer ensemble des objectifs va de pair avec la détermination à prendre des mesures opérationnelles concrètes pour mettre en œuvre ces objectifs et stratégies communs. Renforcer la coopération au niveau régional dans certains secteurs serait utile. Cette coopération et les jumelages peuvent en outre contribuer efficacement à une meilleure cohésion au sein de l’UE, qui est l’un des deux principaux objectifs de la politique européenne de demain. Le traité devrait donc accorder une place particulière à la coopération régionale et prévoir un soutien financier au niveau national.
Un nouveau traité ne peut que fixer l’objectif, les domaines d’action et le cas échéant les grandes ambitions de ces laboratoires. Nous avons absolument besoin d’institutions et de processus bilatéraux confortés dans leur légitimité, leur capacité d’agir et leur pérennité pour que les laboratoires de convergence travaillent de façon fiable, axée sur les résultats et visible pour le public. L’accord des deux pays sur la priorité à accorder dans l’UE aux deux objectifs d’intégration différenciée et de cohésion fondera leur approche européenne commune, qui engagera aussi les futurs gouvernements à Paris et Berlin. Un traité franco-allemand reprenant ces principes contribuera à une modernisation des relations entre nos deux pays. Et il est une condition pour que Berlin et Paris assument leurs responsabilités immenses pour l’avenir de l’Union.
[1]. Voir la prise de position du groupe de réflexion franco-allemand de juin 2017, « Quel avenir pour l’UE ? Pour une différenciation assumée par Paris et Berlin », Éditoriaux de l’Ifri, Ifri, disponible sur : www.ifri.org.
[2]. Cette procédure doit également être ancrée dans le projet d’accord parlementaire franco-allemand.
[3]. Une autre piste intéressante consiste à ouvrir le Conseil de sécurité fédéral (Bundessicherheitsrat) aux français (président de la République, Premier ministre et ministres concernés), et à le doter de compétences pour les deux pays. Cette idée ne serait toutefois acceptable en Allemagne que si une ouverture unilatérale de cette institution majeure pour la politique de sécurité allemande allait de pair avec des fonctions presque identiques dans les deux pays, ce qui est quasiment inenvisageable pour l’instant.
Cette publication est également disponible dans les langues suivantes :
- en allemand "Erneuerung des Elysée-Vertrags: mehr Substanz in der deutsch-französischen Zusammenarbeit für Europa".
Le Groupe Daniel Vernet (anciennement Groupe de réflexion franco-allemand) a été fondé à l’automne 2014 à l’initiative de la Fondation Genshagen ; soutenu depuis 2015 par le Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Institut français des relations internationales (Ifri), il compte 20 membres français et allemands issus de la recherche, de l’économie, des médias et autres domaines connexes.
Les membres du Groupe Daniel Vernet se rencontrent à intervalles réguliers à Genshagen et Paris pour discuter de l’avenir de l’Europe et des relations franco-allemandes. Le Groupe s’appuie sur une analyse commune pour adopter des recommandations concrètes, suggérer des actions et développer des thèses qui sont publiées ensuite dans un document commun. Selon les thématiques abordées, ses conclusions s’adressent aux politiques, aux diplomates, à des groupes cibles spécifiques ou à un public plus large. L’objectif du Groupe Daniel Vernet est d’apporter une impulsion au débat pro-européen en France et en Allemagne.
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